Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 16 mars 2019

Quant aux anniversaires

S'il n'était mort un jour de l'automne passé -quel jour, je l'ignore, je n'en fus pas informé- le père aurait pris -c'est ainsi qu'on dit en mon pays de Normandie- quatre-vingt-cinq ans hier précisément. Si je le sais encore, si je suis précis, c'est à toi que je le dois, qui m'as rappelé sa date de naissance voici quatre ans, précisément. Tu étais maigre et farouche, je reviens à ce jour, je l'ai déjà écrit, maigre et farouche oui, ma sœur ce chat écorché dans une chemise de nuit bleue, un corps de tendons tendus jusqu'à rompre et pour rupture ce rire, j'y reviens, ce rire hargneux qui ne te ressemblait pas, pour me dire que cette fois encore, tu survivrais à son anniversaire, tu survivrais au père une dernière fois, "Aujourd'hui je ne peux pas mourir" m'as-tu lancé lorsque je suis entré et moi qui ne comprenais pas, il a fallu que tu me rappelles sa date de naissance, je l'avais oubliée, l'oubli, c'est bon parfois. Si je me souviens, si je suis précis, c'est que je pense à toi, c'est que je pense à mars où tu mourus, aux fleurs de mars si contraires à ta mort, aux autres morts de mars -depuis ta mort, il y en a eu des morts qui me hantent; le père n'en fait pas partie.