Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 17 mai 2018

La guirlande de Flavie

Dans les rituels du printemps, voler un bouquet de lilas blancs, de lilas doubles si possible, s'étonner des fleurs au plus près du tronc des arbres de Judée, il y en avait un, dans le jardin-de-devant de la maison de Villepreux -tu t'en souviendrais. En Toscane ils sont plus grands, ici un peu maigrelets guirlandes de fleurs mauves dans le jardin propret, tu t'étonnerais de mon goût soudain pour les fleurs, tu n'aurais pas tort, la guirlande est détour, la guirlande de Flavie, pas un jeu de salon, pas une bergerie non, j'y viens. Un des rituels de printemps, s'épuiser dans des oraux blancs que passent des jeunes gens qui pensent plus au printemps qu'aux oraux blancs. Ils défilent une semaine durant, dormeur du val, lettres persanes, meurtre de l'arabe, Camille, Horace, incendies, Eldorado, Thélème et compagnie, c'est un rituel éprouvant, ils sont charmants les jeunes gens qui n'ont pas assez révisé, qui n'ont pas lu ou pas aimé ou bien aimé mais ne se souviennent plus très bien, ne trouvent pas le mot qu'ils ont sur le bout de la langue, on patiente on s'agace, on encourage on admoneste et puis voilà qu'entre une Marine et une Zoé, après un Wandrille bredouillant une jeune fille se présente, qui s'appelle Flavie. C'est le défaut des prénoms rares, c'est la fonction des noms propres qui n'évoquent qu'un visage, je lis son nom et tu m'apparais, et se brouille alors sa bonne bouille de jolie brunette, et s'y substitue le souvenir d'un trait qui te signait: ta réticence à consentir qu'il y eût d'autres Flavies au monde, ta peine à partager ton prénom. Je peine à mon tour à écouter l'adolescente qui n'usurpe rien; elle a bien travaillé, elle sourit, elle nuance, je la félicite mais je peine et l'appelle Mademoiselle c'est désuet tant pis, je ne peux pas l'appeler Flavie.

mercredi 9 mai 2018

Sur les dalles de lave noire

J'étais allé à Naples juste avant toi, de fait tu avais improvisé le voyage à m'entendre enthousiaste dès mon retour t'évoquer la vitalité un peu crasseuse de la moins compassée des villes -les derniers mois tu te saisissais de toutes les occasions pour partir, changer d'horizon. Je me souviens t'avoir donné les derniers conseils alors que tu étais en route pour l'aéroport et ce fut un de tes derniers voyages, dont tu revins ensoleillée. J'y suis retourné, j'aurais aimé t'en parler mais c'est ainsi je le savais, j'ai à nouveau marché sur les dalles de lave noire, je n'ai pas dansé sur le volcan, j'ai simplement glissé un soir de pluie -car un soir il a plu- sur ces dalles grasses de poussière mouillée et j'ai pensé aux rues de Casablanca après les premiers orages d'automne. J'arrive à l'âge où il faut veiller à ne pas glisser, mais je sais encore tomber sans casse -sans grâce non plus, c'est vrai. Au rythme du grand pas de Laurent qui arpente, égal, le monde, au son du rire cascadant de Tanguy qu'enchantent toutes les beautés, j'ai revu les lieux aimés, en ai découvert d'autres, et entre tous j'aurais voulu te parler d'une église, d'une sacristie peinte par Vasari, visitée par hasard, Sainte Anne des Lombards, le Compianto de terre cuite dont on reste stupéfié mais non, la vie reprend dont tu n'es plus: il faut désespérer du partage, partager avec d'autres, apprendre le bonheur sans toi, sans pouvoir te confier mes joies fragiles comme coquelicots à Paestum, se résoudre à l'évidence qu'il est urgent de vivre et doux d'aimer, qu'on peut vivre et aimer sans te trahir ni t'oublier.