Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

vendredi 4 mars 2022

Blonds comme blés

 La guerre a surgi des jonquilles, elle manquait au tableau la guerre, à notre collection acharnée d’horreurs, le prunus en fleurs ne fait pas contrepoids, nous penchons donc happés par la pente ça allait trop doucement sans doute l’anéantissement, un peu mollassonne la sixième extinction, manquait de radiations tout ça,  de héros ensanglantés de chants martiaux de femmes violées, de président providentiel de torses bombés de commentaires imbéciles d’armes fatales et de convois de réfugiés idéalement blonds, manquait plus que ça, mon tulipier peut se rhabiller, planter des pommiers à quoi bon les réfugiés sont blonds comme blés, jusqu'à vitrification.

samedi 19 février 2022

Je dis fleur

Les hellébores effeuillées dévoilent leurs fleurs chiffonnées qu'on croirait fragiles, mais il ne faut pas s'y tromper, elles résistent au gel, les roses de Noël et s'épanouissent en février nuancier de mauve, de rose, de blanc cassé, et leurs charmes empoisonnés nous paralyseraient si par gourmandise nous prenait la fantaisie d'en mâcher une tige. Mieux vaut un bouquet.

mercredi 16 février 2022

Fleurs à venir

 Le jardin s'éveillant rappelle ceux de l'enfance, les tapis de primevères Honfleur, les jonquilles Villepreux, les crocus la pelouse en bas du chalet, à Château d'Oex, les hivers peu neigeux. D'autres fleurs ne me disent rien de précis, à peine si je sais les nommer, si je les reconnais, grappes jaunes du mahonia, les pousses me réduisent aux conjectures: pieds d'œillets, feuilles de tulipes, sans doute,  pavots peut-être -il y en avait là l'été dernier. Le jardin abandonné se révèle, que Tanguy taille, éclaircit, désherbe, des perspectives se dessinent, on y voit plus clair. Je plaide en vain pour le maintien d'une part de mystère, je ne plaiderai plus lorsque fleuriront les roses les glaïeuls et les pivoines, mais ferai des bouquets comme il y a longtemps mon grand-père le faisait, de grands bouquets dans la channe de cuivre.

vendredi 11 février 2022

Reverdie

 Alors les prémices surgissent de la nuit, à notre surprise renouée chaque année, car chaque année nous craignons davantage que le cercle se brise et l'enchantement s'évanouisse, mais non, nous n'en sommes pas encore là, il reste des pluies de tout calibre, du crachin jusqu'à l'allochée pour remplir la mare aux herbes épanchées. Le gel qui s'évapore fait fumer les planches pourries du portail,  les lapins se courent après, et dès potron-minet, les oiseaux chantent à gorge fendre sur les branches bourgeonnantes, au dessus des perce-neige et des premiers crocus. On guette dès que le soleil perce, ce qui pousse, ce qui est mort, on s'agace des écorces rongées -il a pris cher le cognassier- les jonquilles sont en boutons, les merles sifflent leur amour, on est repartis pour un tour, très volontiers, pour un peu on en chanterait.

mercredi 12 janvier 2022

Tombée du jour

L'hiver s'étire de nuage en nuit, une écharpe d'ombre grise où luit un lampadaire, cette lumière qui pleut dru, cône orange dès le soir tombé. Pas un bruit, calfeutrés nous sommes, nous attendons des jours plus longs -meilleurs on n'oserait le parier- en guettant le chant des oiseaux le sifflement du merle qui s'épanche dès février. Ne reste qu'à boire le thé sous les lampes du salon, fermer les volets, entrouvrir la porte pour que rentre le chat ou que l'autre chat sorte, c'est ainsi que le soir s'installe, et qu'il dure.

samedi 1 janvier 2022

Pour des prunes

 Un soleil de printemps point, les augures je n'en attends rien. La lumière verse par les fenêtres, Tanguy dehors plante un prunier qui donnera, un jour peut-être, des reines-claudes si le redoux de janvier ne l'induit pas à bourgeonner trop tôt et bourgeons de geler, fleurs de tomber en un printemps raté. A force de gober moucherons tardifs et araignées planquées, la petite chatte a vomi  sur les dalles, il a fallu tout nettoyer. La voilà qui repart en chasse et je nous prépare un café. Pour l'an nouveau ne rien souhaiter, faire le gros dos, planquer son nid, rêver que dans les plis d'un tout petit bocage on passe en contrebande une arche de Noé juste avant la grande marée. En sourire et préparer le déjeuner.

jeudi 30 décembre 2021

Jour de chat

 Le chat noir s'est battu, a vaincu (touffes de poils gris comme un trophée), est revenu et s'étend apaisé sur mon bureau, la patte boueuse sur les copies non corrigées. Il me regarde un temps puis ses yeux se perdent et finissent par se fermer: il n'est de bonne matinée qui n'aboutisse à une sieste. La vie ce n'est pas si compliqué: le territoire est assuré, la pitance acquise et la chatonne admirative, il faut savoir s'arrêter, savourer la paix près du radiateur, s'étirer satisfait en renversant un livre (aujourd'hui c'est La maison Tellier).

vendredi 24 décembre 2021

Un éclat bleu

 Les branchages sombres griffent le ciel gris, on fait feu d'ampoules pour lire à l'abri, même le vert vire au vert-de-gris, la saison sans doute, l'époque peut-être, l'air du temps est au moisi, ce pourquoi je me suis blotti, cette longère un nid décidément, un terrier peut-être, un trou de hobbit où se terrer dans l'espoir de temps plus cléments -ça ne tient pas debout, je sais, décembre est un mois détestable, on se vautre, on régresse. Surgit à midi comme d'une coulisse -de fait la haie de thuyas vert empire qu'il faudra arracher un jour (fatigue rien que d'y penser)- un paon qui me regarde et c'est un éclat bleu, du lapis lazuli qui se détache du vert pisseux de la prairie, du ciel qui n'est pas bleu mais d'un gris pas si clair, pas même laiteux. Il se pavane par le jardin il anoblit ce qu'il effleure promet un monde de couleurs, le manteau de la vierge dont Champaigne couvre Marie, c'est lui, il déploie sa roue, effraie les chats.  Le paon se perche sur mon toit, sur un des poteaux du portail, il sait prendre de la hauteur -prendre la pose aussi-  il fait refluer la vermine, appelle un pape qui ne vient pas (je crois bien qu'il est mort), et dépité rentre chez lui.

mercredi 22 décembre 2021

Pierre fendre

 La croûte blanche a tout saisi, le caillou rebondit sur l'eau transie de la mare où les lentilles vertes sont prises parmi les tiges vitrifiées, alors c'est encore vrai qu'il gèle encore, parfois, un peu? On aime la buée sur les fenêtres qui troublent la vue sur les arbres, et le chat noir qui se détache sur l'herbe cotonneuse de givre reste moins longtemps dehors, douillet qu'il est, frileux un tant soit peu; le rêver tel alors qu'il accourt au bruit de la porte ouverte. C'est l'hiver, la semaine des fêtes insanes, et tout est bon pour calmer les bêtes. Les loups sont de retour, on offre des spectacles, on projette sur les murs calcaires des églises des images , des coloriages, les loups rêvent-ils en couleur? Les enfants ont-ils peur du loup, le loup  qui peuple leurs images? C'est l'hiver, on bondit d'une nuit à l'autre et le gros chat gris à qui on a ouvert la porte n'en revient pas de l'aubaine dort sans discontinuer, et gémit quand il rêve. Tout est prétexte à bougies, guirlandes, flambées, nous tuerions pour lacérer l'ombre d'un éclat de briquet, d'une torche de téléphone -étrange objet. La nuit nous brûle, on voudrait éprouver la glace de la mare on voudrait patiner, mais la couche reste mince, et l'âge nous a passé de chausser les patins. La nuit nous pèse, c'est l'hiver, on s'invente des parfums de thés, fleurs de cerisier, jasmin, on laisse le printemps infuser pendant que la nuit gagne le temps d'une tasse, comme le négatif d'un nuage de lait (on n'en met jamais dans le thé).

jeudi 2 décembre 2021

Marcher sur les cendres

 Je ne te parle plus la mort nous a gagnés j'entends par là qu'à ton silence il n'est rien à répondre et que tu n'en peux mais. Le jardin de décembre se tait dans la nuit précoce et le gel sur les haies crispe les dernières feuilles en des convulsions brunes, et les troncs des arbres dessinent tous les possibles squelettes du vivant. Où tu gis je sais, je n'y vais jamais, les toussaints sont des sabbats tristes, et je suis juif errant dans le deuil de mon deuil. La tombe de maman j'y vais, sa mort j'y ai consenti, la tienne s'est imposée, lentement brutale, avec elle l'existence alourdie, la survie coupable. Je ne te parle plus ton fils est malheureux qui croule sous les deuils mais qui pleure désormais, ce que je voulais dire, ce que tu n'entends pas, c'est qu'il m'appelle quand il est mal, faute de toi, et que j'accueille sa douleur, tâchant vaille que vaille de me faire passeur de feu.

vendredi 19 novembre 2021

Caduc

 Le jour nait difficilement, les feuilles se font rares, le figuier ressemble au squelette d'un monstre préhistorique. L'érable blessé par la tempête nous aura offert un bain de sang sur l'herbe jaune, le doux chat noir a saigné sans haine une musaraigne dont il reste peu. De l'automne rouge à l'hiver noir, il s'en faut de quelques jours, quelques semaines au plus pour que noircissent à leur tour les feuilles tombées au sol, et seuls à demeurer houx et lierres d'un vert sombre, et la mésange charbonnière perchée sur le réverbère kitsch, et nous calfeutrés, à se demander si le jour va naître -il semblerait que non-  s'il ne serait pas temps d'installer la mangeoire avec la boule de graisse et les graines de tournesol -d'évidence oui. Mais où l'installer dans la nuit, hors d'atteinte du chat noir dont le grelot tragique menace le rouge-gorge que la faim rend audacieux? Ce sont nos graves questions, les graines de courges iront aussi, l'or, le sang, la nuit noire le jour hésitant.

vendredi 12 novembre 2021

Le jardin sans nom

 Il fait froid ce matin et décidément le bureau plus froid que les autres pièces, mais aussi la première à prendre le soleil qui s'élève au dessus des arbres et frappe les carreaux. Les dernières feuilles, caduques, perlent et gouttent du gel fondu, celles du figuier pendent comme des torchons sales et tomberont avant les fruits verts qui n'auront pas mûri, tant pis, c'est le hasard des fruits, cette année n'était pas celle des fruitiers, ça reviendra, sans doute, encore, ça reviendra les prunes, les pommes et les poires, nous n'avons pas encore brisé tous les cycles. Restent des roses vitrifiées par le gel, qui persistent à s'ouvrir, deux fleurs de primevères égarées dans l'automne, et tant que je ne sais pas nommer. Il faudrait  noter les noms qu'on nous indique, dessiner un plan du jardin dit Patrick, Tanguy n'en est pas persuadé, on ne notera rien, on laissera pousser, les noms se feront oublier, les fleurs nous les rappelleront.

mercredi 3 novembre 2021

Le temps qu'il fait

 Il faut maintenant désapprendre, vivre chaque matin comme une nouvelle ignorance, se méfier des mots précis et des phrases qui s'ourlent comme une robe trop bien coupée pour être honnête, se réjouir des insectes insensés qui peuplent le jardin, reconnaître qu'on a tout oublié des fleurs et des simples, qu'on n'identifie que les roses et les arbres, et encore, pas tous -on avait pris le catalpa pour un noyer, va pour le catalpa, les noix me donnent des aphtes. Une branche de l'érable est tombée dans la mare, un pont rouge sur les eaux noires, cela ne me rappelle rien, ça qui me fait du bien, c'est une vie sans précédent, des premières fois tout le temps dans le jardin dans la maison le pire n'est pas toujours certain, on plante un rosier black baccara, nom ridicule, pourpre velouté, on plante des arbres comme si rien n'allait se passer, rien de fâcheux, le temps qu'il fait, comme si tout allait continuer, les feuilles jaunes de novembre, les herbes blanches des premières gelées, il gèle encore, il pleut sur le bocage, il pleut encore pas mal, l'eau pas encore rare ici, on ferme les volets sur le temps qu'il fait, le temps que nous avons défait.

jeudi 28 octobre 2021

Planter un arbre

 On a acheté un poirier, un petit poirier avec sa motte de terre, c'est moi qui l'ai choisi, et comme je n'ai pas de fantaisie, j'ai pris un poirier de jadis, un "louise-bonne", à la foire aux plantes du château d'Harcourt. Elle s'appelle les Automnales, la foire aux plantes, on met du prétentieux partout, c'est l'air du temps, c'est l'ère du rien, avec bien peu en faire beaucoup, prendre la pause, donner à la foire un petit goût de festival, moi je m'en fiche, je repars avec mes espoirs de poires un peu rouges, ce sont de petites poires me dit Patrick, ce n'est pas grave, c'étaient les poires de Honfleur -il y avait aussi des williams et des passe-crassane si je me souviens bien des arbres en espalier contre le mur de pierre. Les louise-bonne c'étaient celles que ma grand-mère goûtait, c'étaient ses poires à elle, au grand-père les pommes qu'il gaulait d'un coup de béquille, ce n'était pas malin, elles s'abimaient en tombant les pommes fragiles qu'il aimait tant qu'il n'y avait qu'une sorte de pommes dans tout le jardin, j'en ai déjà parlé, il les aimait pour leur nom, les "transparentes de croncels", pour leur chair translucide, juteuse et sucrée, qu'elles se gâtent avait peu d'importance, elles pourrissaient dans l'allée, on glissait dessus, c'était un peu dégoûtant, il y en avait tant qu'il en restait toujours assez pour les compotes et les gelées. J'ai demandé au vendeur d'arbres s'il en avait, il en avait eu mais il les avait vendus ses pommiers, pas de veine, mais moi je me trouvais bien veinard quand-même de tomber sur un vendeur de transparentes de croncels, même de loin, même de l'Orne, même de Domfront -même si Domfront c'est plutôt les poires et le poiré- et décidément de la veine j'en ai car le vendeur d'arbres de Domfront me propose d'en réserver un qu'il apportera au marché aux arbres du Neubourg mi-novembre, un marché aux arbres qui s'appelle "marché aux arbres", c'est plutôt bien, on ne change rien, on reprend un pommier de jadis, on va retrouver le goût des transparentes de croncels.

dimanche 17 octobre 2021

Que chacun vive

 Pas de coups de feu ce matin, la chasse est bâillonnée par la brume, c'est l'avantage d'être au rebord de la vallée, la brume remonte et mord le plateau, s'éprend des haies du petit bocage, se love, s'attarde, se blottit dans le moindre creux. Qu'y voir? Elle étouffe jusqu'aux treillis orange des chasseurs modernes, qu'on entraperçoit sur les chemins, le fusil cassé, et lorsque le soleil enfin la déchire, inondant les carreaux de la maison comme alanguie de tiédeur, c'est trop tard, ils sont planqués les faisans, les lièvres, les perdrix rouges et même nos lapins crétins sont terrés au terrier, et le terrier c'est chez nous, et chez nous seul le chat noir chasse, et notre chat noir nous l'avons affligé d'un grelot pour que soient prévenus grives et lapereaux , qu'il tinte et que chacun se garde, que chacun vive, il y a la place, 

jeudi 14 octobre 2021

Matin blanc

 Ce matin c'était givre sur les parebrises des voitures, l'herbe blanchie dans la pâture, deux hommes orange sont venus dès le jour pointant vidanger la fosse qui aurait dû l'être avant l'achat de la maison mais bon. Le chat noir a pris peur et disparu dans le fond du jardin en friche, ils se sont affairés les deux gars en fumant des cigarettes, ont regardé dans le regard et le regard était bouché, étoupé il aurait dit Ronsard et ç'aurait été juste. Le plus vieux a proposé de revenir réparer au noir, si jamais ça se rebouchait, on a parlé des environs, de Berthouville et de Boisney, du lycée Boismard de Brionne, "on repart avec un métier", du fermier d'à côté qui est quelqu'un de bien, on a pris le temps, j'ai réglé et le camion a quitté la cour, j'ai refermé le portail vermoulu, j'ai appelé le chat dont j'ai entendu le grelot, il est venu et dort sur mon bureau dans le soleil qui entre à flots.

mercredi 13 octobre 2021

Notre mare

 On voit, maintenant que Tanguy a rompu la couronne de ronces qui en défendait l'accès, rasé les bambous saugrenus qui prenaient trois mètres en un été -ils repoussent déjà- on voit maintenant l'âme noire de la mare, les pierres blanches de sa berge, et les lentilles d'eau qui dans l'ombre en faisaient comme un mirage de pelouse. Le chat noir s'y trompa qui sauta sur la libellule bleue, traversa la pellicule verte et plongea dans l'eau sombre, pour ressortir plus noir encore s'il est possible, sentant la vase, mouillé comme un de ces chiens de chasse qui se roulent dans chaque ornière avec des délices de curiste à Bagnoles de l'Orne. On devine mieux l'eau noire (il a fallu laver le chat qui n'aime pas ça), on attend que les feuilles du saule y tombent et nous fassent rêver à l'or et à la boue dans un foutoir de reflets, on attend qu'après l'hiver vienne le temps des iris jaunes et des nids d'oiseaux, la reverdie du saule pleureur et des amours bruyantes de reinettes enhardies.

mercredi 6 octobre 2021

Et tôt serons

 Compter les jours d'automne, lumières plus humaines jusqu'à ce que la herse de la pluie hache les roses et les feuilles des haies vives, et jusqu'au jour rabattu sur la terre comme moisson sous l'orage. Les chats rentrent dès qu'il pleut, les petits douillets comptables de neuf vies à se lustrer le poil, le rouge-gorge peut souffler, puisqu'il en reste un qui chante. Le temps passe, il a bien raison, à sa place  je ne m'attarderais pas, le temps n'a pas de temps à perdre, le temps ne nous regarde pas frémir sous les averses qui passent, le temps n'écoute pas les pétoires des chasseurs en treillis orange, aux trophées dérisoires, le temps mais nous nous en allons.

jeudi 30 septembre 2021

Peau de lapin et patte de chat

 C'est un pli dans le temps qui passe, un chat s'étirant au soleil sur mes papiers qu'il froisse, la chatte se lèche couchée sur Pantagruel et d'un coup de patte fait tomber Gargantua, pourquoi? Plaisir de chat. Il fait bon ce matin les chats voudraient sortir, ne veulent plus, sont bien là sur mon bureau dérangé, Pantagruel à son tour est tombé, je ne les laisse pas sortir, j'ai vu un lapereau ce matin par la fenêtre de la salle de bain, s'ils sortent pas de lendemain pour le petit lapin, alors qu'ils dérangent mon bureau ne me dérange pas, dérangé c'est bien, c'est doux, c'est le chaos du monde mais atténué et le Destin plus si terrible s'il se résume à la fantaisie d'une patte de chat.

mercredi 29 septembre 2021

Le vent se lève

 Le vent se lève, il n'est plus temps, que ceux qui ont des enfants leur demandent pardon, les enfants vont tenter de vivre comme il se doit pour des enfants, le pourront-ils seulement? Le vent souffle sur les braises, les champs de blés tapis ardents, les forêts en torches fulminent, mais bonnes vacances au bord de la mer qui monte et mord les rivages et nos falaises blanches cariées de valleuses qui promettent des effondrements. Il n'est plus temps de rien du tout, dérision des gestes qui sauvent, nausée devant les charlatans dont les mensonges glissent sur nos vitres  poudreuses, dont les haines furieuses appellent à l'incendie quand déjà tout brûle à l'entour, autodafés que vent attise, le vent se lève il n'est plus temps.

lundi 27 septembre 2021

Sale Histoire

 Il faudrait des vents résolus, une mousson torrentielle pour que tombe du ciel non la merci d'un dieu -les dieux ne tombent pas du ciel, ils s'accrochent aux cintres du théâtre où nous inventons nos peurs- mais au moins l'occasion d'un nettoyage à grandes eaux des brûlis de l'été, des brûlures du passé, de la bile des haineux, du dentier des rancuniers à l'haleine faisandée, j'arrête d'énumérer, il faudrait tout noyer, nous n'aurons jamais assez d'eau, et quelle colombe au bout du ciel, et quel ciel pour éclairer quel rameau d'olivier, et quel dieu inventer qu'on puisse croire s'il nous permettait de tout recommencer? Sale Histoire.

samedi 26 juin 2021

Bernay

Je suis revenu à Bernay, dans  le lycée où j'enseignai voici trente quatre ans passés. Les élèves n'ont pas changé à Bernay -le merveilleux de ce métier, les élèves ne vieillissent jamais. Ils ont préparé leur oral de français, j'écoute à Bernay des élèves me parler des Cahiers de Douai, ils ont l'âge de Rimbaud, ne se privent pas de le préciser, au cas où ça ne se verrait pas assez. Entre deux, je regarde par la fenêtre la vue sur la rue en contrebas, quelques arbres, un toit terrasse, le temps qui passe, il passe vite le temps à Bernay, hier soleil aujourd'hui frais, et le professeur maigre qui débutait tutoie la retraite et le surpoids désormais. Que s'est-il passé à Bernay, quel baiser enchanté m'a fait vieillir en un clin d'œil, quelle sorcière m'a jeté le sort qui m'alourdit, étoupe mes yeux clairs, dégarnit mon front, et dépeuple ma maison de ceux qui me furent chers? Il ne se passe rien à Bernay, une crue de la Charentonne, il a plu, l'eau coule sous les ponts -un élève parle d'Apollinaire, de Marie Laurencin de la virgule manquante qui change tout. Rien ne change à Bernay, ce que je voudrais croire dans ce lycée désamianté, restructuré, débarrassé de son carrelage violet, et je regarde la pluie tomber par la verrière qui n'existait pas lorsque j'y enseignais. Une jeune fille masquée stabilote "Automne malade", j'écris sur des feuilles de brouillon vertes à Bernay où le temps s'accélère que je regarde défiler devant mes yeux fatigués, l'âge de mes artères on dirait.

dimanche 13 juin 2021

Un herbier

 Voici le temps des digitales aux tiges carillonnantes dont les sucs portent au cœur -qui les croirait si puissantes, ces clochettes mauves qu'agite le vent sur les lisières des bois, les fossés du bocage? Il faudrait savoir nommer toutes les plantes, que notre langue soit un herbier, et que les nommant, nous les sauvions de l'extinction qui nous pend au nez, nommer les simples et les poisons, les roses capiteuses, les pavots chiffonnés, nommer les sortes de cerisiers, les distinguer des merisiers, dire la joie de l'estragon, du thym citronné. C'est là que démunis nous comprenons qu'à vivre loin des jardins, nous avons oublié les noms, trop de noms qu'on cherche en vain, on rêvait d'un herbier mais l'on reprend le dictionnaire, dans l'ombre fraîche de la maison, et l'on cherche les noms qui ne reviennent pas.

dimanche 23 mai 2021

Trompe l'œil

 C'est un printemps vert et pluvieux, temps de normand, bien normal en un temps où plus rien n'est normal, c'en est déconcertant ce printemps banal, ces prés à l'herbe grasse, ces champs où mousse le lin naissant. Il faut bien du courage ou de la frustration pour s'assoir en terrasse, il en est qui le font avec rage mais bon pour cela j'attendrai qu'il fasse bon, je fais comme si j'avais le temps, c'est de moins en moins vrai , il fait trop frais, cru dit-on, c'est ainsi qu'on parle ici, des mots pour les nuances de froid humide, de courants d'air et de frissons. Le soleil entre deux averses déchire des nuages violacés qui s'en vont crever plus loin, sur les champs de colza dont le jaune se déguenille, sur les chenilles des piérides du chou qui se raréfient, les nuages qui diluent dans la terre des restes de pesticides, et des coquilles d'œufs d'oiseaux qui iront manger les piérides quand seront devenus plus gros. On ne croirait pas, à voir si verts les arbres les haies et les pâtures que couve une fièvre rare, un incendie dont nous ne pouvons prendre la mesure mais dont  nous mesurons qu'il nous dévorera, à défaut de le pressentir.

mercredi 28 avril 2021

Hors l'église

 Rester hors de l'église -elles sont fermées, ne se visitent pas, épidémie oblige, le gisant attendra- alors admirer les poutres du caquetoire, les colombages, ses motifs, les brins de paille perçant dans le torchis, tout cela bien restauré à Saint-Etienne l'Allier. S'émouvoir d'une survivance: une Normandie de naguère, humide, où grenouilles et bénitiers abondaient par le bocage, où l'on disait d'une éclaircie qu'elle chauffait une averse, d'où les caquetoires grands comme des abribus au porche des églises afin qu'on puisse dégoiser avant, après l'office pendant l'averse qui verse à seaux, s'écocailler en attendant l'éclaircie brusque comme un lever de rideau. La terre est sèche et le ciel bleu, on sort sans parapluie et les messes sont encore plus rares que les averses, le temps passe, les nuages aussi, les nuages ils disparaissent comme les mares du pays leurs miroirs, comme les potins des caquetoires qui n'abritent plus que des avis jaunis.

dimanche 25 avril 2021

Vivre sans

 Ma très vieille tante classe des photos, ça la fait  pleurer, le vieil oncle est mort qui les avait prises, il en prenait tout le temps, pas toutes rangées loin s'en faut, qu'il était beau me dit-elle, bon il est peu sur les photos puisqu'il les prenait mais j'en ai quand même, même sur son lit de mort il est resté très beau, Claire a pris une photo, tu verrais, c'est vrai, quand tu viendras je te montrerai je sais bien que tu ne peux pas, tu viendras quand ce sera fini tout ça, tu t'es fait vacciner au moins?  La première injection, c'est déjà ça, moi je n'ai rien senti, rien, il faut rester très prudent, en plus maintenant ces variants, le Brésil ces pauvres gens, Bolsonaro c'est une arsouille, comme ça qu'on disait à Honfleur, est-ce qu'on le dit encore? Les pommiers sont en fleurs, il a gelé, elles seront rares les pommes cette année, sur les photos de Jean des violons de son atelier les enfants, moi bien-sûr, moi j'étais sa moitié, la moitié de sa vie c'est pour ça que c'est dur, les photos elles me font pleurer, je pleure j'ai été si heureuse.

mardi 13 avril 2021

33 tours et puis s'en vont.

 À Philippe De Jonckheere

C'était le temps des images rares, et rare aussi la musique, du moins celle qu'on voulait entendre, électrique, celles que les ondes ne portaient qu'avec réticence, celle qui hérissait les grands parents -les parents affectaient d'aimer les Beatles et dansaient sur Sydney Bechet, Petite fleurLes oignons, or il n'était plus temps et nous n'aimions pas la danse, ou nous la dansions raides comme les cheveux que nous laissions pousser, qui hérissaient les grands parents tout autant que la musique électrique, celle qu'on finissait par entendre, après avoir longuement contemplé les pochettes des albums chez le disquaire -c'était le temps des images rares des grandes pochettes de 33 tours, 30 centimètres, des LPs on disait quand on voulait faire anglais, dieu qu'elle était anglaise la musique qu'on aimait, c'était le temps des disquaires et des libraires, on y léchait les vitrines en attendant d'avoir l'argent, on s'usait les yeux sur les pochettes d'Hipnogis en vignette dans Rock&Folk, avant de pouvoir enfin assourdir les parents, et c'était Ummagumma, The Lamb, ou 2870, les portraits par Mapplethorpe  de Patti Smith, HorsesEaster, des images rares, de la musique électrique, c'était le temps des choses qui se laissaient désirer.


lundi 29 mars 2021

Flux

Il faut passer par le fleuve, nous y passons, tout passe, vaches sacrées le ventre en l'air, princes énervés, pousseurs aux barges chargées de gravier, de voitures neuves, le temps qui descend croise des vikings attardés, des saumons sans gravière pour frayer, des veuves de nautoniers, le bateau blanc du Horla. On s'installe sur la berge entre des bidons éventrés et des saules vêtus de haillons de plastique, ici  ne pas chercher l'eau pure, c'est un fantasme frelaté, ici on est parisien par l'urine qui a serpenté depuis la capitale, le fleuve est chargé d'œstrogènes et l'estuaire peuplé de turbots transgenres et de barbues hermaphrodites. On ne vient pas là pour nager et rares sont ceux qui pêchent encore, on passe par le fleuve pour voir l'eau qui passe, dans le sens où elle doit passer, dans l'eau qui passe se voir passer, se demander ce qu'il s'est passé pour en être arrivé là.

jeudi 4 mars 2021

Méandre

 Se lever un jour, il a gelé mais le soleil chante cet air cru dans la lumière franche de mars, nous sortons avec les fleurs de prunier, les jonquilles dans le fossé, les premiers fredonnant bourdons autour des premiers coucous, ce que cela promet de joies et de brûlures, nous sortons marcher, vieux ours ankylosés, nous avons faim de violettes et de chants d'oiseaux. Sur les bords de la Seine, dans un méandre discret, de vieilles maisons attendent le rire des enfants de juillet, de noueux platanes se penchent sur leurs reflets d'eau, et les étourneaux s'envolent des ronciers en de grands nuages d'inquiétude, pour se poser étourdis sur un autre fourré sitôt que nous serons passés, que nous aurons longé les ifs taillés du château et cherché en vain les cheminées tournantes. C'est une promenade à rebrousse-chemin, et dans le demi-tour seule fêlure au dimanche le bruit des motos en cortège qui pétaradent outre bord et promettent un accroc dans la paix de Jumièges.

jeudi 11 février 2021

Un nid, c'est bizarre

 Ça nous serait tombé dessus, le goût du mal foutu, du rajout du recoin, petites pièces plafond bas, volets de plastique, combles aux plâtres disjoints rien qui fasse rêver au bonheur domestique, pas une chaumière pour parisien en mal de vert, pas un pavillon qui fait propre, c'est là, c'est chez nous ce que veut dire chez nous qu'importe, c'est étrange mais tout passe qui nous rebuterait ailleurs, le garage de parpaings au toit de bac acier le poster de cascade encollé au fond de la véranda, la véranda elle-même (qui aurait dit qu'un jour, nous, une véranda?) jusqu'au jardin trop grand, mais non ça ne fait rien la maison verte nous attend, nous savons qu'il y fera bon c'est une maison qui nous comprend, on ne sait pas comment mais on le sait bien.

dimanche 31 janvier 2021

Un nid, pourquoi faire?

 La maison n'a l'air de rien, on sait qu'on y sera bien, pourquoi le sait-on, mystère, une mare, un lopin de terre, un saule pleureur des boules de gui, mystère on vous dit mais le vieux figuier dessine des entrelacs compliqués, au bout des branches quelques fruits verts, pourquoi pendent-ils en janvier? - mystère et boule de gui. Les perce-neige près du portail la neige qui tombe lourde de pluie, c'est l'hiver en Normandie, et pourtant on y voit clair, petites fenêtres, bardage vert, un chèvrefeuille perce les planches, on verra ce qu'on peut faire, j'aimerais bien le laisser faire et chèvrefeuille de s'immiscer, sa fleur au parfum sucré agacera les abeilles qui viendront y bombiner. On redressera les vieux rosiers, on arrachera quelques ronces et voilà tout, jardin ne vaut que négligé, pas le cœur à tailler et tondre il le faudra bien mais le moins possible. Savoir s'arrêter, regarder, se taire, au nid, le mystère, le goût du blotti.

mercredi 6 janvier 2021

Passer l'hiver

 Le froid nous a saisis, il peut encore saisir, et la neige survenir, on l'espère et la craint, ce que c'est devenu, la neige, un signe rare un pardon, l'effacement des fautes, des preuves de nos crimes sans nom. L'oncle Jean est mort le dernier jour de 2020, il n'aura pas passé l'hiver, et il manque sur terre un homme de bien, et me manque celui qui discrètement, mine de rien, me fit goûter aux musiques qui apaisent et consolent, et je lui dois à l'oncle Jean qu'enfant j'appelais Johnny, d'aimer Charpentier et Campra. Il n'a pas besoin de neige, Jean, il n'y a rien à effacer de ses pas légers sur la terre, il fut cet homme calme et bon qui répara des violons, aima Proust plus que de raison, vécut une vie belle et bonne, et laisse un souvenir qui suffit à lui-même.

mardi 22 décembre 2020

Par la fenêtre

 Douceur des jours au souffle court, solstice, c'est vivre sous la lampe et regarder tomber une pluie tiède sur la pelouse verte et jaune, la terre sombre, les plantes effeuillées du jardin des voisins. Le mur de briques de l'appentis semble cimenté de lichens, et penchent des jardinières suspendues des fraisiers suicidaires de rouille et jaune tendus. Le chat siamois dont Fidelio est amoureux passe, me fixe de ses yeux bleus, pas longtemps, il pleut, les merles sont frileux, les souris rares, le chat se lasse et sort du cadre. Ceci nous dit assez la paix d'ici-bas rien n'advient qui vaille le bond d'un chat siamois.

mercredi 9 décembre 2020

Point du jour.

Le jour point. Encore un jour, à peine un jour, on peut c'est vrai chipoter de la sorte, il est bien court, trop gris, brumeux, c'est un jour, point. Il entre le jour, par la porte vitrée, les fenêtres doubles ou pas, les carreaux fêlés, il entre mal, il entre à peine, et le froid avec lui, mais il entre le jour et je vois la silhouette des chats blottis  dessus le radiateur. Les aubes sont lentes, le jour tarde autant qu'il le peut, c'est décembre et la chappe qu'il faut déchirer pour jaillir, la lumière parfois renonce. Les chats s'en foutent qui voient clair dans la nuit noire, les chats sont mon contraire, je n'y vois goutte, même le plein jour m'éblouit, je passe outre, le jour point, je scrute en astigmate la blancheur des confins.

samedi 14 novembre 2020

Comme personne

 Il avait l'âge de mon oncle, le vieux Jude qui me fut collègue sous un autre nom, il meurt à quatre-vingt-dix ans, dans les jours abrégés de novembre, en EPHAD me dit-on, et je pense à ma mère qui mourut voici quatre ans, en EPHAD elle aussi, ce même pas mot, c'est l'épitaphe des vieillards d'aujourd'hui, pas de quoi être fiers si l'on considère que l'œuvre de Jude, ce fut de graver la pierre. Est-il mort de la COVID le vieux Jude, qui n'était plus depuis longtemps que l'ombre de lui-même? Je ne sais pas, c'est sans importance, c'est la mort ordinaire c'est l'ignoble aujourd'hui, la mort ordinaire d'un vieillard ordinaire qui écrivit comme personne et qui la pierre gravée, s'efface.

dimanche 1 novembre 2020

Polycarpe

Alors il faut fermer la porte, se calfeutrer, qui aurait dit qu'un jour il faudrait se cloîtrer, sortir peu et masqué, qu'il faudrait attester la raison de la sorte? Nous sommes terrés terreux dans le jour embu de novembre, par Toussaint sans cimetière, je n'irai pas fleurir ma mère mais je te reparle ma morte, le cimetière c'est en moi que je le porte, il n'est pas de journée sans que j'arpente ses allées. La Toussaint somme toute je m'en fous, le jaune rouillé des chrysanthèmes ce n'est pas du soleil en pots, tous les saints m'indiffèrent et mes morts je les serre en moi. Tous les saints non car Polycarpe avait raison -puisqu'il faut rendre raison de tout- qui disait selon la légende  Seigneur, à quel temps m’avez-vous réservé afin que je souffrisse ces choses ! et j'aime cette jérémiade qui sonne comme le glas d'aujourd'hui.

mardi 27 octobre 2020

Sans remède

 Nous avons tous perdu la tête et la fête est finie. Des fonds de verre et des odeurs de tabac froid, ce qu'il reste de l'orgie. Je ne fume ni ne bois plus, mais il me semble que chaque matin c'est la même gueule de bois, la même mine de papier mâché, et pourtant on veut jouir encore. Ce qu'il reste ici bas, au matin des postures et des aboyeurs de calomnies, c'est cet acharnement à creuser son trou, fouiller fouir, hure de sanglier au mépris de tout, dans la merde et dans la boue, bouffer, ravager, retourner jusqu'au bout, jusqu'au plus rien du tout, s'en fourrer plein la gueule et roter à la face de ceux que tenaille une faim de pauvres. Ceux-là n'auront rien que le mépris des repus, ceux-là peuvent crever la gueule ouverte, on leur inventera des fautes, on leur trouvera des stigmates, on les proclamera lépreux pour les chasser plus aisément de la ville, hors la vue des nantis, en espérant qu'ils emportent avec eux le poids des souillures dont on les lapide.

mercredi 19 août 2020

Insatisfaits

Le temps s'est refermé sur nous, le ciel s'est assombri c'est fou comme un ciel se couvre vite, et crève sur les chaumes brûlés et les arbres à bout de chaleur déjà roussissant dans la fin de l'été. Les hêtres en auraient pour trente ans avant de disparaître des forêts d'ici, les forêts cinquante ans pour disparaître aussi, je serai mort, n'en saurai plus nouvelle, cela pour seule consolation, c'est maigre, c'est ainsi. Nos pulsions, notre appétit, la manducation de toutes les graines, de tous les fruits, de ce qu'on cueille, ce qu'on arrache, ce qu'on coupe, ce qu'on saigne, toutes les viandes, toutes les pulpes, les amandes au cœur vert, la moelle des os brisés, la sève des tiges nouvelles, nous dévorerons tout, et les sables, les métaux, les oxydes et cristaux, et l'eau et l'air même viendront à nous manquer. Alors ne restera qu'à s’entre-dévorer.

vendredi 14 août 2020

Collapsus

 Et tout a basculé d'un coup, ce n'était plus le temps du tout, un ciel bleu comme peint sur un mur, des rues vides des cafés le volet baissé, des visages fermés, rides tendues, lèvres pincées, ce fut c'est la fin le début on ne sait mais ça va durer.

Le chat noir est arrivé, s'est allongé entre nous, le printemps s'éternisait, il ne pleuvait plus du tout, s'il ne pleuvait plus jamais, si la Normandie devenait comme une Castille brûlée, jaune, sèche comme amadou, si l'on battait le briquet? 

Nous nous sommes lovés sur le lit pour regarder des Fellini, nous avons marché dans les bois n'y avons pas trouvé le loup, nous n'y avons croisé personne, alors nous avons compté les fleurettes, les jacinthes et les anémones, les coucous et boutons d'or, l'ail des ours et la clématite, et jusqu'au chèvrefeuille. Nous avons vu fleurir les haies et les fruitiers, puis les pétales sont tombés, blancs et roses et l'on a su que viendraient les fruits quand-même, cette année même où tout s’interrompait, les avions dans le ciel, la communion solennelle, il y aurait des prunes après la fin du monde, des mûres plein les ronciers mais qui pour faire les confitures? La bassine en cuivre et l'apocalypse, fable d'un été, s'il restait un fabuliste.


dimanche 23 février 2020

Chants d'oiseaux

C'était si commun, les merles, le père en tua tant à Honfleur, en dénicha, en goba les œufs bleus sous nos yeux dégoûtés, j'en ai mangé enfant des merles, on nous les donnait à manger et nous aimions manger les merles, les grives, les étourneaux, les tourterelles et les vanneaux que le père braconnait, si navrant, et nous le regardions les achever sur une arrête de pierre; ni toi ni moi n'avons jamais chassé. Je connais les alertes des merles, leurs sifflements galants, dès avant le printemps, comme dans le poème de Gautier, je suis plus merle que cygne, aigle, albatros, ils me sont  bien plus familiers les merles, ils sifflent de plus en plus tôt, de plus en plus rarement les merles, comme moi déboussolés, comme moi amoureux cependant -mais chez moi c'est l'aimé qui siffle et qui chante- j'aurais aimé que tu l'entendes, on se serait rappelé tous les chants d'oiseaux que nous connaissions, tous ces chants raréfiés, l'alouette au dessus des champs, la grive musicienne et le merle moqueur, le merle enivré des baies de buisson ardent qui pénétrait parfois dans ma chambre en titubant, il suffit d'un merle dehors dont le chant s'épanouit, triomphant, bagarreur, pour que tout revienne un instant, toi comprise.

lundi 17 février 2020

Voyage d'hiver

Si tu voyais où nous en sommes, tant de bêtise accumulée, en cinq ans ce qu'il s'est passé, la course à l'imbécilité, ce n'est pas de ce qui console, pulsion de mort, petite mort pour les plus gâtés, mourir de jouir, s'évanouir d'inanité, ce n'est pas ce qui te consolerait. Courir vers le rien, n'y rejoindre personne, traverser son propre reflet, certains s'en sont satisfaits, chacun pour sa pomme tossée, pourrissant sur pied, si tu voyais où nous en sommes. Il faudrait éteindre la radio, écouter Le Voyage d'hiver, Dietrich Fischer-Dieskau, il faudrait s'abstraire, mais quoi, dans cet hiver sans neige, quelle trace laisse le voyageur qui s'évanouit, quel cortège, peu de corbeaux et pas de neige, un malheur tiède, des ragots de réseaux sociaux, il faudrait se taire, se fondre sous les nuages acides, s'enfoncer dans la fondrière qui cette année n'a pas gelé. Mieux vaudrait fermer ces journaux, les rouler en cornets, battre les chiens de notre rage, regarder la pluie délayer l'encre noire, désirer le soir, le retour de l'aimé, il aime Schubert, j'aimerais l'entendre chanter Le Voyage d'hiver, ça qui nous consolerait.

mardi 4 février 2020

Anticipé

Le jour ne se lève pas, il a raison le jour, si la nuit l'emporte, que faire de mieux en février que se coucher en écoutant la pluie tomber mezzo forte sur la fenêtre et sur la porte? Hier c'était printemps, prunus en fleurs à Clermont-Ferrand, printemps menteur qui souriait de ses dents en or, des premiers pompons des corêtes du Japon. Tout se hâte, course folle vers le rien de nos assouvissements, tout à la fois précoce obsolescence. Bientôt cinq ans que tu es morte, moi aussi je suis en avance, et déjà ta dernière sortie c'était pour t'enchanter de tulipes anticipées sous ciel de mai, en mars. Un chat en chaleur miaule comme un nourrisson, une petite chouette a survolé la route, fantôme minuscule dans le pinceau de mes phares blancs. J'y voudrais voir des signes mais je n'y comprends rien, me fais l'effet d'être un augure analphabète, ce que je consigne m'échappe, je le sais bien, au moins me suis-je ainsi étourdi de vie, au moins la main de Tanguy, qui dort mieux qu'il ne dit, la main dans ma main les nuits d'insomnie, au moins le rire de Tanguy qui perle et qui cascade et c'est amour en moi et cette année encore je vais passer l'hiver.

mercredi 29 janvier 2020

Ere dernière

Il reste si peu à vivre, un hiver sans neige, un été sec où les arbres seront autant de mèches d'amadou et des milliers de mains pour battre le briquet. Attendons-nous aux cris des bêtes en feu, au ventre blanc des poissons à l'envers dans les restes des rivières, à la suie sur des peaux en sueur, aux innocences répétées contre toute évidence, à l'eau souillée des puits taris. Encore une pointe à 40, et les hêtres grilleront dans les forêts domaniales. Tout est allé si vite, à peine es-tu morte qu'il n'est déjà plus temps d'avoir peur, la terre part en poudre, notre vie quenouille, et les fleurs mauves jaunissent dans des herbiers obsolètes. Qui fleurit tant qu'il pleut, qui flétrit au soleil, il reste si peu de vivants que la vie même est crémation, enterrement, il sera bref l'anthropocène, un spasme, un égarement, trois gouttes de sperme sur un fer chauffé à blanc.

mercredi 8 janvier 2020

Fondu au gris

L'air est tiède il faudrait que ça gèle mais ça fond dans la brume un gris de plomb, tu pourrais en ressurgir, tu pourrais dire me revoilà, mais bon tu ne reviens pas, je n'en reviens pas que ce soit sans retour, dans la tombe pour de bon, enfants on aurait dit c'est pour de vrai, le bon le vrai, le grain l'ivraie, elle prend tout ma phrase invertébrée, dans son chaos réverbéré elle répète ce qu'elle peut dire, ce que pleurent les malheureux dans les trous de leurs dents, l'espoir est un boniment, tu es morte évidemment, et tu es morte juste avant qu'on s'assure du pire. Tes cendres ne brûleront pas dans le grand incendie, tu ne te noieras pas dans la montée des eaux, tu ne pleureras pas le silence des oiseaux, tu ne nous entendras pas nous mentir; tu fus avant la fin du monde, il s'en est fallu de très peu, je regarde, je te dis ce que tu ne peux entendre, je n'ose plus former de vœux, j'ai fini par comprendre, mais je te parle encore un peu.

dimanche 8 décembre 2019

Hantez comme on danse

Bonsoir mes morts, revenez-vous hanter ? Je vous attends les bras ouverts, je ne veux pas vous effrayer, les ombres, je sais vous embrasser, je n'ai rien à craindre du passé, entrez. Hantez comme vous êtes, vous êtes ici chez vous, des vieux fauteuils, une armoire disjointe, du fourbis à cent sous. Ma mère au café trop fort, ma sœur au thé vert brûlant, il fera chaud, il fera doux, nous boirons en croquant des gavottes au chocolat au lait. Arnaud nous rejoindra, c'était son anniversaire, Marie le lui a souhaité, et la photo publiée montre qu'elle aussi sait se faire hanter, que c'est doux, en effet: les fantômes de l'enfance perdue valent ceux de la jeunesse enfuie. Vieux de vous, mes morts, mes souvenirs sont vos autels lorsque la nuit s'étend trop tôt .

mardi 12 novembre 2019

Le choix des plages

Les plages de la presqu'île n'exposaient pas aux mêmes vents, c'était un art de décider où l'on irait tendre serviette, un art spéculatif, augurer du vent, une discutaille scolastique: la plupart du temps, nous allions au plus près, à Port-Lin à deux pas, à Valentin, à peine plus loin, pour un sable plus fin, pour des rouleaux plus amusants. On ne pêchait pas à Valentin, pas de rocher pour se couronner les genoux, on se baignait voilà tout. Les grandes cousines (toute cousine était grande à notre aune, seule Véronique avait notre âge, mais elle était en Amérique, elle ne venait pas si souvent), elles portaient toutes des bikinis et  elles bronzaient comme si leur vie en dépendait elles bronzaient à en peler, les cousines à la peau sèche. Nous n'aimions pas trop lézarder, l'enfance n'a pas de temps à perdre, nous creusions des canaux, nous faisions des pâtés, tous les après-midi c'était barrage contre l'Atlantique, c'étaient remparts, c'étaient polders, et chaque jour la mer déjouait nos dispositifs, et si par extraordinaire, elle se retirait sans avoir abattu nos petits jérichos, nous les piétinions de nous-mêmes avant, à notre tour, de nous retirer pour le soir, les cheveux rêches et la peau salée.

mardi 5 novembre 2019

Port-Lin

C'était un drôle de chapeau rouge que tu portais, un bob on disait, un bob de coton rouge doublé d'un tissu éponge fleuri, une drôle de cloche sur ta drôle de tête de petite fille aux cheveux courts, la cloche couvrait ton épi, te gardait du soleil sur la plage. Était-ce le soleil ou le sel de la mer qui te faisait  blondir, je ne sais, sous le bob même tu blondissais, une blondeur de provision qui disparaitrait à la rentrée à peine moins vite que le bronzage -c'était un temps où il fallait  bronzer, les mélanomes on s'en fichait, on ne savait pas que ça existait. Tu étais donc blonde et bronzée sous le bob de plage, le parasol c'était pour la tante Annick, le privilège de la rousse qui ne bronzait pas mais brûlait sitôt qu'on la sortait de l'ombre. Sortir de l'ombre elle n'y songeait pas, concentrée sur les diminutions d'un tricot savant, c'était la reine des pulls à torsades, une  parque siglée phildar qui au cœur de l'été travaillait à l'hiver. Nous, nous n'étions qu'enfance, j'entends par-là présence pure à l'instant même de la joie, sous le soleil nos pas sans ombres à peine alourdis par  le sable grossier de Port-Lin, dévorant les pains de seigle au raisin, les tartines et le chocolat Poulain.

mercredi 30 octobre 2019

Le mot qui manque

Je devrais ce jour gris corriger des copies, tant pis, je procrastine, ma vie passée à procrastiner, ça me connaît, tu t'en souviendrais, mais il fait si gris que je farfouille, et qu'au hasard du net, j'entends ce mot nouveau dans une chronique écolo, solastalgie. C'est australien ce mot, cette forgerie, ce qu'elle signifie, la nostalgie du solace, de la part heureuse du monde, du refuge, du gîte où demeurer pour reprendre souffle, du souffle-même, qui sait ? Un mot d'aujourd'hui qui pleure hier, un tout petit sanglot contrit d'enfant gâté devant le jouet cassé, la fête gâchée, quelque chose meurt dans ce mot, quelque chose ment aussi, dans l'anthropocène nous ne savons plus nommer, j'ai pas les mots, ce qui se dit, dans ce monde épuisé le premier manque est langagier.

mardi 29 octobre 2019

Remède à la mélancolie

Plus que moi pour me souvenir, ça qui m'attriste, ça qui me pèse, de notre enfance seul dépositaire, le dépôt j'en croulerais parfois, parfois je me fais l'effet d'un centenaire, Tanguy lève les yeux au ciel, dans ses yeux clairs je n'ai pas cent ans. Au moins m'est-il donné de vieillir, ça que tu m'aurais répondu, incontestable ça, la chance de tous les matins, même les plus maussades, même quand on a mal aux dents, mal au dos, qu'on est plus perclus que la vierge aux sept douleurs, que nos rêves ont des allures d'ossuaires, la chance que tu n'as pas eue: tous les matins me tombe dessus la surprise du survivant. Et si mélancolique je trouve cette chance amère, ou plus précisément, je la juge injuste comme une fée avare qui ne t'accorda aucun vœu mais m'exauça sans que pour ma part j'aie rien demandé, le rire de Tanguy me rappelle qu'il n'y a rien à justifier, qu'il s'agit maintenant de se saisir des joies qui restent, la surprise d'une lumière d'automne, le bonheur de ses bras au réveil, cette chance insensée, ce souffle sans rose des vents.

mercredi 23 octobre 2019

Aucun sens

Ils sont curieux les rêves, j'en fais peu, m'en souviens encore moins, pas ce matin où rendormi dans les bras tendres de Tanguy, j'ai rêvé, pas de toi mais d'Arnaud, du père, de maman dont je découvrais qu'elle s'était remariée, de fruits de mer, de côte rocheuse, de paysages inchangés, d'enfants non identifiés mais familiers, d'un océan méconnaissable. Le poissonnier ne vendait que des produits transformés, je voulais des étrilles et des bouquets, tant pis si c'était cher, je les voulais vivants, cela l'étonnait le poissonnier, je tenais bon, Arnaud était déjà malade, avec un cancer les envies se font rares, alors l’envie de fruits de mer il fallait bien la satisfaire, souscrire au rituel de notre amitié, acheter les crustacés, tout cuire moi-même, il a cédé le poissonnier. Mais la mer a monté dans le sac de crabes et les étrilles s'en sont allées avec la marée et je suis revenu bredouille à l'hôtel inconnu où une chambre m'était allouée, j'y ai croisé le père, lui ai dit que ça avait bien changé, la côte rocheuse, le poissonnier qui ne vendait plus que des filets et des plateaux tout préparés, vingt-cinq ans que je n'y étais pas retourné, le père m'a dit qu'il regrettait, ce n'était plus le moment des regrets, aussi l'ai-je planté là pour retrouver maman dans une autre chambre, qui m'a présenté son nouveau mari -en fait, je le connaissais déjà- puis au détour d'un couloir, un magasin de disques, récemment fermé, et le regret de ne rien y pouvoir acheter. Au moins n'est-ce pas un cauchemar ai-je pensé juste avant de me réveiller et de tout raconter à Tanguy qui m'a gentiment écouté pendant que, racontant, je mesurais combien tout cela n'avait aucun sens.