Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 29 janvier 2019

Dernière neige

Et le silence s'abat blanc sur le toit d'ardoise et bâillonne les voitures qui passent en glissant dans le grand blanc de la nuit noire, il neige ce soir pour la dernière fois, ce que je me dis, pour la dernière fois, il se pourrait bien que plus jamais il ne neige en Normandie, ce qu'on m'a dit, on peut le croire, des mimosas des vignes ici on s'y prépare. On sort un instant, on ouvre la main le temps qu'un flocon s'y love et s'évanouisse dans le poing refermé d'où sourd une eau de glace, c'est l'hiver des légendes, c'est la fin de saison et la fin des saisons nous saisit nous fondons comme flocon de neige dans le poing fermé d'un enfant qui frissonne. Le monde se fige, le monde fond, c'est vers la fin  que nous coulons, vertige, les perce-neige perlent les talus profonds et vibrant sur leurs tiges mentent et nous disent que le printemps c'est bon, ce conte, ces boniments de fin du monde, ces ruses pour bercer les enfants.

mercredi 23 janvier 2019

Fondu au blanc

Pourquoi sous la neige les pas s'effacent plus que cheveux ne blanchissent, et ce qui fond c'est le corps dans le nuage gris qui floconne, cet évanouissement le prendre comme un train, une chance, un silence enfin. Aimer la neige, la balayer sur le pare-brise, croire qu'on verra plus loin, n'y voir pas mieux, se résoudre aveugle à un fondu au blanc, jouir des pas qui crissent des cris d'enfants qu'on ne voit pas, trembler vieillard déjà du pas qui glisse, de la cuisse qui se crispe, se reprendre, poser le pied bien à plat. Plus jamais tu ne connaîtras cela, parce que morte, et ta tombe, la neige, elle ne la connaît pas, parce qu'aussi la neige il faut la regarder dans notre aveuglement comme le signe évident de ce qui survient mais ne reviendra plus, ce qui fond dans la main, ce qu'humains nous réchauffons jusqu'à ce que mort s'ensuive, de l'eau qui s'enfuit pour faire monter les océans, ronger la terre et nous avec, et nous dedans.

vendredi 4 janvier 2019

Lavis d'hiver

Lumières brèves et crues, il a tellement plu, il ne pleut pas assez, les nuages sont comme encrés, de l'encre noire, la Waterman qui bleuissait lorsqu'on la coupait d'eau -on aimait assez la couper, tu serais là tu confirmerais- des effets d'aquarelle et de ciel d'hiver. Ton absence se dilue semble-t-il certains jours, les jours courts de janvier traversés d'averses, mon cœur transpercé que berce et soigne celui que j'aime qui m'accompagne et fait famille à lui tout seul ou presque, j'aurais tant voulu que tu le connaisses, cela ne nous fut pas donné. Tu me reviens dans la nuit noire, tu reviens dans de mauvais rêves, lumières crues, éclats brefs tu reviens sans rien dire, ton silence m'effare, ton silence t'altère, revenante tu n'es pas toi, ça qui m'épouvante. Il faut un effort pour sortir du cauchemar, chercher la main amie, humer la peau de Tanguy dans l'encre noire de la nuit, encre de chine, je préférais la Waterman, mais rien ne vaut se rendormir tout contre lui pour dissiper ce qui m'obscurcit.