Le jour nait difficilement, les feuilles se font rares, le figuier ressemble au squelette d'un monstre préhistorique. L'érable blessé par la tempête nous aura offert un bain de sang sur l'herbe jaune, le doux chat noir a saigné sans haine une musaraigne dont il reste peu. De l'automne rouge à l'hiver noir, il s'en faut de quelques jours, quelques semaines au plus pour que noircissent à leur tour les feuilles tombées au sol, et seuls à demeurer houx et lierres d'un vert sombre, et la mésange charbonnière perchée sur le réverbère kitsch, et nous calfeutrés, à se demander si le jour va naître -il semblerait que non- s'il ne serait pas temps d'installer la mangeoire avec la boule de graisse et les graines de tournesol -d'évidence oui. Mais où l'installer dans la nuit, hors d'atteinte du chat noir dont le grelot tragique menace le rouge-gorge que la faim rend audacieux? Ce sont nos graves questions, les graines de courges iront aussi, l'or, le sang, la nuit noire le jour hésitant.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
vendredi 19 novembre 2021
vendredi 12 novembre 2021
Le jardin sans nom
Il fait froid ce matin et décidément le bureau plus froid que les autres pièces, mais aussi la première à prendre le soleil qui s'élève au dessus des arbres et frappe les carreaux. Les dernières feuilles, caduques, perlent et gouttent du gel fondu, celles du figuier pendent comme des torchons sales et tomberont avant les fruits verts qui n'auront pas mûri, tant pis, c'est le hasard des fruits, cette année n'était pas celle des fruitiers, ça reviendra, sans doute, encore, ça reviendra les prunes, les pommes et les poires, nous n'avons pas encore brisé tous les cycles. Restent des roses vitrifiées par le gel, qui persistent à s'ouvrir, deux fleurs de primevères égarées dans l'automne, et tant que je ne sais pas nommer. Il faudrait noter les noms qu'on nous indique, dessiner un plan du jardin dit Patrick, Tanguy n'en est pas persuadé, on ne notera rien, on laissera pousser, les noms se feront oublier, les fleurs nous les rappelleront.
mercredi 3 novembre 2021
Le temps qu'il fait
Il faut maintenant désapprendre, vivre chaque matin comme une nouvelle ignorance, se méfier des mots précis et des phrases qui s'ourlent comme une robe trop bien coupée pour être honnête, se réjouir des insectes insensés qui peuplent le jardin, reconnaître qu'on a tout oublié des fleurs et des simples, qu'on n'identifie que les roses et les arbres, et encore, pas tous -on avait pris le catalpa pour un noyer, va pour le catalpa, les noix me donnent des aphtes. Une branche de l'érable est tombée dans la mare, un pont rouge sur les eaux noires, cela ne me rappelle rien, ça qui me fait du bien, c'est une vie sans précédent, des premières fois tout le temps dans le jardin dans la maison le pire n'est pas toujours certain, on plante un rosier black baccara, nom ridicule, pourpre velouté, on plante des arbres comme si rien n'allait se passer, rien de fâcheux, le temps qu'il fait, comme si tout allait continuer, les feuilles jaunes de novembre, les herbes blanches des premières gelées, il gèle encore, il pleut sur le bocage, il pleut encore pas mal, l'eau pas encore rare ici, on ferme les volets sur le temps qu'il fait, le temps que nous avons défait.