La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

samedi 25 février 2023

Photosensible

 Les  nuages courent au dessus des champs reverdis, ils hachent la lumière crue de la fin d'hiver, ils projettent leurs ombres sur les arpents jaunis  par l'agro-chimie, sur la ligne des peupliers nus, sur la façade de la maison qui s'assombrit forcément, avant de retrouver un soleil oblique, celui qui éblouit, comme un intrus dans les pièces surprises. La pluie n'est pas pour aujourd'hui, on s'en réjouit sots que nous sommes, un mois sans pluie en Normandie, la face du monde en est changée, dire cela n'est pas plaisanter, vains que nous sommes. Un ministre évoque sans ciller le chiffre de quatre degrés, s'inquiète des stations de ski, je coupe la chique au triste sire, je pense aux hêtraies, la fin de nos forêts ici en Normandie, au calvaire de Fécamp parti avec le pan de falaise effondré, je crains les chaleurs de juillet, les crues à contretemps, la grêle sur les toits, les coups de vent, et cependant je garde en moi le goût du printemps, l'envie de l'été, sot que je suis, inconséquent.

vendredi 24 février 2023

Bonheur du jour

 Le chat du voisin ferait bien la loi au jardin, mais les nôtres veillent au grain, pas de lapin pour l'intrus qu'on raccompagne poil hérissé, plus gros qu'on ne sera jamais, le territoire est préservé, on peut trôner sur le capot de la voiture, torturer le tronc de l'olivier, miauler pour rentrer picorer trois croquettes, miauler pour ressortir. Je regarde mes copies en souffrance, j'ouvre la porte afin que le chat ressorte, aperçois quelques étourneaux qui m'évoquent ce mot nouveau pour moi : on dit murmuration pour leurs vols groupés, pour ces nuages d'oiseaux virtuoses, c'est un beau mot, cela suffit pour la journée. On attendra le crépuscule pour les voir murmurer, voir murmurer les étourneaux, on peut encore s'émerveiller.

mercredi 22 février 2023

Du gras aux cendres

Ce fut une foire importante, il en reste quelque chose dans la démesure du marché, l'abondance d'un autre temps, une richesse plus de mise qu'au Neubourg, au cœur du plateau où les blés généreux succèdent au lin bleu, après le colza sucré dont l'odeur monte à la tête. Ne pas chercher un producteur bio, ici c'est le petit empire des grands céréaliers dont les ouvriers cramoisis n'iront pas jusqu'à la retraite. Des petites vieilles vendent trois fois rien sur des tables pliantes, quelques poireaux,  des oignons pas encore nouveaux, un bouquet de laurier, un sac de noix.  Un peu plus loin, les poissons sont beaux, on s'affaire à décoquiller les Saint-Jacques, le pot de crème est à deux euros, le filet de canard s'en tient à un prix raisonnable, le vendeur de pommes propose une dizaine de variétés, il fait gris, le crachin s'annonce, enfin la pluie, février, la fin des jours gras, vraiment? Le mercredi des cendres on en rirait ici si on se souvenait seulement de son existence: au Neubourg le Carême discret, pour ne pas dire distant.

mardi 21 février 2023

La belle saison

 Le chant des oiseaux, le soleil point plus tôt, les chats réveillés qui miaulent à la porte, la queue blanche des lapins au fond du jardin, ça tressaute encore, même si la nuit le froid mord, le givre fond aux premiers rayons, les jonquilles sont en boutons, les crocus en fleurs, tout frémit, on s'apprête, les derniers coups de feu des chasseurs acharnés vont s'évanouir enfin de l'horizon sonore. La belle saison, cela qu'on espère, cela qu'on craint. Voici un mois qu'il n'a pas plu, l'avenir est incertain mais ressemble au soleil de Camus, une brûlure, aux toiles de Staël rouges de Sicile, un chemin blanc comme une coupure, mais pour l'heure après le brouillard et le gel, un couple de mésanges, des étourneaux et les fenêtres embuées. La belle saison dit-on émerveillés, on a frisé les 20 degrés, la lumière rentre à flots dans la maison et sans doute on se réjouit à tort mais qu'y faire? La belle saison nous l'avons attendue tant d'hivers qu'on ne sait en désespérer, sans doute il faut craindre un été de soif et d'incendies, de terres poudreuses, d'oiseaux en cendres et de fruits séchés sur l'arbre aux feuilles tombées avant l'heure, et sans doute nous verrons le fond de la mare comme un secret obscène et les libellules bleues nous nous en souviendrons à peine.

samedi 4 février 2023

Retour d'été

 Pointent les crocus sur l'herbe jaunie, signe des jours meilleurs -ce que je veux croire, mais la maraîchère m'annonce le retour du froid en me donnant les oignons rouges, avec du soleil nuance-t-elle et ça me va, le soleil d'hiver. On attendra un peu pour les jonquilles, cela viendra bien assez vite, et la chaleur à leur suite, il faut apprendre à redouter l'été. C'est à rebours de toute l'enfance, maman nous couvrait comme des oignons, encagoulés, écharpés, mouflés, emmitouflés, elle avait toujours froid pour nous, il n'y en avait jamais assez, pulls à coll roulés, collants de laine, chaussettes doublées, nous attendions l'été pour laisser tomber les pelures, le printemps elle ne s'y fiait guère, elle avait des proverbes pour avril et pour mai -ce qu'il te plaît, foutaises! Seul l'éclat de l'été nous voyait dévêtus et rien n'était si bon que le soleil sur nos peaux nues, le goût de sel de nos peaux nues et celui des bâtonnets de sorbets à l'orange.