Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 22 décembre 2020

Par la fenêtre

 Douceur des jours au souffle court, solstice, c'est vivre sous la lampe et regarder tomber une pluie tiède sur la pelouse verte et jaune, la terre sombre, les plantes effeuillées du jardin des voisins. Le mur de briques de l'appentis semble cimenté de lichens, et penchent des jardinières suspendues des fraisiers suicidaires de rouille et jaune tendus. Le chat siamois dont Fidelio est amoureux passe, me fixe de ses yeux bleus, pas longtemps, il pleut, les merles sont frileux, les souris rares, le chat se lasse et sort du cadre. Ceci nous dit assez la paix d'ici-bas rien n'advient qui vaille le bond d'un chat siamois.

mercredi 9 décembre 2020

Point du jour.

Le jour point. Encore un jour, à peine un jour, on peut c'est vrai chipoter de la sorte, il est bien court, trop gris, brumeux, c'est un jour, point. Il entre le jour, par la porte vitrée, les fenêtres doubles ou pas, les carreaux fêlés, il entre mal, il entre à peine, et le froid avec lui, mais il entre le jour et je vois la silhouette des chats blottis  dessus le radiateur. Les aubes sont lentes, le jour tarde autant qu'il le peut, c'est décembre et la chappe qu'il faut déchirer pour jaillir, la lumière parfois renonce. Les chats s'en foutent qui voient clair dans la nuit noire, les chats sont mon contraire, je n'y vois goutte, même le plein jour m'éblouit, je passe outre, le jour point, je scrute en astigmate la blancheur des confins.

samedi 14 novembre 2020

Comme personne

 Il avait l'âge de mon oncle, le vieux Jude qui me fut collègue sous un autre nom, il meurt à quatre-vingt-dix ans, dans les jours abrégés de novembre, en EPHAD me dit-on, et je pense à ma mère qui mourut voici quatre ans, en EPHAD elle aussi, ce même pas mot, c'est l'épitaphe des vieillards d'aujourd'hui, pas de quoi être fiers si l'on considère que l'œuvre de Jude, ce fut de graver la pierre. Est-il mort de la COVID le vieux Jude, qui n'était plus depuis longtemps que l'ombre de lui-même? Je ne sais pas, c'est sans importance, c'est la mort ordinaire c'est l'ignoble aujourd'hui, la mort ordinaire d'un vieillard ordinaire qui écrivit comme personne et qui la pierre gravée, s'efface.

dimanche 1 novembre 2020

Polycarpe

Alors il faut fermer la porte, se calfeutrer, qui aurait dit qu'un jour il faudrait se cloîtrer, sortir peu et masqué, qu'il faudrait attester la raison de la sorte? Nous sommes terrés terreux dans le jour embu de novembre, par Toussaint sans cimetière, je n'irai pas fleurir ma mère mais je te reparle ma morte, le cimetière c'est en moi que je le porte, il n'est pas de journée sans que j'arpente ses allées. La Toussaint somme toute je m'en fous, le jaune rouillé des chrysanthèmes ce n'est pas du soleil en pots, tous les saints m'indiffèrent et mes morts je les serre en moi. Tous les saints non car Polycarpe avait raison -puisqu'il faut rendre raison de tout- qui disait selon la légende  Seigneur, à quel temps m’avez-vous réservé afin que je souffrisse ces choses ! et j'aime cette jérémiade qui sonne comme le glas d'aujourd'hui.

mardi 27 octobre 2020

Sans remède

 Nous avons tous perdu la tête et la fête est finie. Des fonds de verre et des odeurs de tabac froid, ce qu'il reste de l'orgie. Je ne fume ni ne bois plus, mais il me semble que chaque matin c'est la même gueule de bois, la même mine de papier mâché, et pourtant on veut jouir encore. Ce qu'il reste ici bas, au matin des postures et des aboyeurs de calomnies, c'est cet acharnement à creuser son trou, fouiller fouir, hure de sanglier au mépris de tout, dans la merde et dans la boue, bouffer, ravager, retourner jusqu'au bout, jusqu'au plus rien du tout, s'en fourrer plein la gueule et roter à la face de ceux que tenaille une faim de pauvres. Ceux-là n'auront rien que le mépris des repus, ceux-là peuvent crever la gueule ouverte, on leur inventera des fautes, on leur trouvera des stigmates, on les proclamera lépreux pour les chasser plus aisément de la ville, hors la vue des nantis, en espérant qu'ils emportent avec eux le poids des souillures dont on les lapide.

mercredi 19 août 2020

Insatisfaits

Le temps s'est refermé sur nous, le ciel s'est assombri c'est fou comme un ciel se couvre vite, et crève sur les chaumes brûlés et les arbres à bout de chaleur déjà roussissant dans la fin de l'été. Les hêtres en auraient pour trente ans avant de disparaître des forêts d'ici, les forêts cinquante ans pour disparaître aussi, je serai mort, n'en saurai plus nouvelle, cela pour seule consolation, c'est maigre, c'est ainsi. Nos pulsions, notre appétit, la manducation de toutes les graines, de tous les fruits, de ce qu'on cueille, ce qu'on arrache, ce qu'on coupe, ce qu'on saigne, toutes les viandes, toutes les pulpes, les amandes au cœur vert, la moelle des os brisés, la sève des tiges nouvelles, nous dévorerons tout, et les sables, les métaux, les oxydes et cristaux, et l'eau et l'air même viendront à nous manquer. Alors ne restera qu'à s’entre-dévorer.

vendredi 14 août 2020

Collapsus

 Et tout a basculé d'un coup, ce n'était plus le temps du tout, un ciel bleu comme peint sur un mur, des rues vides des cafés le volet baissé, des visages fermés, rides tendues, lèvres pincées, ce fut c'est la fin le début on ne sait mais ça va durer.

Le chat noir est arrivé, s'est allongé entre nous, le printemps s'éternisait, il ne pleuvait plus du tout, s'il ne pleuvait plus jamais, si la Normandie devenait comme une Castille brûlée, jaune, sèche comme amadou, si l'on battait le briquet? 

Nous nous sommes lovés sur le lit pour regarder des Fellini, nous avons marché dans les bois n'y avons pas trouvé le loup, nous n'y avons croisé personne, alors nous avons compté les fleurettes, les jacinthes et les anémones, les coucous et boutons d'or, l'ail des ours et la clématite, et jusqu'au chèvrefeuille. Nous avons vu fleurir les haies et les fruitiers, puis les pétales sont tombés, blancs et roses et l'on a su que viendraient les fruits quand-même, cette année même où tout s’interrompait, les avions dans le ciel, la communion solennelle, il y aurait des prunes après la fin du monde, des mûres plein les ronciers mais qui pour faire les confitures? La bassine en cuivre et l'apocalypse, fable d'un été, s'il restait un fabuliste.


dimanche 23 février 2020

Chants d'oiseaux

C'était si commun, les merles, le père en tua tant à Honfleur, en dénicha, en goba les œufs bleus sous nos yeux dégoûtés, j'en ai mangé enfant des merles, on nous les donnait à manger et nous aimions manger les merles, les grives, les étourneaux, les tourterelles et les vanneaux que le père braconnait, si navrant, et nous le regardions les achever sur une arrête de pierre; ni toi ni moi n'avons jamais chassé. Je connais les alertes des merles, leurs sifflements galants, dès avant le printemps, comme dans le poème de Gautier, je suis plus merle que cygne, aigle, albatros, ils me sont  bien plus familiers les merles, ils sifflent de plus en plus tôt, de plus en plus rarement les merles, comme moi déboussolés, comme moi amoureux cependant -mais chez moi c'est l'aimé qui siffle et qui chante- j'aurais aimé que tu l'entendes, on se serait rappelé tous les chants d'oiseaux que nous connaissions, tous ces chants raréfiés, l'alouette au dessus des champs, la grive musicienne et le merle moqueur, le merle enivré des baies de buisson ardent qui pénétrait parfois dans ma chambre en titubant, il suffit d'un merle dehors dont le chant s'épanouit, triomphant, bagarreur, pour que tout revienne un instant, toi comprise.

lundi 17 février 2020

Voyage d'hiver

Si tu voyais où nous en sommes, tant de bêtise accumulée, en cinq ans ce qu'il s'est passé, la course à l'imbécilité, ce n'est pas de ce qui console, pulsion de mort, petite mort pour les plus gâtés, mourir de jouir, s'évanouir d'inanité, ce n'est pas ce qui te consolerait. Courir vers le rien, n'y rejoindre personne, traverser son propre reflet, certains s'en sont satisfaits, chacun pour sa pomme tossée, pourrissant sur pied, si tu voyais où nous en sommes. Il faudrait éteindre la radio, écouter Le Voyage d'hiver, Dietrich Fischer-Dieskau, il faudrait s'abstraire, mais quoi, dans cet hiver sans neige, quelle trace laisse le voyageur qui s'évanouit, quel cortège, peu de corbeaux et pas de neige, un malheur tiède, des ragots de réseaux sociaux, il faudrait se taire, se fondre sous les nuages acides, s'enfoncer dans la fondrière qui cette année n'a pas gelé. Mieux vaudrait fermer ces journaux, les rouler en cornets, battre les chiens de notre rage, regarder la pluie délayer l'encre noire, désirer le soir, le retour de l'aimé, il aime Schubert, j'aimerais l'entendre chanter Le Voyage d'hiver, ça qui nous consolerait.

mardi 4 février 2020

Anticipé

Le jour ne se lève pas, il a raison le jour, si la nuit l'emporte, que faire de mieux en février que se coucher en écoutant la pluie tomber mezzo forte sur la fenêtre et sur la porte? Hier c'était printemps, prunus en fleurs à Clermont-Ferrand, printemps menteur qui souriait de ses dents en or, des premiers pompons des corêtes du Japon. Tout se hâte, course folle vers le rien de nos assouvissements, tout à la fois précoce obsolescence. Bientôt cinq ans que tu es morte, moi aussi je suis en avance, et déjà ta dernière sortie c'était pour t'enchanter de tulipes anticipées sous ciel de mai, en mars. Un chat en chaleur miaule comme un nourrisson, une petite chouette a survolé la route, fantôme minuscule dans le pinceau de mes phares blancs. J'y voudrais voir des signes mais je n'y comprends rien, me fais l'effet d'être un augure analphabète, ce que je consigne m'échappe, je le sais bien, au moins me suis-je ainsi étourdi de vie, au moins la main de Tanguy, qui dort mieux qu'il ne dit, la main dans ma main les nuits d'insomnie, au moins le rire de Tanguy qui perle et qui cascade et c'est amour en moi et cette année encore je vais passer l'hiver.

mercredi 29 janvier 2020

Ere dernière

Il reste si peu à vivre, un hiver sans neige, un été sec où les arbres seront autant de mèches d'amadou et des milliers de mains pour battre le briquet. Attendons-nous aux cris des bêtes en feu, au ventre blanc des poissons à l'envers dans les restes des rivières, à la suie sur des peaux en sueur, aux innocences répétées contre toute évidence, à l'eau souillée des puits taris. Encore une pointe à 40, et les hêtres grilleront dans les forêts domaniales. Tout est allé si vite, à peine es-tu morte qu'il n'est déjà plus temps d'avoir peur, la terre part en poudre, notre vie quenouille, et les fleurs mauves jaunissent dans des herbiers obsolètes. Qui fleurit tant qu'il pleut, qui flétrit au soleil, il reste si peu de vivants que la vie même est crémation, enterrement, il sera bref l'anthropocène, un spasme, un égarement, trois gouttes de sperme sur un fer chauffé à blanc.

mercredi 8 janvier 2020

Fondu au gris

L'air est tiède il faudrait que ça gèle mais ça fond dans la brume un gris de plomb, tu pourrais en ressurgir, tu pourrais dire me revoilà, mais bon tu ne reviens pas, je n'en reviens pas que ce soit sans retour, dans la tombe pour de bon, enfants on aurait dit c'est pour de vrai, le bon le vrai, le grain l'ivraie, elle prend tout ma phrase invertébrée, dans son chaos réverbéré elle répète ce qu'elle peut dire, ce que pleurent les malheureux dans les trous de leurs dents, l'espoir est un boniment, tu es morte évidemment, et tu es morte juste avant qu'on s'assure du pire. Tes cendres ne brûleront pas dans le grand incendie, tu ne te noieras pas dans la montée des eaux, tu ne pleureras pas le silence des oiseaux, tu ne nous entendras pas nous mentir; tu fus avant la fin du monde, il s'en est fallu de très peu, je regarde, je te dis ce que tu ne peux entendre, je n'ose plus former de vœux, j'ai fini par comprendre, mais je te parle encore un peu.