A midi, après le marché, le ciel s'est déchiré, cela m'a décidé, je suis repassé à la maison prendre des chaussures de marche, j'ai rejoint Patrick et nous avons promené son chien fou dans la forêt d'après la pluie, son chien roux dans le feu des fougères, son chien fougueux la truffe en l'air, voir son chien joyeux faire un sort à chaque flaque, se rouler dans toutes les ornières, et le long des talus j'ai trouvé des chanterelles cendrées, un petit cèpe, un bolet bai, et c'est à toi que j'ai pensé, penché sur ces champignons tardifs. Les chanterelles cendrées c'était tout ce qu'il restait forêt de Marly, quand en novembre il avait gelé on en trouvait encore sous les feuilles des châtaigniers, on se piquait les doigts sur des restes de bogues, souvent elles étaient grosses, détrempées, les chanterelles cendrées, Cantharellus tubiformis, craterellus cyreneus, tu rirais que me reviennent les noms latins des champignons qu'à dix ans, érudit comme le sont les petits garçons sur les dieux grecs, les poissons d'eau douce, les bivalves, les papillons, les batailles de Napoléon, j'avais appris par centaines, qu'encore parfois me reviennent les noms, les noms latins des champignons que nous aimions.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
dimanche 26 novembre 2017
mardi 21 novembre 2017
Tôt ou tard
Tu n'aimais pas ces mois où la lumière renonce, les jours brefs, de rouille, de brume et de lampadaires falots, moi peut-être plus enclin aux lichens, aux mousses, aux fougères roussies, aux brouillards accrochés jusqu'aux ponts de la Risle, ces ombres elles protègent, le monde est si violent qu'il faut prévoir des refuges, des échappements. Je pourrais chanter comme on pleure, mais je tends vers l'hiver, j'entends par là que je me terre et que je guette les signaux infimes de ton spectre, il y a de toi partout, il suffit d'être disponible, il suffit de laisser la place et luit encore un peu -mais pour combien de temps?- le yo-yo de l'enfance dont je suis reliquaire. Ils ne m'effraient plus guère ces jours de fin du monde, c'est trop tôt tu dirais de la nuit, de la maladie, du matin tragique où s'épuise l'espèce à consumer son bien. C'est trop tard depuis toujours trop tard, nul n'a sauvé personne, il n'est que de se cacher et d'attendre, le jour dernier, le goût de cendres, le couteau du boucher.
lundi 13 novembre 2017
Pluie de novembre
Il a plu tous les jours derniers, plus que de raison, à faire déborder les fossés, il a plu jusque dans mon grenier, par infiltration, le long de la cheminée, jusqu'à la pièce débarras, il a plu comme l'an passé le soir de la mort de maman, il semblerait qu'il pleuve de la même façon, me voilà trempé. Il est gravé le nom de maman sur la tombe, ça a pris presque un an, redoré le nom des grands parents, il peut bien repleuvoir sur l'or de leur nom, ça prendra bien trente ans pour que l'or se ternisse, ça fait bien des averses sur la pierre bleue de Vire et bien des rhumatismes pour mes mains douloureuses, avoir mal c'est vivre encore, admettons. Tu aurais aimé vivre assez vieille pour souffrir de rhumatismes, tu aurais enduré la pluie avec bravoure, ça ne t'aurait pas terni l'humeur, mais il pleut sur la pierre gravée et c'est sans toi qu'il pleut.
samedi 11 novembre 2017
D'où l'on vient
Se rappeler d'où l'on vient, ce qu'on a quitté, nos racines ils diraient, et je pense à Mathilde dans la pièce de Koltès, "Mes racines? Quelles racines? je ne suis pas une salade!", comme elle a raison l'emmerdeuse, l'empêcheuse de tourner en rond, tu devais aller voir cette pièce à sa création, mais la représentation fut annulée, je ne me souviens plus bien pourquoi, il y avait une raison forcément, tu ne l'avais donc pas vue, c'est dommage, il y a du réjouissant dedans, de la tribu catholique malmenée, des filles perdues, des notables à tondre, un parachutiste noir qui descend des cintres pour fonder une nouvelle lignée, on aurait tellement aimé cela, que la tribu soit malmenée à proportion du mal qu'elle avait fait, qu'elle s'ouvre enfin, mais non pas moyen, elle s'enkyste, se réduit, se reproduit, et le parachutiste n'est pas né qui viendrait féconder son ventre mort et blanc. Ca donne des parents pourris, des cousines meurtries, des Atrides aux petits pieds, des gens qui vont manifester contre le mariage des pédés pour oublier l'inceste, le poison des familles, l'ADN des haines et des désirs tordus. Se rappeler d'où l'on vient, le chemin parcouru, l'arrogance des masques de vertu, ce qu'on a quitté, ce qui nous tue.
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