Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 23 février 2020

Chants d'oiseaux

C'était si commun, les merles, le père en tua tant à Honfleur, en dénicha, en goba les œufs bleus sous nos yeux dégoûtés, j'en ai mangé enfant des merles, on nous les donnait à manger et nous aimions manger les merles, les grives, les étourneaux, les tourterelles et les vanneaux que le père braconnait, si navrant, et nous le regardions les achever sur une arrête de pierre; ni toi ni moi n'avons jamais chassé. Je connais les alertes des merles, leurs sifflements galants, dès avant le printemps, comme dans le poème de Gautier, je suis plus merle que cygne, aigle, albatros, ils me sont  bien plus familiers les merles, ils sifflent de plus en plus tôt, de plus en plus rarement les merles, comme moi déboussolés, comme moi amoureux cependant -mais chez moi c'est l'aimé qui siffle et qui chante- j'aurais aimé que tu l'entendes, on se serait rappelé tous les chants d'oiseaux que nous connaissions, tous ces chants raréfiés, l'alouette au dessus des champs, la grive musicienne et le merle moqueur, le merle enivré des baies de buisson ardent qui pénétrait parfois dans ma chambre en titubant, il suffit d'un merle dehors dont le chant s'épanouit, triomphant, bagarreur, pour que tout revienne un instant, toi comprise.

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