Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 28 septembre 2014

Mare Nostrum

Notre mer, un tombeau. En elle sombrent des misères que sabordent les passeurs pressés d'embarquer d'autres misères.
Dans la barque du nocher s'entassent tous les noms du malheur dans toutes les langues et toutes les langues se confondent dès lors qu'il s'agit du malheur, tous les dieux et des peaux sombres plus que des peaux claires, et toutes les peaux assombries. Tous les malheurs du monde pèsent plus que les crimes et la barque coule entre deux enfers: en notre mer s'ouvre un en-deçà. Coulent avec les damnés, avec les innocents, leurs dieux, leurs enfants, leurs femmes violées, l'espoir des jeunes gens pour qui les vieux s'étaient saignés, coule avec le nautonier qui ne sait plus à quel enfer se vouer, l'enfer lui-même, dépassé.

dimanche 7 septembre 2014

Transparentes de Croncels

Nous n'aimions pas les pluies de septembre: elles entraînaient le tas de sable où nous trompions notre ennui, le dissolvaient, et apparaissaient à sa base des veines de terre noire hostiles à nos jeux.
Le sable, il avait fui par la pente, il avait fondu dans la nuit, malin, il avait trouvé le moyen de rejoindre la mer, et nous avait laissés sur le bord du chemin. On aurait voulu qu'il nous emporte, on aurait voulu faire plage avec lui, mais non. Nous nous vengions alors sur les pommes pourries, tombées de l'arbre pendant la pluie, dont, d'un coup de talon rageur, nous faisions des compotes à cru. Des compotes à cru de transparentes de Croncels, précoces, fragiles, ennuyeuses, juteuses du jus de notre ennui.