Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 25 août 2013

Les enfants s'ennuient

C'est une maison très bourgeoise, maison de maître on dit ici, murs de briques, ampélopsis, glycine pleurant sur le côté, volets dont le vernis cloque l'été. Tout le jeu c'est, pour les enfants qui s'ennuient, de crever les cloques de vernis sur les volets du rez-de-chaussée, côté jardin, leur côté, côté des fruits, du sable enfui avec la pluie, des allées qui montent vers la prairie où courent les poules de Denise.
A l'étage, la chambre où la mère parle avec sa mère, une chambre avec un joli lit, directoire à ce qu'on m'a dit, des bergères tendues de toile de Jouy, et bergères elles-mêmes en Arcadie de provinciale bourgeoisie, elles parlent tout l'après-midi, les enfants qui frappent à la porte elles les congédient, les renvoient du côté des fruits, du jardin, du sable enfui, les enfants elles les oublient, et les enfants en veulent à l'aïeule de leur avoir ravi la mère, et les enfants cassent des branches du noisetier pour en faire de mauvais arcs, et les enfants shootent dans les pommes pourries, et les enfants mangent des fruits trop verts: Les enfants s'ennuient.

vendredi 23 août 2013

Honfleur, jardin.

Le père chassait dans le jardin les tourterelles à coups de carabine, une carabine si lourde que les enfants ne pouvaient pas viser, une vieille carabine d'une guerre oubliée, transformée sur le tard pour tirer de toutes petites balles, d'un calibre ridicule. Les tourterelles c'était du gros gibier pour de si petites balles, mais le père visait bien, il était militaire, il savait tuer à l'évidence. Il rapportait les tourterelles, les grives, les merles, les étourneaux aussi, on les mangeait, on aimait cela. C'était pour la bonne cause, pour préserver les fruits, même hors la saison de la chasse. Le père avait toujours de bonnes raisons pour s'affranchir des règles, il pissait sur la loi le père, tel était son plaisir, plus que chasser encore, pisser sur la loi même et faire manger ses proies aux enfants qui ne savaient pas. Les oiseaux comme un bouquet d'ailes sur la table de la cuisine, et bientôt l'odeur de la corne brûlée quand Denise les passait à la flamme, et immédiatement la faim montait dans le ventre des enfants.
Aux enfants les groseilles, les framboises, les bigarreaux Napoléon, des fausses reines claudes, et, dès août une avalanche de pommes, des transparentes de Croncels à la chair fragile. Des fruits mangés trop verts, à prendre la colique, mais il faut croire qu'on aimait les choses acides, sans quoi nous n'aurions pas mordu les feuilles d'oseille qui nous faisaient venir les larmes aux yeux.

mercredi 21 août 2013

Épuiser l'épuisement

Quand seront lancées toutes les pierres et qu'il n'y aura plus rien qu'on n'ait déjà brûlé, que l'eau ne tombera plus du ciel, qu'il ne nous restera que nos ongles pour creuser, nous craindrons des dieux oubliés, nous tremblerons et l'hiver et l'été, nos magies nous seront vaines et la peine trop plus qu'humaine.
Pourtant nous voudrons vivre encore, quitte à tuer qui n'aurait plus la force, pour un coin à l'abri, une part de pain, une paire de lunettes, un coin à champignons. Jusqu'à ce que plus rien.

vendredi 2 août 2013

Souviens toi que tu n'es que cendres

Nous désirons l'aurore, elle nous brûlera tous. Passionnément combustibles, nous aspirons à la cendre. Quelle erreur ce fut que s'abstraire, s'affoler du vivant, s'enivrer du grand souffle quand tout en nous tend à la fin vers la pierre, la terre, la paix des sables. Que nos liqueurs se perdent dans les fleuves qui, taris, s'oublient dans leurs lits de boue ocre et verte, que l'on sépare le limon de l'eau, et l'eau qu'elle fonde sous un soleil impartial, que le soleil absorbe les nuages comme le coton hydrophile sur la plaie des enfants.
Que l'on se couche déjà mort.
On désirait l'aurore elle nous enterra tous.

Retour du refoulé

Tu reviendras, méconnaissable et je ne te reconnaîtrai pas. D'où viens-tu, d'où reviens-tu, où as-tu été traîner, toutes ces années de crimes et de peau tombée, te revoilà rougi blanchi bouffi tremblant mais te voici qui t'avance obscène, ému. D'où viens-tu peu importe, nul ne te reconnaît, chacun te traverse, car tu es bien le seul à te croire vivant.