Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mercredi 29 mai 2019

Méforme

Elle n'est pas pour moi la grande forme, pour toi non plus conséquemment, tu n'attendais pas  vingt-quatre chants de ton frère en lui mandant d'écrire, pas un roman non plus, peut-être un testament?
Je n'aime pas vraiment la matière de Bretagne, je ne suis pas du monument, je ne célèbre pas qui gagne et je me fous des korrigans. La veine épique m'est pis que pendre, en ma catholique lignée, seule ma colère fut homérique et je ne sus pas la chanter. Dire qui tu fus, célébrer une enfance sous un soleil mesuré, tes joies, tes goûts, nos doigts rouges dans les framboisiers, oui ça je peux l'écrire et tenter de te susciter, mais je ne fonde rien qui vaille, je tricote sans compter les mailles, cotte mal taillée se déchipote, se défile, s'écaille et si je tiens parole, obstiné, si je m'échine à  t'écrire, sauver de l'oubli ce qui peut l'être, mettre de l'ordre en mon grenier où  la mémoire prend l'eau, c'est au prix de l'informe, du déchant de Corbière. Je connais  trop souvent la fatigue, parfois l'accablement: pourquoi poursuivre un passé  sans revenante si l'avenir se ferme comme un poing sur la vie-même et que bientôt  nul ne se souviendra de toi, car bientôt  plus personne pour se souvenir de quiconque?

mercredi 8 mai 2019

Les vieilles chansons

Tu sais pour te dire, te dire justement, il faut des mots doux comme un linge délavé, un langage criblé -sur le tamis les grumeaux du clinquant. "Le vieux style" elle disait Winnie, la mémoire usée, les mots pour te dire ne seront jamais assez doux, des mots comme des peaux d'enfants des mots voilés comme des yeux de vieille avant qu'on ne leur ôte la taie -"on m'a fait la cataracte m'a dit une voisine, j'en vois que c'est presque trop beau". Il faut  bercer ses morts, leur chanter les refrains d'antan, je te fredonne "Le roi Renaud", "Le pont de Tréguier", "La boulangère a des écus qui ne lui coûtent guère", tous les refrains que nous chantions je te les chante comme ils me viennent par bribes, déformés, adoucis par l'oubli, tu chantais faux mais tu chantais quand même ces mots doux des chansons d'enfance, pas si doux les mots quand on y pense, "Le roi Renaud de guerre revint / tenant ses tripes à la main", panse percée, cœur chagrin, maman c'est cela  qu'elle nous chantait, qu'elle a chanté à tes enfants, et vous deux mortes et tes enfants grandis et moi moins vaillant, ce sont là les mots que je chante seul, les soirs où je sens que tu hantes.