Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 30 septembre 2010

La mère de Samuel

Lunaire il a ce visage de Pierrot, sauf que, cramoisi d’entendre sa mère parler de lui comme d’une merde, il lui faudrait bien de la farine, Samuel, pour envisager le rôle. Humilié dans son k-way argenté, il n’ose plus trop me regarder, Samuel aux yeux très ronds d’écureuil mélancolique. La mère, les yeux très ronds aussi, mais d’un bleu si pâle, si lapidaire dans ce visage fatigué qui ne se crispe pas pour condamner Samuel, l’âge bête pour pas dire pire, elle maugrée, s’intéresse à rien, pas trop rebelle pourtant, plutôt moins que les autres. Y fout rien Samuel, jamais de travail à la maison, et si elle est là aujourd’hui, si je l’ai convoquée c’est qu’il y a une raison, c’est qu’il a rien foutu, hein ? Je proteste en vain, elle n’entend rien, grande ourse dans sa fosse. Elle parle d’apprentissage, elle parle de vie active, elle dit qu’il ne s’intéresse à rien, elle dit qu’il ne manque de rien, elle dit qu’il rêve de voitures de sport, elle dit qu’il n’en aura jamais. Qu’elle ne lui paiera pas une année de plus. Samuel écoute. Samuel ne dit jamais rien, jamais. Samuel est toujours sûr d’avoir tort, rouge jusqu’aux oreilles d’être là. Et la mère s’offusque que je ne sois pas du sacrifice, que je demande grâce pour ce garçon dont je sais qu’il produit tous les efforts possibles ; encore un peu, elle s’indignerait qu’il surnage avec ses joues de brique, et si elle le pouvait, elle le lesterait davantage.

dimanche 26 septembre 2010

Réduction

Pour moi qui suis encore lecteur, encore un peu, désormais seuls de tous petits livres, des livres d’une traite, d’une heure d’entre-temps, quand il m’en reste encore. Des livres troublés, des livres de vieux, qui auraient renoncé à l’ampleur du monument, textes de tremblement, vieux Poussin, mauvais soleil, amitié tâtonnée au milieu de feu nos frères.
Ne fulgure que le manque de ceux qui tombant, ne prirent pas la main tendue, ou bien las de cette fatigue au sourire de fatalité douce, la lâchèrent comme pour un salut. Restent de tous petits livres, ceux qui confient ces moments brisés là, restent de tous petits livres réduits à leur nécessité.
Ce n’est pas rien.
Mais presque.

vendredi 24 septembre 2010

Maurice

Vous embrasser, c’était une épreuve, les après-midi de vacances où nous vous visitions. Nous aimions bien Blanche, nous amusaient ses exclamations à notre coup de sonnette, nous l’entendions depuis derrière la porte, “A la bonne heure ! A la bonne heure ! ”, puis les baisers puis le jardin où couraient pour notre plaisir des poules naines et des coqs cayens. Elle vous appelait depuis le bas de l’escalier : “ Maurice ! Maurice ! ”, on vous entendait arriver, ça prenait très longtemps pour le temps de l’enfance, c’était vraiment trop long ces pas mesurés du Parkinson, le frottement de vos pantoufles à l’étage, sur le parquet ciré. Vous arriviez enfin, vous bredouilliez un bonjour qui se noyait dans la salive que vous ne conteniez plus. Vous embrasser bavant, c’était dégoûtant mais obligatoire. Nous étions des enfants dociles, nous embrassions donc, mais cruellement : à votre lenteur d’automate, à votre agonie sédimentée, nous opposions la légèreté d’Ariel, et vous n’aviez pas fini de tendre les lèvres que déjà nous courions hors de vous nous essuyer la joue d’un revers de la main, nous courions au jardin poursuivre les poules naines, les coqs cayens.

jeudi 23 septembre 2010

Programme

La mesure comble ne satisfait personne : il n’est que de vouloir. Ce que nous voulons n’est pas de l’ordre de la dose, ce que nous voulons n’est à l’aune de rien, ce que nous voulons c’est l’absolu même. Au-delà des besoins médiocres, des désirs de fraise, des arômes des marchands d’oublies, des sourires fêlés des candidats sur les placards. Remplir les creux n’a pas de sens, et la plénitude, c’est un bonheur de prud’homme, un fantasme pansu. Autant rêver de diabète gras pour les enfants creux de l’Afrique, autant militer pour les charités obscènes.
Ce que nous voulons ne peut pas se dire, un tel scandale écorche la bouche, ce que nous voulons excède le bon sens, ce que nous voulons passe les bornes : ce que nous voulons c’est l’absolu même, c’est la mesure brisée enfin.

mercredi 22 septembre 2010

Assassin

Puisque les ombres sont, il faut les obscurcir. Nous ne lirons rien dans les entrailles des bêtes, les cendres des bœufs resteront cendres au sens, et rien qui vaille dans les menstrues des vierges. Qui se tient dans les hoquets du monde, je le reconnais. Qui sait qu’il parle une langue étrangère je lui sais gré de son mystère.
Travaillons à la nuit. Toutes les histoires, tous les mensonges, affabulons. Tout est préférable à la vérité si elle prend le visage de dieu, ce profil, cette face de monnaie. Dieu n’a qu’un œil, qui ne nous regardera jamais.
Je choisis la tête coupée des pavots, je choisis la gorge saignante du gibier, la hampe du satyre. Je cours nu dans le pré de vos bergeries, et de mes pas nait le brouillard des énigmes. Compatissant, j’étrangle les vieillards et les petits enfants. Dans ma main palpite une pierre. Je reprends ma course sans rose, je n’oublie pas d’embrasser ma mère, à charge pour elle d’effacer les traces, laver le linge de mon crime.

mardi 21 septembre 2010

Cabotage

Preuve que quoi, preuve que rien mais machinaux, nous marchons sans penser au fil qui relie nos pas, la rose tatouée dans nos mains désigne un nord hypothétique, et le désir nous fatigue au point que nous dormons sans le nommer. La preuve en est que rien ne s’envisage mais l’aveuglement où nous progressons. Rameurs de Kierkegaard, au ciel de lait nous ne déchiffrons rien (et qui déchiffre celui-là ment).
Nous reste la nostalgie du sillage : vieillards nous savons lire toutes les cicatrices. Preuve que quoi ? qu’en nous sont mortes jusqu’à nos souffrances, que nos chairs se sont refermées sur nos nerfs rompus, qu’on n’est jamais que raccommodés.
Reste alors à sauter le pas. L’autre bord ? Rien n’est sûr, c’est déjà ça, rien de sûr sinon que rien ne reviendra, sans retour sauter le pas. Preuve que quoi ? Preuve que rien.

lundi 20 septembre 2010

Asile

Vieilles doudounes, pulls acryliques, pardessus de couleur incertaine, si elle vivait encore, Denise, elle vous dirait couverts comme des oignons, elle vous offrirait du bouillon, Denise, elle se moquerait gentiment à vous voir maladroits de toutes vos frusques superposées. Elle ne comprendrait pas ces herses sur la route, ces enfants coursés dans les bois, les chiens sur les femmes aux jupes à carreaux, les policiers un peu excités par la traque. Vous n'auriez rien pu lui expliquer, elle ne parlait pas votre langue, sa langue à elle a disparu. Mais elle aurait reconnu la misère, elle l'aurait reconnu dans toutes les langues, elle aurait touché les visages des enfants de ses mains ravinées. Et vous auriez reconnu, à ses ongles fendus, ses traces d'engelures, une sœur en Denise. Et vous auriez bu le bouillon gras qu'elle vous aurait tendu.

dimanche 19 septembre 2010

Jusque là tout va bien

L’enfant noyée ne criera plus puisqu’à votre dernier souffle sa seconde mort fut consommée, et vous rageusement lançant des galets de silence de vos bras grêles dans la soupe de jade que la mer mauvaise touille, image impensable que se hâte d’annuler la vague qui bouillonne d’une haine neigeuse, et vous plongé dans l’écriture vous abîmez sans peur ni hâte dans l’avalanche de l’écume.
Vieillard fragile aux jambes de verre, vieillard asphyxié par le deuil, ne respirant que de l’ampleur de phrases aux cadences rompues, vieillard dont l’œil luisant a su ne pas tomber dedans la larme obscène, vous vous tenez au rivage, vertical, comme enfin l’homme se doit d’être, qu’à tout le moins l’instant d’avant sa chute injurie la victoire des choses.

samedi 18 septembre 2010

Fatigue des héros

On vous dira combien l’attente nous fut longue, et comme votre retour nous tardait. Ce disant, à vous voir, qui ne comprendrait pas ? Des revenants comme on dit dans les vieux romans, c’est l’ombre de vous-mêmes qui nous est revenue, vos yeux inhabités, vos regards comme voilés d’un glaucome, à vous voir, comment ne pas comprendre que le retour est l’occasion d’un autre deuil ? Les nœuds de vos mains font trembler les journaux que vous peinez à lire, et comment, revenants, pourriez vous sauver notre écume de l’insignifiance ?
Revenus, vous n’irez pas jusqu'à nous qui vous espérions de si longue date, vous ne parlerez pas les langues dont nous avions rêvé. Quand vous parlez, vos mots sont ceux des marchands d’armes, et vos récits ruinent nos espérances, qui évoquent Tombouctou en ruines, Samarkand en cendres. Golconde, vous en riez comme de vieux chibanis. A cinq heures, vous vous refermez. Dehors, nous vous regardons dormir comme si la vie en dépendait.

vendredi 17 septembre 2010

Bordures 3

A les voir marcher clairs sur le bord de la route, légers dans leurs joggings de toile à parachute, leurs yeux vides sous la casquette bombée par le crâne aux cheveux ras, se dire que quelque chose commence, qu’on ne sait pas encore nommer, que ces corps siglés qui sillonnent toutes les routes de la moindre campagne, vêtus sportswear sans faire de sport, ces corps qui marchent et ne courent jamais ne peuvent pas ne rien signifier, sans quoi il faudrait stopper là, sans quoi il vaudrait mieux se taire.
Ils ne sont pas les fils des anciens cheminots, ils arpentent propres, les fossés, les talus les contre-allées, rien ne les tache, ils ne sont jamais crottés, et leurs corps placides ne présentent pas les creux des errants de jadis. Ceux-là ne fuient pas les petites maisons, ceux-là ne parlent pas en marchant, ni n’invectivent ceux qu’ils croisent. Ils ne tendent plus le pouce et marchent sous la pluie sans révolte, et qui les éclabousse ne les atteint pas. Immaculés ils marchent sans regarder ce qu’ils foulent, indifférents aux mousserons, sans couteaux pour les pissenlits. Ils ne cherchent rien, ils ne demandent rien. Cela ne fait que commencer. Ils ignorent qu’ils me sont énigme, que cette énigme me fait trembler. Leur beauté brutale par la plaine, et l’assassinat du langage.

jeudi 16 septembre 2010

fond/forme

Quelque effort qu’il faille, tracé fébrile, mauvais tableau, faire en sorte que la fabrique soit la seule raison du geste. La beauté blesse, et plus encore, la tyrannie des sentiments : c’est ce serpent-là qu’il faudrait étrangler, que nos mains premières soient celles qui rompent le rampant.
Quant au sens, foutre ! qu’il se fixe sans nous, s’il se peut, qu’il glisse. Nous qui posons les dalles n’avons conçu nulle mosaïque, juste calculé la pente de l’eau, jointoyé le carrelage blanc. Qu’il s’écoule, le sens, nous n’en retiendrons rien.

mercredi 15 septembre 2010

Obstinément

Tisser, cela ne sert à rien, si la nuit la main contredit ce qu’affirma la main la veille. Resterait alors à tuer le chien aveugle dont le nom même est oublié, envoyer l’enfant chercher son père par-delà le détroit, ouvrir votre sexe à ces pesants crétins qui veulent s’y ficher parce que résiderait là le lieu tiède du pouvoir, inconscients qu’ils sont qu’ils ne combleront rien de l’absence, que le désir qui les érige n’est pas né de vos parfums, qu’ils bandent imbéciles dans le vide de votre deuil impossible. Non.
Tisser ne sert à rien, vous le savez qui regardez la trame des rides gagner le coin de vos yeux usés par le métier. Régner ne vaut qu’avec l’aimé ; vos yeux fatigués, ils ne sont pas émus des chibres qui s’échinent à susciter les cendres neutres de votre ventre. Qu’ils prétendent. Avec la douceur d’une étoffe lasse, vous retournez à votre ouvrage, inutile et nécessaire.

mardi 14 septembre 2010

Juste après la pluie

On ne pouvait pas rester à regarder les blessures du ciel dans les flaques, mieux valait marcher dedans, troubler les bords roses du crépuscule. On n’attendait rien de précis, l’évidence d’une peau peut-être, une main amie juste avant la nuit, une anatomie du hasard qui aurait expliqué pourquoi on était sorti juste après la pluie dans la ville mauve et grise. Pas pour les odeurs, ni pour les traînées de feuilles vers les caniveaux, pas pour le coulis d’enseignes sur les façades, et l’espoir de quelqu’un qu’on croiserait là, on n’y croyait pas. On sortait quand même, on s’asseyait sur le dossier d’un banc, on fumait des blondes, jusqu’à ce que les flaques ne reflètent plus que les lampadaires, qu’on se rende compte qu’une fois encore, on n’avait parlé à personne.

lundi 13 septembre 2010

Le chanteur ne peut se retourner

Le chant qui ne serait plus chant mais ombre de la voix au pays des ombres, ombre de la voix qui ne tendrait plus vers le cri mais se délierait, comme déprise de ses devoirs.
Le chanteur ne se retournera pas. Il n’en a pas le pouvoir. Les cohortes de rats, les troupeaux d’enfants, les larmes de l’enfer, rien n’est à son épreuve, le chanteur requiert, le chanteur ressuscite, mais ce que le chanteur donne, il ne le possède pas. Et ce que le chanteur désire, son chant l’en éloigne. Il est cet ange édenté qui susurre My funny Valentine. Il a fait pleurer le diable en personne, qui lui en veut. Il le paiera.

dimanche 12 septembre 2010

bordures

Le long des haies, je sais des signes, il suffit de scruter les limites. Tous les matins, au lieu-dit des Égyptiennes, je croise un bouquet jaune noué à la clôture d’un pré. Parfois, une main hostile l’arrache, le lance parmi l’herbe haute, on voit palpiter le plastique des roses. Le lendemain un autre bouquet plus gros, noué plus solidement sur le même piquet témoigne du même pèlerinage, et l’on sent que si la main hostile est celle du propriétaire du champ, c’est en vain qu’il s’échine : sa clôture ne lui appartient plus, la voici devenue l’autel d’un culte sur lequel il n’a pas prise. Ce bouquet le dépasse, prétend à la durée. Voici cinq ans que s’est tué le motard que l’on fleurit dans la constance.

samedi 11 septembre 2010

Muet sous le toit

N’ignorant rien des catastrophes promises, je fais pourtant réparer mon toit, épuisant ainsi les veines d’ardoise de l’Espagne (c’est terminé pour Trélazé). Espérer que ça tienne, que les lames de pierre noire résistent aux tempêtes annoncées (je n’ai jamais désiré les orages). Tenir là, au moins, puisque tenir discours, comme on disait jadis tenir terre, m’est impossible : la terre manque, et les mots, fausse monnaie, n’ont plus cours entre nous. Il n’est que de voir crier les pauvres quand nous devrions les entendre pour le mesurer. Parler ne sert à rien s’il n’est personne à entendre, parler ne sert qu’à préparer des crimes, justifier des assassins. Mieux vaut réparer son toit, en espérant qu’il tienne.

vendredi 10 septembre 2010

Galets

Ce seront des galets lancés au front des temples. Ce geste qui brise le cercle où s’enfermait l’élan de la pierre, ce geste est mien. Lapidaire dit-on. Lapidaire mon galet sertissant vos fronts.

Ma parole un noyau sans fruit. Une amande plus dure que l’écorce. Que s’y brisent ton appétit, tes dents qui broient et pulpe et chair et jusqu’au pignon des naissances.

Polir n’est pas un geste doux, polir n’est pas de la caresse. Polir pour mieux meurtrir encore. Angles, arrêtes prêtent flanc, offrent ventre à l’autre. Je n’ai rien de tendre à te révéler, pas de terre meuble pour ton soc, pas de foie palpitant que tu puisses brandir hors du sillon tracé par le couteau d’obsidienne qui se brise sur mon galet.

Galets de mes grèves au pied des falaises, leçon de la mer: silex retournés contre la falaise-même; arrondissant les angles, faire s’effondrer les murs.

Mon galet comme un œil tibétain quand le géant titube, mon galet dans le pied d’argile du colosse, mon galet mais aussi ce bivalve fragile (aile d’ange dans les collections d’enfants, dont la salive acide ronge le calcaire, y creuse des galeries qui le minent): physique et chimie d’une violence qui m’exalte, tant en elle, de toutes mes fibres d’animal moderne, je retrouve le chant du monde.

Le chant passe par votre meurtre, par le désir que j’en ai qui me tend tout entier. Je me fous que ce soit bien ou mal, je me fous de crever l’œil de dieu. Je voudrais juste que ce soit bien fait. Que mon sexe excède sa gaine. Que de cette démesure, le monde s’en trouve aspergé. Que mon galet soit si dense et dur, obtenu d’un silex noir déchâssé de la craie de Caux, qu’il se fiche mieux qu’un dard dans l’os du guerrier qui voulait ma mort. Qu’il s’y brise n’importe : il n’est pas de forme parfaite, et pourvu qu’il en reste un éclat dans le crâne du géant, qu’il voyage, traverse ses lobes et lui permette des visions foudroyantes au moment même où il s’effondre.

jeudi 9 septembre 2010

J'aveugle

La nuit je lance des pierres sur des volets fermés
La nuit je brise la course des phares
Depuis l’ombre de la forêt j’aveugle

La nuit je crie dans le sommeil des vieux
Comme si ma vie en dépendait
Je caresse les arbres
Je m’allonge dans la rivière

La nuit je cours derrière les bêtes
La nuit j’aimerais mordre
et ma bouche se ferme
Dans un goût de feuilles
D’humus d’herbes sèches

La nuit je laisse la pente en décider
Je la suis je ne sème ni cailloux ni signe
La nuit me mène
Et la hulotte coupe ma route de gauche à droite
Et je ne sais ce que l’augure dirait du vol
De l’aile qui frôle ma tête

La nuit je fatigue l’eau des mares
Il s’agit de troubler la lune
Il s’agit de brouiller le cercle
Je veux de mon bâton noyer tout Pythagore
Que jamais jamais les corps ne remontent
De la vase de mon rêve où ils veillent
Yeux ouverts

mardi 7 septembre 2010

Eloge de l'arête

Cailloux roulés par l’onde du deuil, nous sommes laissés pour galets sous la falaise blanche, et la mer peut mousser de toutes ses muqueuses, et la mer peut nous couvrir d’une toison d’algue, nous n’offrons plus d’angle au désir. Il faudrait qu’entrechoquant nos douleurs enkystées, nous brisions la membrane qui nous arrondit, nous force à nous-mêmes, à l’annulation du retour sur soi.
Redevenir aigus au prix de la cassure, offrir une face à l’usure, bifides oser la pointe du silex qui se fichant, refuse la tautologie de la sphère. Briser là. Dire non.

lundi 6 septembre 2010

Animaux nous-mêmes

Désirer la neige et son poids de silence sur l’ardoise, parier sur sa rareté, mais la souhaiter comme on désire les choses improbables. Reprendre d’assaut ce dehors déserté, reprendre au visage des couleurs de fruits, reprendre haleine même dans l’haleine gelée de décembre. Les bruits sont retrouvés dans d’autres reliefs, les enfants le savent qui crient des cris de guerre au-delà des collines.
Nous redécouvrons les traces qu’il s’agit de savoir lire, empreintes de sangliers vers les bois du mont Rôti, urine de renard, et sont dessinés sur le champ recouvert des corbeaux plus noirs que ceux des contes. On pourrait nous pister à travers la campagne : nous y laissons nos pas, les dessins de nos semelles lorsque la neige est tassée, un sillage pétrifié quand d’aventure elle abonda. Animaux nous-mêmes.

dimanche 5 septembre 2010

l'arracheur de langue

Pour qui brûla, qui fut brûlé
jusqu'à passion morsure du doute
jeunes gens fortunés,
certes
Messieurs du Marais, foutre
foutant foutus
jeunes gens torturés fourbus
mais eux la barre du bourreau
mais lui le mors dedans la bouche
qu'un François Garasse un furieux
leur bouta rouge jusqu'outre-gorge
pour qui brûla, qui fut brûlé.

Phylis en con, Jean-Louis en cul
tout retourné le socratique se fit chien
bon cynique il mordit la main
de qui ne l'avait pas battu
la main qui bien l'avait branlé
la main qui l'avait calculé
le chibre qui l'avait foutu
Jean-Louis déshonoré
a tout vendu
quand le chibre s'est retiré.

Pour qui foutant pour qui foutu
pour qui chantant le cornecul
pour qui le cul de basse-fosse
quand la main du roi se tirant
le poëte se trouva nu,
l'avérroïste fut rompu
pour qui foutant pour qui foutu
ne foutant rien François
Garasse le furieux
soldat de Jésus
cracha sur la plaie des corps nus.

samedi 4 septembre 2010

Cendres

Tu revenais de Cancale, où tu avais dispersé les cendres de ton oncle irradié. Tu racontais en vrac, et j’étais le premier venu. La pointe du Groin, les moules frites sur le port, des moules trop petites et vaseuses, ton oncle à Mururoa, c’était le temps des essais nucléaires, du service militaire. Pompiste en sandales, il avait été contaminé par les avions qu’il chargeait de kérosène, il avait perdu ses cheveux, ses dents, et au bout d’un an de retraite, par le cancer la vie. Vous aviez dispersé les cendres en cachette, là où il aimait pêcher. C’était facile en mars il n’y a jamais personne. Tu t’arrêtes, te demandes pourquoi tu me racontes cela. Je ne sais pas : j’écoute j’accueille.

vendredi 3 septembre 2010

Scarifié

Jusqu’à l’os, la plaie. Ce qu’elle signifie, cette géographie des lèvres, de la chair déchirée comme soie par un clou, rien sans doute, et l’écorchure n’arrête pas de se refermer comme la mer après Moïse. Cicatrice alors. Non, cicatrisation : c’est dans cet étirement des tissus que l’effort se perçoit, on se hâte, on se gratte, on rouvre la plaie. Pas jusqu’à l’os, non, ça n’aurait aucun sens. Quiconque a vu l’os de son propre crâne accumule cheveux, postiche, chapeaux. Si tout tombe et notre corps un décor misérable, et nos stigmates, le mauvais procès d’un méchant théâtre, pourquoi regarder jusqu’à l’os, scruter les mystères ? Ils sont là. Les lèvres de la plaie les prononcent, bouche de mystère, sanglante Eleusis. Ce qui nous fonde nous fait mal, et qu’importe ce que nous en comprenons: que ne lisons-nous pas dans le dessin des cicatrices ?

jeudi 2 septembre 2010

Mangue

Lancez amis la poudre du rêve, incisez le fruit merveilleux jusqu’à l’os. Que s’achève entre pulpe et lame l’idée même qui nous fit marcher droit, jusqu’au noyau ligneux des nuits décentrées, jusqu’au soir même des songes qui nous ont réveillés, qui désormais nous abandonnent.

Tu marches sur les mains

Tu marches sur les mains pour ne pas froisser le mercure t'as même pas 50° de quoi tu te plains t'as même pas de température pourquoi tu te plains tu viens à moi tes dents au creux des mains tu viens à moi d'un sourire vide tu me chuintes des mots d'amour je ne comprends rien je ne comprends rien on aurait eu des vacances à la mer on aurait rabouté des lambeaux de bonheur on aurait pu tant faire ensemble on n'a rien fait on ne fait rien