La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mardi 30 avril 2024

Dove sei?

Dans l'autre Italie qu'irrigue l'autoroute et les voies à grande vitesse, celle que traversent les Audi suisses qui foncent vers la Toscane, l'arrogance de Ferrero, de Barilla, les musées à la gloire des voitures et de Pavarotti, un monde de bruit. On comprend mieux qu'il faille couper la plaine, on se prend de sympathie pour les rangées de peupliers qui ploient sous le vent et lâchent dans l'air comme des fleurs de coton, il neige des chatons, c'est la Romagne, un pays de cinéma, on se rappelle un vers de Pasolini, on se souvient de Silvana Mangano, de son visage de cire, c'est la campagne près de Rimini où il neigeait des chatons lors du mariage de la Gradisca, je me souviens comme il neigeait chez Fellini. On se blottit sur des placettes à l'abri du vent, des enfants chevauchent des lions de marbre -c'était jour férié à Modène une fanfare a joué des airs militaires puis Bella ciao devant la cathédrale puis, deux rues plus loin, une manifestation de soutien à la Palestine (déjà la veille à Bologne, la voix d'une étudiante se brisant net au mégaphone au milieu des drapeaux au triangle rouge). 

Enfin la géométrie des hauts murs de Ferrare, ces ombres savantes, le retable de Garofalo, le souvenir de Dominique Sanda, des bicyclettes impérieuses, les fresques scotchées du château d'Este, la vérité tremblante des rimes de Bassani.

vendredi 5 avril 2024

Floréal

 Nous aurons connu des plages heureuses, l'Italie d'avril, ses arbres de Judée étranglés de glycines, la neige sur le camélia, des concerts dans la blancheur calcaire d'églises toujours fraîches, les falaises de craie d'où pleurent des champs de lin. La chaleur montait sans qu'on s'en inquiète, le malheur on le repoussait à demain. Pâques nous était piqueté de jonquilles, de primevères, de coucous, d'anémones des bois, mais aujourd'hui voilà les cerisiers en fleurs et le petit poirier louise-bonne, et les derniers pétales roses du pêcher. Ce qui se passe, chacun le sait, ils se ruent au printemps les arbres, ils sont comme nous déboussolés. Quant aux jacinthes, elles tapissent déjà les clairières, seront fanées en mai, et le muguet qu'en sera-t-il?

L'irréparable nous le voyons navrés encrer nos paysages: mars aux champs orangés gorgés de glyphosate, avril jauni de l'inepte colza, on ne compte plus les haies arrachées, l'eau souillée jusqu'aux secret des nappes, on connaît les poisons instillés rémanents, permanents, les polluants éternels, cap au pire, haro sur le vivant.

Nous aurons connu les amandiers en fleurs en février, les cèpes en été sous les chênes du temps où il pleuvait l'été, les premiers crocus sur les alpages suisses, les rhododendrons  arborescents de Varengeville, les grelots mauves de juin sur la hampe des digitales, puis les groseilles et les framboises, les cerises blanches, les cerises noires, ce monde affolant de couleurs, de jus, de sucre, ces parfums, tout un calendrier bousculé, le temps qui s'emballe et nous échappe.