Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 12 novembre 2019

Le choix des plages

Les plages de la presqu'île n'exposaient pas aux mêmes vents, c'était un art de décider où l'on irait tendre serviette, un art spéculatif, augurer du vent, une discutaille scolastique: la plupart du temps, nous allions au plus près, à Port-Lin à deux pas, à Valentin, à peine plus loin, pour un sable plus fin, pour des rouleaux plus amusants. On ne pêchait pas à Valentin, pas de rocher pour se couronner les genoux, on se baignait voilà tout. Les grandes cousines (toute cousine était grande à notre aune, seule Véronique avait notre âge, mais elle était en Amérique, elle ne venait pas si souvent), elles portaient toutes des bikinis et  elles bronzaient comme si leur vie en dépendait elles bronzaient à en peler, les cousines à la peau sèche. Nous n'aimions pas trop lézarder, l'enfance n'a pas de temps à perdre, nous creusions des canaux, nous faisions des pâtés, tous les après-midi c'était barrage contre l'Atlantique, c'étaient remparts, c'étaient polders, et chaque jour la mer déjouait nos dispositifs, et si par extraordinaire, elle se retirait sans avoir abattu nos petits jérichos, nous les piétinions de nous-mêmes avant, à notre tour, de nous retirer pour le soir, les cheveux rêches et la peau salée.

mardi 5 novembre 2019

Port-Lin

C'était un drôle de chapeau rouge que tu portais, un bob on disait, un bob de coton rouge doublé d'un tissu éponge fleuri, une drôle de cloche sur ta drôle de tête de petite fille aux cheveux courts, la cloche couvrait ton épi, te gardait du soleil sur la plage. Était-ce le soleil ou le sel de la mer qui te faisait  blondir, je ne sais, sous le bob même tu blondissais, une blondeur de provision qui disparaitrait à la rentrée à peine moins vite que le bronzage -c'était un temps où il fallait  bronzer, les mélanomes on s'en fichait, on ne savait pas que ça existait. Tu étais donc blonde et bronzée sous le bob de plage, le parasol c'était pour la tante Annick, le privilège de la rousse qui ne bronzait pas mais brûlait sitôt qu'on la sortait de l'ombre. Sortir de l'ombre elle n'y songeait pas, concentrée sur les diminutions d'un tricot savant, c'était la reine des pulls à torsades, une  parque siglée phildar qui au cœur de l'été travaillait à l'hiver. Nous, nous n'étions qu'enfance, j'entends par-là présence pure à l'instant même de la joie, sous le soleil nos pas sans ombres à peine alourdis par  le sable grossier de Port-Lin, dévorant les pains de seigle au raisin, les tartines et le chocolat Poulain.