Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 21 avril 2018

Eté d'avril

Et le printemps sous mes doigts s'égrène comme j'écosse les petits pois, ceux-là sont rares dans la gousse épaisse, que s'est-il passé sous la serre? Il fait si chaud qu'on est perdu, on cherche des cerises chez le marchand de Jumièges qui rit, nous montre les arbres en fleurs, tu ne bouderais pas ton bonheur d'avril trompeur au point que c'est l'été d'un coup, goutte de Sahara sur les prés verts et les champs jaunes, poussière rouge sur les voitures et les carreaux de la fenêtre. Le temps s'accélère, et s'y prennent les pattes les araignées de mer revenues trop tôt sur la côte, les homards ne sont plus si chers, même les marchands s'y trompent, les prix se dérèglent aux étals des marchés. Tu aurais trempé ton pied dans l'eau du golfe, une eau pas si claire, tu l'aurais retiré ton pied ne s'y serait pas trompé lui, la mer c'est encore 11°, on n'est pas si loin de l'hiver, alors tu aurais marché sur le sable un peu vaseux des plages que tu aimais, pour se baigner attendre un peu, pour le bonheur du printemps s'en emparer sur le champ.

jeudi 19 avril 2018

Printemps chinois

Et cette chaleur éclatante, le sucre jaune du colza, les jacinthes en tapis dans les sous-bois, les cerisiers en fleurs, nous les avons connus, nous les avons aimés les printemps normands, les reverdies des Yvelines, les premiers lézards sur les murs de granit des chemins du Croisic, voilà c'est revenu et ce n'est pas pareil, c'est plus chaud, plus tôt, c'est la poussée de sève et le début de la fin du monde et c'est sans toi, l'inversion du Gulf Stream, la mort des oiseaux. Un bébé pleure que j'entends par la fenêtre ouverte, nuit de juin pour un soir d'avril. Il fait chaud à faire fondre le chocolat des tablettes, à faire éclore des nuées d'insectes, mais les papillons sont rares et tu manques et c'est nul. J'aurais voulu te dire que ton fils est heureux, qu'il vit en Chine et s'ouvre des possibles dans un monde où tout est difficile, que ce printemps est sien quand j'entends son bon rire au téléphone, qu'il vit à sa façon foutraque, baroque et bordélique. Son chemin n'appartient qu'à lui, ce qu'il trace nulle idée, mais l'élan de vie, ça je sais, tu aurais tellement aimé le voir ainsi si vivant qu'on aurait pensé, contre toute logique, la fin du monde ce n'est peut-être pas quand même pour tout de suite.

lundi 9 avril 2018

Je suis là

On croit -la mort de ceux qu'on aime est une amputation- mourir de la mort des chéries, des aimés, des mères au baiser d'amande, des amants aux aisselles de cassis, de toi ma sœur aux cils infinis, aux yeux indécis presque verts, on en meurt en effet, mais mourir au présent c'est vivre encore autour des plaies, sans quoi on ment et non, jamais je ne te mentirai. Te coucher sous la dalle -car j'ai dû la choisir- ce fut subir l'hiver son recommencement c'était mars pourtant, c'est en mars que souvent sont mortes les femmes que j'admire. En novembre ce fut maman. J'ai cru n'en jamais revenir du calendrier des cadavres, vingt fois seul dans la chambre j'ai replacé le tuyau d'oxygène qui lui tombait du nez, il fallait lui parler je ne savais que dire si ce n'est je suis là je l'ai toujours été. Te parler au contraire c'est l'évidence absurde, me taire ça ne me ressemble pas, mais voilà ta mort je n'en suis pas mort, je vis amputé de toi mais je vis et vivre c'est aimer encore et quelqu'un dort sur mon épaule et rit en s'éveillant et c'est comme un grelot qui dit la joie de vivre et d'aimer tout ensemble et mon seul regret toi pas là pour l'entendre.