Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 28 octobre 2021

Planter un arbre

 On a acheté un poirier, un petit poirier avec sa motte de terre, c'est moi qui l'ai choisi, et comme je n'ai pas de fantaisie, j'ai pris un poirier de jadis, un "louise-bonne", à la foire aux plantes du château d'Harcourt. Elle s'appelle les Automnales, la foire aux plantes, on met du prétentieux partout, c'est l'air du temps, c'est l'ère du rien, avec bien peu en faire beaucoup, prendre la pause, donner à la foire un petit goût de festival, moi je m'en fiche, je repars avec mes espoirs de poires un peu rouges, ce sont de petites poires me dit Patrick, ce n'est pas grave, c'étaient les poires de Honfleur -il y avait aussi des williams et des passe-crassane si je me souviens bien des arbres en espalier contre le mur de pierre. Les louise-bonne c'étaient celles que ma grand-mère goûtait, c'étaient ses poires à elle, au grand-père les pommes qu'il gaulait d'un coup de béquille, ce n'était pas malin, elles s'abimaient en tombant les pommes fragiles qu'il aimait tant qu'il n'y avait qu'une sorte de pommes dans tout le jardin, j'en ai déjà parlé, il les aimait pour leur nom, les "transparentes de croncels", pour leur chair translucide, juteuse et sucrée, qu'elles se gâtent avait peu d'importance, elles pourrissaient dans l'allée, on glissait dessus, c'était un peu dégoûtant, il y en avait tant qu'il en restait toujours assez pour les compotes et les gelées. J'ai demandé au vendeur d'arbres s'il en avait, il en avait eu mais il les avait vendus ses pommiers, pas de veine, mais moi je me trouvais bien veinard quand-même de tomber sur un vendeur de transparentes de croncels, même de loin, même de l'Orne, même de Domfront -même si Domfront c'est plutôt les poires et le poiré- et décidément de la veine j'en ai car le vendeur d'arbres de Domfront me propose d'en réserver un qu'il apportera au marché aux arbres du Neubourg mi-novembre, un marché aux arbres qui s'appelle "marché aux arbres", c'est plutôt bien, on ne change rien, on reprend un pommier de jadis, on va retrouver le goût des transparentes de croncels.

dimanche 17 octobre 2021

Que chacun vive

 Pas de coups de feu ce matin, la chasse est bâillonnée par la brume, c'est l'avantage d'être au rebord de la vallée, la brume remonte et mord le plateau, s'éprend des haies du petit bocage, se love, s'attarde, se blottit dans le moindre creux. Qu'y voir? Elle étouffe jusqu'aux treillis orange des chasseurs modernes, qu'on entraperçoit sur les chemins, le fusil cassé, et lorsque le soleil enfin la déchire, inondant les carreaux de la maison comme alanguie de tiédeur, c'est trop tard, ils sont planqués les faisans, les lièvres, les perdrix rouges et même nos lapins crétins sont terrés au terrier, et le terrier c'est chez nous, et chez nous seul le chat noir chasse, et notre chat noir nous l'avons affligé d'un grelot pour que soient prévenus grives et lapereaux , qu'il tinte et que chacun se garde, que chacun vive, il y a la place, 

jeudi 14 octobre 2021

Matin blanc

 Ce matin c'était givre sur les parebrises des voitures, l'herbe blanchie dans la pâture, deux hommes orange sont venus dès le jour pointant vidanger la fosse qui aurait dû l'être avant l'achat de la maison mais bon. Le chat noir a pris peur et disparu dans le fond du jardin en friche, ils se sont affairés les deux gars en fumant des cigarettes, ont regardé dans le regard et le regard était bouché, étoupé il aurait dit Ronsard et ç'aurait été juste. Le plus vieux a proposé de revenir réparer au noir, si jamais ça se rebouchait, on a parlé des environs, de Berthouville et de Boisney, du lycée Boismard de Brionne, "on repart avec un métier", du fermier d'à côté qui est quelqu'un de bien, on a pris le temps, j'ai réglé et le camion a quitté la cour, j'ai refermé le portail vermoulu, j'ai appelé le chat dont j'ai entendu le grelot, il est venu et dort sur mon bureau dans le soleil qui entre à flots.

mercredi 13 octobre 2021

Notre mare

 On voit, maintenant que Tanguy a rompu la couronne de ronces qui en défendait l'accès, rasé les bambous saugrenus qui prenaient trois mètres en un été -ils repoussent déjà- on voit maintenant l'âme noire de la mare, les pierres blanches de sa berge, et les lentilles d'eau qui dans l'ombre en faisaient comme un mirage de pelouse. Le chat noir s'y trompa qui sauta sur la libellule bleue, traversa la pellicule verte et plongea dans l'eau sombre, pour ressortir plus noir encore s'il est possible, sentant la vase, mouillé comme un de ces chiens de chasse qui se roulent dans chaque ornière avec des délices de curiste à Bagnoles de l'Orne. On devine mieux l'eau noire (il a fallu laver le chat qui n'aime pas ça), on attend que les feuilles du saule y tombent et nous fassent rêver à l'or et à la boue dans un foutoir de reflets, on attend qu'après l'hiver vienne le temps des iris jaunes et des nids d'oiseaux, la reverdie du saule pleureur et des amours bruyantes de reinettes enhardies.

mercredi 6 octobre 2021

Et tôt serons

 Compter les jours d'automne, lumières plus humaines jusqu'à ce que la herse de la pluie hache les roses et les feuilles des haies vives, et jusqu'au jour rabattu sur la terre comme moisson sous l'orage. Les chats rentrent dès qu'il pleut, les petits douillets comptables de neuf vies à se lustrer le poil, le rouge-gorge peut souffler, puisqu'il en reste un qui chante. Le temps passe, il a bien raison, à sa place  je ne m'attarderais pas, le temps n'a pas de temps à perdre, le temps ne nous regarde pas frémir sous les averses qui passent, le temps n'écoute pas les pétoires des chasseurs en treillis orange, aux trophées dérisoires, le temps mais nous nous en allons.