Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mercredi 7 février 2018

Droite comme un I

Alors je te dessine, et tu n'es pas de l'orbe ni de la courbe, tu décourages les sottisiers de la féminité ronde, de la forme molle, tu te tiens droite, tu t'es tenue debout très tôt, tu es droite comme un I à ce qu'on dit, raide comme la justice, toi dont la vie fut si injuste, ton corps de rectitude toujours corrigea les biais, les ellipses et les géométries complaisantes. J'étais plus souple que toi, l'écrire m'étonne: puisqu'il m'est donné de vieillir, je commence à comprendre que de fait ce qui agit en nous est calcification rouille engourdissement, et les douleurs afférentes, et nous tous qui vieillissons -j'entends cela comme une chance mélancolique- nous comprenons l'air transi de Purcell autrement que les jeunes gens. Il me semble que ton corps droit, que ton corps raide à qui fut volé son enfance, comprit cet air plus vite que tous, et sut très tôt que durer ne lui serait pas donné. Tu marchas tôt, tu marchas droit, je te dessine, tu es une ligne tranchante qui scinde l'aire qu'esquissent les pas boiteux du vieux père qui te survit vautré dans la souillure et qui rondement, ment comme un arracheur de dents.

mardi 6 février 2018

Tes collants rouges

Il a neigé sur mon toit noir, une ardoise en a glissé, le couvreur va repasser, il y a donc un hiver, un nouvel hiver sans toi, à peine si je le vois passer, j'aurais bien voulu t'entrainer, on aurait pris la pente du toit, on aurait inventé la montagne, on aurait skié comme des enfants surexcités. Tu sais la neige il y en a moins mais lorsqu'elle tombe les enfants ici se massent aux fenêtres des classes comme nous voici quarante ans, et comme nous ils souhaitent que la neige transforme le monde et fige les haleines et gomme les souillures et blanchisse le bitume, et comme nous ils crient au sortir de l'école, et comme jadis la neige estompe leurs cris, les stupéfie. Les jours de neige sont plus rares, je m'en saisis, je te les donne, tu cours vers eux, tu disparais, tu portes un kilt et des collants rouges, tu cours en fille, les chevilles semblent s'évader, les filles elles ne courent pas elles dansent, dansent autour de toi des flocons fins comme farine où disparaissent tes collants rouges.

jeudi 1 février 2018

Neige et laine

Dans l'hiver, le souffle des jours courts, la pluie, la pluie, la pluie, il pleut depuis des mois, sur le soleil, sur le froid, la pluie s'abat, tu n'aimerais pas ça, nos hivers d'enfants brillaient de gelées cristallines, et nos rires semblaient infinis quand la nature durcie les renvoyait par échos, bien au delà de la buée pétrifiée qui sortait de nos lèvres. Nous avons connu les doigts rouges et gourds crispés sur des boules de neige, ce n'était pas tous les ans, mais tout de même, la neige tombait plus souvent qui étouffait nos cris d'enfants excités -la neige excite les enfants, c'est un fait d'évidence, la neige métamorphose, la neige surprend, la neige suspend. Nous sortions sur la place, et sous nos vêtements, nous portions des collants de laine que nous imposait maman, ces collants nous les détestions. Maman, elle était de ces mères qui ont toujours froid pour leurs enfants, jamais avare d'une épaisseur supplémentaire, nous fûmes des enfants couverts, des enfants couvés, cagoules, moufles, écharpes interminables, des enfants enveloppés, laineux, tricotés. Elle est lointaine cette enfance où le froid pouvait faire pleurer et rire en même temps des mouflets emmitouflés, les joues pommes d'api, les yeux brillants d'une fièvre de santé.