Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 24 juillet 2016

Des bêtises et des baisers

Les gens me disent ce qu'il en est, ce qu'ils retrouvent. Ils me surprennent les gens, qu'ils t'aient connue ou non, ils se retrouvent ou pas et me le disent gentiment. De Villepreux, de Chavenay, de Feucherolles où vivait Sheila, leur enfance croisa la nôtre, et parfois ils sont restés là, ceux des lotissements, et ceux des vieux villages, et ils me rassurent sur les marronniers de l'avenue du mail, sur la statue de la mère et l'enfant au bout du chemin de Rambouillet et ils m'attristent en m'informant que la piscine du Prieuré où nous apprîmes à nager est détruite dès longtemps, idem, je crois, du Théâtre-MJC où tu appris l'art des émaux -tu n'étais pas très douée. Le collège Léon Blum n'est plus sous la voie ferrée mais à la place de la pépinière où il ne fallait pas aller, on y fumait de la drogue cancanaient les mères inquiètes, et comme moi -enfants obéissants et sages- tu n'y allais pas. De fait, ils me disent les gens que ce n'était pas ça, mais le lieu caché des bêtises et des baisers. Nous le soupçonnions je crois, mais nous n'y allions pas, les baisers nous n'aimions pas ça. Ils me rapportent des noms des lieux les gens, ils me font mesurer combien j'ai oublié. Cela revient pourtant, dans ce retour un peu de toi, grâce à ceux qui gentiment précisent, nomment corrigent, grâce à eux je me souviens mieux du Beffroi, de l'église laide, du Nova, de la boulangerie Gouin aux colliers de bonbons et coquillages collants. Je nomme à mon tour les gens qui nomment, les gens qui m'aident, Patrick, Elise, Catherine, Nicole, chacun rapporte ce qu'il peut, j’accueille tout, tout m'est précieux.

vendredi 22 juillet 2016

Tombé pour la France

Notre adolescence, une chanson d'Etienne Daho, tu chantais faux cela n'avait pas d'importance, j'aimerais t'entendre fredonner un air léger comme la jeunesse, reprendre le "n'importe quoi" de Tombé pour la France. Tu dansais un peu raide, nous n'étions pas doués pour la danse. Je me lève ankylosé, songe à la jeunesse envolée, je m'assois dans la lumière d'été et comme chaque matin je pense à toi, je fredonne le "n'importe quoi" de Tombé pour la France. Tes enfants chantent d'autres chansons mais c'est la même légèreté, puissent-ils chanter longtemps des refrains abscons, puisse la chanson durer, qu'importe qu'elle n'ait pas de sens, pourvu qu'elle étincelle dans les poussières d'été.

jeudi 7 juillet 2016

Le tour de la Pointe

Je tourne autour du tour de la Pointe, un tour de rien de tout, sept kilomètres sur mon compteur de vélo, c'était le tour et c'était tout, notre balade à bicyclette les jours où il faisait beau. Quand il pleuvait c'était en auto que les gens trompaient l'ennui en cherchant une crêperie, en regardant les flots gercés par la pluie. C'était la honte aussi, lorsque le père qui buvait trop décidait d'un tour en auto, avec nous, les cousins de passage, les jeunes comme il disait -quand il buvait il prétendait avoir dix-huit ans. Il prenait le volant bourré, roulait lentement pour observer les gens qui marchaient sur le port, le long de la côte, et désinhibé, s'épanchait en saillies sur les filles qui passaient, les décolletés, les robes courtes d'été. On aurait tant voulu être ailleurs, on avait envie de demander pardon à toutes les filles insultées, on priait pour qu'elles n'entendent pas ce qu'il disait d'elles, il parlait haut et fort. Nous étions les enfants d'un porc, qui jouissait de notre honte, nous regardant par le rétroviseur. Qu'il était long, alors, le tour de la Pointe, qu'elle était lourde l'existence, impérieuse l'évidence: il faudrait, pour survivre, rompre le cercle, et ne rien reproduire qui puisse lui ressembler.

dimanche 3 juillet 2016

Lorsque Chéreau est mort

Le lendemain de la mort de Chéreau, qui nous avait tant dit du monde et du désir, tu as pris la voiture et tu es retournée voir la maison blanche où le père n'était pas. C'était octobre après l'été d'Elektra, jamais je n'avais pleuré comme cela, de ce que Chéreau savait du frère et de la sœur, du sang des familles. Tu es partie ce lundi-là d'octobre, jour de lumière sur la presqu'ile, tu es passée devant la maison blanche et vide, tu as fait le tour de la Pointe, tu as reconnu sans reconnaître les lieux qui nous ont faits, qui nous ont défaits, et tu as pris la rue des coquillages, jusqu'à la petite plage d'où jadis nous partions sur le Traict en planche à voile surprendre les oiseaux près des marais salants et nous émerveiller de la rouille des salicornes, de l'améthyste des statices et du bleu des chardons de sable. Tu m'as dit plus tard, que ce lieu était celui où tout retrouver, lorsque je voudrai, à mon tour, me retourner. Tu étais déjà malade, et toi aussi, tu allais mourir, et lorsque tu as appris la mort de Chéreau, du cancer lui aussi, tu es partie et tu es passée à Port-Lin, et tu as longé la villa de granit où le grand-père tâcha d'avoir une pelouse qui grillait à chaque tempête, tu as longé la plage, dépassé le Club Mickey où nous avons fait de la gymnastique, la plage où Chéreau –le savais-tu ?– a tourné Son frère que je n'avais pas voulu voir. Tu as dû repenser à La solitude des champs de coton, dans cet hiver glacial à la manufacture des œillets d'Ivry, il jouait brutalement et dansait comme un ours sur un morceau de Massive Attack, nous étions ressortis altérés, jamais nous n'avions vu plus fort que ce théâtre-là, cette vérité des corps. Le lendemain de la mort de Chéreau, tu as fait le tour du passé, pour vérifier que tu vivais encore.