La grand-mère au chignon érectile nous accueillait avant son édification, en cheveux, au petit déjeuner, nous faisait manger dans la cuisine de la grande villa où le soleil donnait déjà sur le petit escalier de granit. Combien d'épingles pour ce chignon-là? Une broche pour fermer mieux encore le chemiser surboutonné, un sourire mesuré: elle était habillée. Notre mère était fatiguée, notre mère devait se reposer, il était trop tôt pour se baigner -cette famille de médecins, cette famille malade craignait l'hydrocution. La sieste de maman, la grand-mère au chignon cendré y veillait comme lait sur feu (nous étions le feu?) et du déjeuner jusqu'à trois heures, pour une éternité nous étions confinés dans notre chambre, voués à l'ennui, sommés au silence: la grand-mère au chignon sans toupet avait l'autorité taiseuse. Et, enfants dociles nous attendions entre livres et chuchotements que maman nous revienne de son sommeil, de cette fatigue dont clairement nous étions coupables, et ce confinement la punition de notre faute originelle. Le malheur de maman, j'entends son malheur de femme, les crimes du père, on ne sut jamais ce que, sous le chignon argenté, la grand-mère en pensait. Tu sais, je crois qu'au fond, elle pensait peu mais défendait le nœud de vipères qu'elle avait engendré.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
samedi 30 septembre 2017
jeudi 21 septembre 2017
Me revient de dire
Ce qui demeure, l'indiscutable, je peux en parler, dire comment lors de tes dernières semaines tu fus l'implacable, la vérité-même pour tous à propos de chacun, et c'était une lucidité malheureuse d'impuissance. A tes enfants seuls tu épargnas tes craintes, à chacun tu écrivis un talisman pour les protéger au futur, encore un peu, jusqu'au bout du bout de tes forces. Cassandre ce n'était pas toi, tu ne fus Cassandre que mourante, mais en effet tout s'est abattu comme prévu par toi, je n'avais pas trop voulu l'entendre, les échecs, les deuils de provision, les petites pulsions de la médiocrité, les trahisons de mauvaise bonne foi, tout a eu lieu exactement comme tu le craignais, tout est consommé. Cassandre ne maudit pas, elle dit juste le malheur, en souffre, et nul ne la croit. Tu fus Cassandre quelques jours, ces quelques jours qui me reviennent quand je regarde autour de moi, que c'est désolation, cendres, statues de sel.
Je me souviens alors que tu ne voulais pas de cela, là aussi tu avais été claire. Me revenait de dire, te dire toi dans l'ombre, la lumière, ce que tu m'as demandé, ce que je t'ai promis. J'essaie, et quand partant vers d'autres paysages partagés, s'offrent des fenêtres ouvertes sur des plages ou des fleuves aux bleus affolants, mi-Klein, mi-Patinir, me revient une enfance d'une couleur outrecuidante, je me relève alors et je tiens parole.
vendredi 15 septembre 2017
Près de Brest
Cet été là, mes dix-sept ans, tes presque seize et nous partîmes, Corinne, la cousine intime, la quasi sœur avait l'année de plus et le permis. Nous prîmes la 104 de maman, une tente minuscule pour nous trois, pas moyen de se retourner, on y dormit mal, peu importe c'était la première fois qu'on partait ainsi, en liberté parcourir la Bretagne, liberté surveillée, étapes familiales, des gîtes assurés, la tribu idéale. Au moins quittions-nous les maisons du Croisic, au moins c'était l'auto et plus les bicyclettes, passer par Penerf, pousser jusqu'à Brest, il y eut la beauté de l'étier et l'élégant logis de la tante Marie -on ne savait pas ce qu'on sait aujourd'hui, il y eut la beauté de la maison du Relecq-Kerhuon où Linette, que nous n'avions jamais rencontré, nous attendait, elle aussi belle que sa maison, nous les enfants de ses cousins que la famille lui expédiait sans plus de façon. Linette Théréné, je retrouve son nom, une belle veuve inconsolable et gaie, le défunt peignait des marines, il y en avait plein la maison, elle y vivait avec son frère, très âgé pour un trisomique, petit Claude on le surnommait, il lisait passionné le Journal de Mickey, très fier de lire, très joyeux. Et le teckel aveugle circulait au salon. Linette, elle n'a jamais voulu qu'on plante la tente dans le jardin. On avait dormi chez elle, poussé les meubles, Corinne et toi dans une chambre, moi sur un matelas posé dans le salon. Au matin le vieux chien aveugle s'est cogné aux pieds des tables déplacées quand nous mangions au petit-déjeuner des craquelins, du miel, du beurre salé. Avions-nous remercié Linette Théréné, la cousine souriante des pères que nous avions, la veuve du peintre breton dont le nom orne le fronton de la salle omnisports du Relecq-Kerhuon? Il me semble que non, il me semble que tu aurais aimé que je répare cet oubli, que Linette ait droit au merci que méritait sa bonne grâce, sa bonté joyeuse.
dimanche 10 septembre 2017
Pas de revenante
Tu aurais pris -c'est ainsi qu'on dit par ici- cinquante-trois ans cette semaine, et comme à chaque anniversaire je contourne au mieux la douleur, je m'interdis les questions qui rongent, je dresse mes petits barrages, ménage mes déviations, c'est le rituel inutile: la douleur revient, elle connaît tous les chemins, avec elles les questions vaines qui taraudent, c'est donc ça te survivre? Dans ce monde d'après toi, il y a quelque chose du Royaume de Danemark, une chandelle une tulipe un crâne, plus Champaigne que Baugin. Pourtant, tu sais, j'ai gardé le goût des fruits, des sorbets, je n'ai pas trahi nos joies d'enfants, je vais retourner aux champignons, il a plu des seaux les jours derniers, il faut maintenant un peu de lumière dorée, de la tiédeur dans les sous-bois, l'humus est prêt. Je ne me retourne pas tu sais, me retourner serait admettre que je t'aie laissée, que tu serais derrière moi, rien de tel, cette sottise-là je la laisse à d'autres qui font leur deuil, qui avancent, qui tournent la page -ta page je l'écris toujours- ceux-là ont si peur de crever, si la mort était contagieuse? Cette idée seule leur fait claquer des dents. Je te porte en moi et je sais intimement que la Mort n'est pas dans les morts mais dans les gestes des lâches et des oublieux qui ne savent faire ni avec ni sans, qui ne survivent qu'en tremblant que les morts reviennent et tirent les pieds des vivants. J'en aurais une joie païenne si tu revenais de la sorte me tirer par les pieds ce seraient jeux d'enfants mais je sais trop car je te porte que les revenantes ne sont que les ombres des remords de ceux qui ne surent pas aimer: pour que tu reviennes il aurait fallu que tu partes, or c'est en moi que tu demeures.
lundi 4 septembre 2017
Dead Man
Nous avions vu, nous étions jeunes encore, dans un tout petit cinéma -il en existait tant!- près de la mosquée de Paris si ma mémoire est bonne, tu t'en souviendrais, un homme en noir et blanc mourir sans le savoir, voyager sans rien voir que sa propre myopie dans les arpèges électriques d'un fantôme de western, un spectre de poète anglais. Stupid white man disait, si je me souviens bien, un gros indien qui citait William Blake tandis qu'un autre, qu'on ne voyait pas, tendait sur le récit les arcs de sa guitare. Jamais il n'avait été donné, dans un noir et blanc d'outre-tombe, à voir semblable catabase, et jamais spectateurs nous n'avions jusque là cru marcher parmi les morts, entre massacres et trophées, la tête de Mitchum aux cheveux gris beurrés comme un pharaon du Far-West, un fantôme d'après le western, des animaux dont il ne restait, une fois l'homme blanc passé, que des fourrures, des peaux tannées, des bois qui ornent les cheminées. La leçon, nous l'avons comprise, prise pour nôtre, ce qu'il disait ce film d'os, de crânes écrasés et de vers récités, c'est qu'à peine né on est déjà mort, même les jeunes gens sont des fantômes consentants, qu'il faut remonter le temps dans d'improbables chemins de fer, mais que les fleuves, on les descend allongé dans un canoë, on ne franchit pas le Léthé, on en suit juste le courant; il est juste de s'effacer lorsqu'à l'estuaire l'océan vous prend, qu'on en est glacé, mort depuis longtemps, bercé par les vers que dit le gros indien, et longtemps ces images sont restées en nous, même si nous n'en parlions pas souvent.
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