Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 27 septembre 2018

Inconséquence

Et l'abeille morte et la feuille tombée t'auront fait de la sorte une fraternité d'avant-garde, vies brisées juste avant la fin du monde. Moi je vais voir les eaux monter, la mer perdre son sel, je vois déjà la terre partir pulvérisée, ce qui se défait je ne sais mais le sens. Ton absence-même s'absente, ce qu'elle contenait d'absolu s'amenuise, devient l'ordinaire et j'ai peur à nouveau pour des bêtises essentielles, mais j'aime et me hâte d'aimer: cet automne l'œil d'un cyclone et c'est là que j'aime, ce qui m'échoit, aimer quand nul n'aime plus personne, que se dévorent les bêtes que dévorent les hommes qui abattent les arbres, épuisent le sable des grèves, et creusent les veines de la terre épuisée, à contretemps j'aime et je vis comme si les jours n'étaient pas comptés de l'espèce, de la terre, de la vie-même.

lundi 24 septembre 2018

Vallée de la Véronne

Ce matin revenant avec la lumière le froid comme un retour à l'ordre un aperçu d'octobre, les trois degrés affichés sur le tableau de bord et le cristal de givre bleu qui signale un danger de verglas, j'ai pris mon détour préféré, la petite route après le lieu-dit des Egyptiennes -pourquoi les Egyptiennes, je ne sais toujours pas- suivi la vallée de la Véronne dont le soleil enfin perçait les brumes claires de la rosée très blanche qui s'évapore au fond des prés. Combien de fois l'ai-je emprunté ce lacet de goudron que transperce l'herbe au centre de la voie, combien de fois ai-je marché là, j'y ai marché avec toi, Thibaud était petit, Thalie presque encore un bébé, Bastien était-il seulement né? -je ne m'en souviens pas. C'était l'été, Stéphane en était aussi de cette promenade, et d'autres fois, seul ou non, jusqu'à la fontaine Fiacre ou la chapelle Saint Firmin -c'était en mai, avec Tanguy-, dans les bois avec Andrew, sous la neige avec Laurent, tant de neige qu'il avait fallu faire demi-tour, il avait tant neigé ces années-là où tu étais tombée malade, où maman était tombée on ne sait trop comment, avait manqué d'y rester, ces années blanches et lourdes où il fut bien rare que je puisse, après les Egyptiennes, prendre mon détour préféré voir les baudets paître et les oiseaux s'envoler.

dimanche 16 septembre 2018

Post-Scriptum

Je ne t'écris plus, des mois que je ne t'écris plus, j'aime, ne t'oublie ni ne te trahis mais j'aime et me voici vivant ma morte, il s'appelle Tanguy celui qui, tu ne le sauras pas, mais c'est lui qui me fait sourire au matin, lui le nom de ma joie, le vœu de ma chanson. Tu es morte avant la fin du monde, cinq ans dit Bowie, deux répond l'ONU, qu'importe, je prends, je suis vieux et j'aime Tanguy et marcher sous l'ombre des arbres qui restent. Nous, il faudrait s'arrêter, ralentir le mouvement, se faire arbres si possible, pas morts comme morte tu es, mais arbres lents aux souffles verts, s'arrêter si possible, ne plus brûler ce qui nous permet d'être, ne plus dévorer mais aimer, savourer le présent, le désir revenu par inadvertance, la joie d'un souffle partagé jusque dans le sommeil, il s'appelle Tanguy celui qui me fait vivre dans la mort de l'espèce, deux ans, cinq ans, aimer je prends.