Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

lundi 22 mai 2017

Cendre des cendres

Afin qu'il ne reste rien ni de l'air ni du refrain ni de ta mèche épi, ni de tes jambes comme ciseaux s'entortillant dans l'élastique de l'enfance, de ton enfance se défaire afin que vivent les vivants peut-être faudrait-il admettre que tu n'es plus rien je ne peux pas, m'y résoudre impossible j'ai ta voix dans ma tête, tu chantes faux c'est bien toi je ne peux pas ta voix résonne en moi je suis l'escalier d'un château vide. Il faudrait peut-être renaître, ça serait plus sain, une vie sans toi sans le poids de ta mort, on ferait semblant de rien pour qu'il n'en reste rien, la peine un mauvais rêve, on s'en souvient à peine on a dormi toutes ces semaines on ne se souvient de rien. Celui qui se souvient sans doute il le veut bien qui marche sur des cendres chaudes, se trace un chemin de corne brûlée, sachant combien sont comptés ses pas de l'aube à l'aube s'en aller sur place, laisser la place enfin, s'effacer, qu'il ne reste plus rien.

vendredi 19 mai 2017

La peau du lait

Rien ne m'appartient, même pas le manque le vide que je m'acharne à circonscrire, qui me contourne et me déborde, lait brûlé sur le feu -tu n'aimais pas petite, la peau du lait qui se froissait sur les bords de la casserole, il fallait le passer, tu pouvais en pleurer, boire la peau du lait c'était le bord assuré de tes larmes, un drame d'enfant, de chocolat brouillé de phobies indistinctes. Le lait ce n'était pas l'image que je cherchais, mais celle qui t'a trouvée, que je n'attendais pas, toi, la peau du lait, je n'aimais pas le lait, peau ou pas, maman ne nous allaita pas, le lait, maigre ou gras, peu pour moi. Ces soirs où le manque me gagne, où le vide m'emplit, me dépossède du langage et du goût des fruits, rien ne m'appartient plus du temps que nous étions, goût de fraise des bois, jaune des corètes du Japon, si je t'écris c'est de guingois et parfois il me semble que je suis ce canard sans tête qui courait dans le champ de Denise, se survivant sans savoir pourquoi, se survivant pour quelques pas.

jeudi 11 mai 2017

La fête est finie

Alors rien qui ne soit fêlé. On rit encore, maman a ri une semaine avant sa mort, j'ai toujours su vous faire rire, mais aujourd'hui rire m'est effort, j'y consens mais je sais qu'aucune joie n'est pure désormais. Je pense à toi, à vous, comme aux absentes du bouquet, fadeur des plats et des parfums vagues, et pourtant j'ai le goût de vivre, c'est vous survivre qui me déplaît. J'ai beau faire comme si, la fête est finie, vos voix s'éloignent, vos rires ils sont partis je ne sais où, et les airs aimés, évanouis avec vous, je les oublie chansons niaises sublimes mélodies, tant pis je déchante et vous en auriez été désolées. Rien qui ne soit fêlé, nulle joie sans regret de ne pouvoir la partager, rien qui ne soit mêlé d'une veine d'indifférence, la fête est finie, impuissance à vous susciter, j'essaie pourtant. Partis en quenouille, le bal et la danse, on ne roulera plus carrosse, je dis carrosse, pense citrouille, où est passée la noce? Elle a filé en douce, la vie, dans vos souffles appauvris mes héroïques cancéreuses, elle a coulé comme sable entre vos doigts trop maigres et vous tenant la main je n'ai pas su le retenir, souffle court, soupir, rire encore, vous faire rire, rester seul, embrasser des fantômes.

dimanche 7 mai 2017

L'oiseau sur la tête

La dernière photo de maman, en septembre, je m'en souviens je l'ai perdue c'était -puisque tu ne l'as pas vue je la décris- à Branféré, le parc zoologique, elle y conduisait un tricycle électrique. C'est une infirmière de l'EPHAD qui l'a prise, en a fait un tirage sur une feuille A4, la lui a donnée. Elle me l'a montrée en octobre, la photo la faisait rire. C'est une photo singulière, l'infirmière a saisi le moment où maman sourit, surprise: un oiseau s'est posé sur sa tête, elle n'en a pas peur, elle n'a plus peur de rien elle accueille elle sourit à deux mois de sa mort l'oiseau égaré qui n'a pas peur non plus, l'enfance revient, j'ai plaisanté en la voyant, évoqué Saint François d'Assise, ça l'a fait rire à nouveau, et le rire lui fit mal, la tumeur malmenée se rappelant à elle. De la photo nous n'avons plus parlé, et j'ai pris garde à ne plus la faire rire.

lundi 1 mai 2017

Le mal est fait

Le jardin des fruits n'eut rien de l'Eden, ou si l'Eden c'est l'ennui, alors peut-être en fut-il ainsi. On nous lâchait dans le jardin, on nous enjoignait d'aller jouer, maman redevenait fille de sa mère, quant au père il partait marcher loin, nous n'étions pas sans l'envier de pouvoir quitter la maison où nous avons appris l'ennui. Faute de mieux le jardin, guetter les passants depuis la balustre, Marie-la-folle avec son béret beige, pourquoi je raconte cela? Cela t'avait surpris, lorsque pendant tes derniers jours, je t'avais apporté des textes, montré ce que j'avais écrit de notre enfance, l'importance du jardin, Honfleur plus régulièrement que la villa du Croisic, ce n'était pas faux ce que j'évoquais, simplement ce n'était pas non plus ton souvenir, ton point de vue. Je t'ai promis d'équilibrer, la villa s'était envolée, j'avais travaillé à l'oubli, toi tu y étais retournée, il a fallu se souvenir et tenir parole. Pourtant ce jardin j'y reviens, tu comprendrais pourquoi, c'est là que le père agressa Claire, une partie de cache-cache, je m'étais bien caché, je n'ai rien vu, je n'ai rien su, c'est Claire qui te l'a raconté bien après, lorsqu'avec les années tu trouvas la force de dire ce qu'il t'avait fait. Le jardin des fruits fut le jardin de sa faute, Eden brisé de son fait, Eden dont je le chasse à jamais mais trop tard.