Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 26 juin 2021

Bernay

Je suis revenu à Bernay, dans  le lycée où j'enseignai voici trente quatre ans passés. Les élèves n'ont pas changé à Bernay -le merveilleux de ce métier, les élèves ne vieillissent jamais. Ils ont préparé leur oral de français, j'écoute à Bernay des élèves me parler des Cahiers de Douai, ils ont l'âge de Rimbaud, ne se privent pas de le préciser, au cas où ça ne se verrait pas assez. Entre deux, je regarde par la fenêtre la vue sur la rue en contrebas, quelques arbres, un toit terrasse, le temps qui passe, il passe vite le temps à Bernay, hier soleil aujourd'hui frais, et le professeur maigre qui débutait tutoie la retraite et le surpoids désormais. Que s'est-il passé à Bernay, quel baiser enchanté m'a fait vieillir en un clin d'œil, quelle sorcière m'a jeté le sort qui m'alourdit, étoupe mes yeux clairs, dégarnit mon front, et dépeuple ma maison de ceux qui me furent chers? Il ne se passe rien à Bernay, une crue de la Charentonne, il a plu, l'eau coule sous les ponts -un élève parle d'Apollinaire, de Marie Laurencin de la virgule manquante qui change tout. Rien ne change à Bernay, ce que je voudrais croire dans ce lycée désamianté, restructuré, débarrassé de son carrelage violet, et je regarde la pluie tomber par la verrière qui n'existait pas lorsque j'y enseignais. Une jeune fille masquée stabilote "Automne malade", j'écris sur des feuilles de brouillon vertes à Bernay où le temps s'accélère que je regarde défiler devant mes yeux fatigués, l'âge de mes artères on dirait.

dimanche 13 juin 2021

Un herbier

 Voici le temps des digitales aux tiges carillonnantes dont les sucs portent au cœur -qui les croirait si puissantes, ces clochettes mauves qu'agite le vent sur les lisières des bois, les fossés du bocage? Il faudrait savoir nommer toutes les plantes, que notre langue soit un herbier, et que les nommant, nous les sauvions de l'extinction qui nous pend au nez, nommer les simples et les poisons, les roses capiteuses, les pavots chiffonnés, nommer les sortes de cerisiers, les distinguer des merisiers, dire la joie de l'estragon, du thym citronné. C'est là que démunis nous comprenons qu'à vivre loin des jardins, nous avons oublié les noms, trop de noms qu'on cherche en vain, on rêvait d'un herbier mais l'on reprend le dictionnaire, dans l'ombre fraîche de la maison, et l'on cherche les noms qui ne reviennent pas.