Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 8 décembre 2022

Point de jour

 Le jour n'est pas venu, ne se lève plus le jour, les pigeons l'attendent sur le fil électrique, les lapins gambadent d'un brouillard à l'autre, on disait brûler le jour quand j'étais enfant si quelqu'un allumait trop tôt la lampe à la maison, je n'éteins plus les miennes, ce n'est pas de la lumière qui rentre par les fenêtres décillées de leurs volets, c'est la teinte blafarde des nuages qui rampent jusqu'au ras des haies, comme une scène scandinave on se sent poisseux d'une mélancolie qui sent l'overdose de mélatonine. De fait on voudrait dormir comme l'ours hiberne, et se réveiller aminci au printemps, plein d'appétits nouveaux, se réinventer dans une reverdie que rien ne promet pour l'heure -en témoignent les chats transis qui rentrent sitôt sortis.

dimanche 4 décembre 2022

Comment ça s'arrête

 Comment ça s'arrête, l'élan, le temps, tout ça, la rive du monde où verse l'eau des fleuves, le sang qui bat les tempes et la mer la falaise blanche, il faudrait ralentir, adoucir les bords, arrondir les angles, et les colères les apaiser. Ce doit être la saison, les mauvais anges picorent les boules de graisse dans le gris cotonneux qui flotte près de la mare, cette nuit qui ne cesse de tomber, ce doit être la saison qui donne des envies de berceuse, de pain d'épice et de thé à la bergamote. Les gens parlent du prix du gaz, craignent les délestages, le froid, la lumière tarie. On n'a pas le cœur à l'apocalypse -ni à l'écœurante nativité- on voudrait seulement prendre le temps de caresser les chats avant que tout ne s'éteigne et se blottir pour mieux s'aimer.

dimanche 20 novembre 2022

Du côté d'Aucourt

 Le hameau c'est un ilot d'arbres au bord du plateau, que domine le château d'eau verdâtre -qui vit dessous ne le voit pas, c'est mieux ainsi. Pour venir deux chemins possibles -qui bien-sûr ne font qu'un une fois  comprise la géographie du lieu- un concentré de Normandie où survit dans un vallon un bocage rassurant, et là serpente une route au centre herbeux, où l'on roule  lentement, attentif aux lapins, aux faisans, aux écureuils et aux deux chèvres évadées qui vaguent depuis l'été dernier. L'autre chemin, plus direct, plus sinistre, fend en deux des champs qui pourraient être en Beauce, en Brie, où alternent avec les saisons les cultures industrielles, blé, colza, betteraves, pommes de terre, lin quand on a de la chance (le bleu du lin c'est de la chance qui flotte au vent). C'est une route qui ressemble à ces gués qui ne se dégagent qu'à marée basse, et qui nous mènent, glissants, à des îles qu'il faut mériter, une route qui ressemble à des photos de Philippe de Jonckheere d'une digue à Portsmouth, cette route peut-être une digue qui nous sauve des marées de boue et permet d'atteindre le hameau vert de feuilles attardées qui tombent comme des folles.

samedi 19 novembre 2022

Rien à signaler.

 Il pleut comme c'est d'usage en Normandie, un novembre de saison, de betteraves arrachées des terres grasses, ma voiture ressemble à une motte de terre, à une patate hors du sillon, on rentre herbeux des semelles, la mare se remplit un peu, il pleut. Prenons la boue comme un répit, un repli vers l'ordinaire de novembre, horizon borné, jours rétrécis, crépuscules déchirants. Prendre le thé à  cinq heures la nuit tombée, trouver ça bon le thé qui fume dans le mug, se rassurer blottis dans la maison basse,  une journée normale, on peut encore vivre des journées normales.

mercredi 16 novembre 2022

Vue de la fenêtre

 Depuis la fenêtre, les fils du téléphone, les câbles électriques, la fibre aérienne (nul n'y est raccordé), les branches d'un poirier qui a poussé en chandelle, forment un entrelacs que quadrillent les carreaux et les bois -le ciel est rare et déchiré. Il reste des feuilles étrangement aux cerisiers, aux coudriers, quand d'autres arbres sont nus dès longtemps, mais le figuier à peine jauni, on n'y comprend rien on comprend trop bien, pas de gelées, les roses épanouies des rosiers rouillés, comment les arbres pourraient s'y retrouver? La fille de Nicolas dit c'est la fin du monde je ne veux pas d'enfants, Thalie n'en veut pas non plus, pas que les arbres qui sont perdus, qui ne le serait, en vérité? Quelle vie promise aux jeunes gens, les feuilles m'en tombent et les arbres gémissent qui ne savent comment ils périssent, submergés par des crues brutales, charbons ardents de nos étés.

lundi 14 novembre 2022

Cygne sur l'eau noire

 Ce qui se passe on ne sait pas bien, un cygne dormait sur l'eau noire, dans le brouillard il faisait froid ce matin, pas tant que cela non, mais plus froid et le brouillard persistant des jours de novembre, on serait tenté de le prendre comme un retour à la normale, mais la normale, qui sait désormais ce dont il s'agit? Blotti sous son aile, un cygne dormait sur l'eau noire, vision d'un instant sur un bras de la Risle -dans la vallée, paradoxalement, le brouillard s'était dilué- vision décisive : la journée en serait marquée. Ce cygne assoupi qu'attend-il pour se réveiller, l'hiver le guette, mais si on y pense il se pourrait qu'il ne gèle plus jamais sur l'eau noire de la rivière, une eau plus jamais figée pour l'ex vilain petit canard qui peut dormir en paix.

mercredi 9 novembre 2022

Anomalie de novembre

La maison s'ouvre au gré des chats qui passent, se ferme sur la pluie la nuit, les chats mouillés qui rentrent se frotter aux mollets, elle respire ainsi la vieille longère au rythme des chats qui filent, s'étirent vers la poignée de porte et miaulent comme s'ils n'avaient mangé de huit jours. Le soleil court au dessus du toit, l'air tiède nous stupéfie, la porte ouverte nous ne la fermons pas: il fait plus chaud à la Toussaint qu'à Pâques, les morts s'en foutent et les chats se chauffent au soleil de novembre.

dimanche 6 novembre 2022

Paresse

 La pluie strie la vue, floute les petits carreaux des fenêtres qui s'embuent, les chats rongent leur frein, Pamina lovée sur le paillasson entre deux godasses boueuses, s'endort résignée: ce sera une journée sans oiseau à saigner, une journée grise comme le ciel, à oublier. Il pleut de la lumière sur les papiers de mon bureau, j'écoute la Guiditta  de Scarlatti, il faudrait songer à préparer le déjeuner, mais j'ai une flemme de chat, pour un peu je m'allongerais moi aussi, vieillir c'est consentir aux siestes, pour un peu je couperais la chique à Judith -on sait comment ça finit- et j'irais dormir bercé par le son de la pluie qui crépite sur les feuilles tombées. Mais monsieur l'appétit commande, je me résous à cuisiner.

samedi 5 novembre 2022

Plus ou moins l'automne

 La maison rétrécit avec les jours qui raccourcissent, le jardin ne lui offre plus de prolongement mais une zone d'herbe trempée, et les roues des voitures laissent des ornières boueuses devant la façade que le soleil frappe moins longtemps. Pour les mois qui s'annoncent, il faut fermer la porte de la véranda, en user comme d'une remise: on y serre les légumes et les pommes, et bientôt on y rentrera le laurier rose et l'olivier qui pourraient souffrir du gel. Car il va geler à nouveau, dans quelques jours, quelques semaines, encore geler un peu, moins souvent moins longtemps certes, mais tout de même l'olivier ici c'est un peu prématuré, il n'est pas dit qu'il ne neige plus jamais, ce n'est pas sûr, mieux vaut abriter l'olivier dans la véranda, laisser passer les jours froids qui finiront par arriver, se calfeutrer dans la maison réduite aux pièces chauffées. Les chats ne s'y trompent pas, moins enclins à sortir, qui étirent leurs siestes aux dimensions de la journée, prennent toute la place au lit, pour un peu ils nous chasseraient s'ils en avaient l'énergie, mais non, nous leur tenons chaud, quoi de mieux pour hiberner?

vendredi 4 novembre 2022

Bombance

 La nuit grandit, c'est de saison, mois sombres, fruits rares, racines déterrées, nous y tendons n'était le temps, cette chaleur dont on s'effare:  les oiseaux chantent, certains nidifient, les plantes s'égarent qui refleurissent ou qui bourgeonnent, c'est un chaos doux qui s'empare de nous dont nous craignons à raison qu'il aggrave tout, tout, on ne sait pas très bien nommer, mais on pressent des crues et des tornades, des côtes érodées, des cyclones tropicaux sur nos campagnes tempérées. N'était le temps, la tempérance perdue si tant est que que jamais tempérance il y eut hors la liste des vertus dont il nous faut désespérer. Notre appétit nous tue, notre soif de poivrots nous dessèche, et quand aurons mangé et la pulpe et la graine, et le lard et la viande,  quand nous aurons bu tous les vins et toute l'eau des rivières, c'est notre sang que nous boirons notre chair que nous mastiquerons, dans une communion amère.

mardi 1 novembre 2022

Une visite

 Feuille d'automne, chaleur d'été, ta fille est passée qui te ressemble et pas du tout c'est bien ainsi, c'est bien ta fille, Thalie  fille de Flavie, ce qui les lie le "a", le "i", deux syllabes et un "l", pas rien mais rien qui pèse trop, Thalie marche avec moi dans l'arboretum d'Harcourt, je trouve une coulemelle dont je cueille le chapeau, tu ne leur as pas appris les champignons à tes enfants, Thalie le regrette un peu, on s'assoit sur un banc, Tanguy fatigue encore quand il marche, pourquoi parlons-nous de Mulhouse? Thalie est surprise que nous y ayons vécu petits, tu ne leur avais pas dit, tu ne t'en souvenais pas peut-être, quel âge avais-tu à Mulhouse, deux ans? Provins non plus n'évoque rien à ta fille, je raconte ta boiterie, de cela tu avais parlé, elle se souvient, oui, tu boitais petite, c'était à Provins le commandant les prothèses dans le porte-parapluie, tu ne lui avais pas dit. Les feuilles jaunies le grand platane, l'arbre tortueux qui fait caverne, les baies violettes d'un arbuste, nous marchons dans le temps qui passe, un été qui s'éternise, malgré les jours abrégés..

mercredi 12 octobre 2022

Que l'hiver nous soit doux

 Et reprendre, comme si de rien n'était, le chemin des cèpes, des coulemelles, les retrouver aux endroits précis où ils poussent chaque année, le long des talus, dans des fossés, à la lisière des bois, ils sont là, eux aussi ils ont voulu vivre, comme a voulu vivre le poirier qui avait grillé en juillet, qui refleurit en août, fleurs sans fruits bien sûr, fleurs suivies de feuilles qui s'apprêtent à jaunir, les feuilles ne sont pas encore tombées sur les cèpes, mais déjà certains sont gercés de gel. Il faut les cueillir vite, qu'ils laissent la place aux trompettes, aux chanterelles, aux champignons des feuilles tombées, ceux qui se protègent du gel et peuvent espérer connaître décembre, si l'hiver est doux, parfois jusqu'à janvier les chanterelles cendrées, c'est arrivé, il ne faut pas de nuits trop claires, ça qu'on peut espérer.

samedi 25 juin 2022

Monter aux monts

 Dans la chaleur d'hier, avant de rentrer à Aucourt, je me suis offert un détour qui évitait le boulevard de la gare et ses travaux, je suis monté aux monts, je voulais voir la vue. C'est ainsi à  Bernay, à pied ou en voiture on monte aux monts voir la vue -et c'est là qu'Antonio attendait sa petite amie jadis, en fumant dans la nuit. On monte aux monts, on voit la vue et ça va mieux, la petite ville blottie autour de son église que masque un peu l'étrange maison blanche de style paquebot, la place de la Poste qui rappelle l'éventrement que les bombes ont causé -bombes anglaises, ce me semble, il faudrait vérifier. Si on tourne le dos à la vue, ce qui serait dommage, c'est le cimetière qui se profile, un vieux cimetière où les tombes s'amoncellent; le calme est assuré, mais je préfère voir la vue.

mardi 14 juin 2022

Joies de juin

 Se réveiller la bague au doigt, quatre mains, deux anneaux, le lit froissé d'un matin déjà chaud, se demander ce qu'il convient de faire pour l'olivier qui nous est offert, le rentrer l'hiver? Nous n'y sommes pas. Marie-Noëlle est passée comme un papillon, nous a conseillé de planter un tilleul à la place du saule-pleureur mort, elle nous enverra un gitan qui est élagueur, le tilleul a moins besoin d'eau, la mare s'en portera mieux, on s'imagine déjà à l'ombre de l'arbre, il nous faut de l'ombre et prendre soin de l'eau, telle est la pente de ce monde. Main dans la main, anneau contre anneau nous arpentons, comptons les promesses de poires les fleurs de potiron, il faut remettre un grelot à la chatte qui tue trop d'oiseaux, la grive chante nonobstant, le paon fugueur braille "léon!" comme il se doit. Main dans la main nous arpentons, les pruniers sont cloqués mais les fruits sont là, les groseilles rougissent mais ne sont pas sucrées, les lapins ne rongent plus les pousses des framboisiers -on en aura dès cette année, comme les coings sur le jeune cognassier. La chatte trempée de rosée se frotte à nous, grimpe au lilas dont elle gratte la mousse, le gros chat paresseux est allongé sur l'estragon qui n'y survivra pas, la rhubarbe se plait ici, tout pousse au jardin, elle nous l'avait dit, l'ancienne propriétaire, nous poursuivons main dans la main.

jeudi 2 juin 2022

Ca va encore

 Sous la lumière crue d'un matin doux de juin, se demander à haute voix s'il nous sera donné de vieillir sans trop déchoir, lapins de bondir au fond du jardin, mésanges de pondre dans les nichoirs. Ce qui s'épuise en nous c'est la vie même certes, et l'âge rouille nos genoux, étoupe nos yeux rouges en dépit des lunettes, mais nous réveillant enlacés on voudrait tant que se répète le miracle de nos souffles synchrones, de la vie douce et des cerises à l'arbre -celles que les merles nous ont laissées. Sous la lumière du matin comprendre que les matins nous sont comptés depuis que nous voyons le jour, que les nuages nous sont comptés sous la lumière indifférente. Qui pourrait croire pourtant à écouter le chant des grives, le roucoulement des tourterelles, qu'un jour on cherchera le dernier pigeon -d'un gris d'ardoise dit la chanson- et que les yeux en l'air on écrasera la dernière jonquille, distraitement, et nous n'aurons pas eu d'enfants.

dimanche 1 mai 2022

Louis Gaspard

Revient, du fond de la bibliothèque, un fameux petit livre et ses versets tordus, ses phrases cassées au cœur même de leur moelle, branches d'un arbre à pendus percluses de la raideur du gel, nues, absurdement, de tout cadavre. Qui l'écrivit mourut dès longtemps, et sa misère est plus célèbre que lui qui ne vit pas son livre imprimé, que nul ne reconnut, qui n'eut, nu,  ni femme ni amante, mais qui fut dépouillé par une sœur crochue, une mère récriminante, et son corps creusé de phtisique enterré dans la fosse non commune, grâce à la pitié d'un sculpteur.

samedi 23 avril 2022

Vieux printemps

La chatte grimpe aux arbres, préfère les mouches aux oiseaux, s'agite, court, s'endort tout de go sous les nuages blancs qui défilent au dessus des arbres en fleurs dont les pétales neigent au moindre coup de vent. A sourire au printemps retrouvé, ces verts acides qu'aime le vieil Hockney, on jurerait que rien n'a changé, les iris des faitages, les boutons des œillets, les bourgeons tendres de la charmille, on s'y jurerait mais il faut en désespérer, c'est le trompe l'œil auquel nous consentons, faute de vouloir voir plus loin que le but de la saison, croire que tout va recommencer alors qu'un à un nous brisons les cycles et les bouteilles vides à la fin du festin.

vendredi 22 avril 2022

Las le temps non

Ce qu'il est advenu, ce qui s'est passé, je ne sais, pas plus, ce qui s'est cassé, tous les miens disparus ou presque, et le ciel inchangé semble-t-il -c'est faux, même le ciel est affecté, même le vent qui fait neiger les merisiers n'est pas le même. Le temps nous est passé dessus le temps bientôt ne passera plus, et les nuages voués à s'évanouir ne prendront plus la forme de nos rêves -d'ailleurs nous ne rêverons plus. Nous plantons des arbres pour conjurer le sort, ils brûleront lorsque l'été décidera de l'incendie et nous fouillerons dans les cendres en espérant trouver nos chats. 
On se réveille, on est vieux, les derniers à vieillir, ça qui est arrivé. Les hêtraies vont griller, les chênes se rabougrir -je sais comment on fait- les derniers à vieillir, jouir du printemps c'est se mentir, le chant des oiseaux il est vrai, grive ne saurait nous trahir, mais les oiseaux sont abusés qui désirent quand il n'est plus temps de nicher, quand le temps n'est plus, que nul n'a plus le temps.

mardi 19 avril 2022

Ce que Rome on nomme

Je suis retourné à Rome  après avoir différé, une semaine sainte à Rome ce sont des arbres de Judée, des cascades de bougainvillées sur des murs ocres, sur des murs rouges où s'étranglent des glycines, devant des palais restaurés où des bustes s'empoussièrent entre des Fiat mal garées, ça n'a pas trop changé Rome, tu reconnaîtrais sans difficulté. Sur le Corso tu avais acheté des bottes il y a plus de trente cinq ans, nous avions visité la Sixtine à moitié restaurée, perturbés par la palette acide qui nous était révélée, la chapelle  pratiquement vide, c'est ça surtout qui a changé. Vingt ans après nous avions erré en décembre dans le Trastevere où tout était fermé, nous étions rentrés trempés à l'hôtel où un touriste russe chaque matin vidait le buffet du petit déjeuner pour remplir les poches de son manteau de laine, comme ça que ça me revient, par deux fois la Galleria Borghese et la traversée des jardins, le palais Barberini en travaux, de nuit, les trois Caravage de Saint Louis des Français, le tour commun, obligé, pas un jour sans penser à toi, ça qui n'a pas changé. Tanguy voulait voir le Colisée, c'est là que se trouve le chantier de l'extension du métro, cela va prendre des années, à Rome les travaux durent une éternité, comme si on avait l'éternité pour soi, n'était la preuve amère des fresques effacées dans le film de Fellini. Nous avons marché dans le Forum et bien-sûr c'était surpeuplé, mais au jardin Farnese fleurissaient les premières roses, il suffisait d'aimer. Au Vatican, on ne pouvait plus réserver que des visites guidées, cela ne m'enchantait pas, mais Roberta fut un bon guide qui nous mena de sarcophages en urnes pour finir par nous raconter qu'au début de la pandémie, en Italie on mélangea les cendres des morts et que chez elle, dans le vase funéraire se trouvaient des cendres qui n'étaient pas celles de son père, et j'ai pensé à toi, à ta tombe où je ne suis pas retourné depuis des années.

dimanche 3 avril 2022

Fleurs sous la neige

 Le ciel s'est rabaissé, après le sable du désert qui l'avait jauni, ce fut une crampe du nord, un retour d'hiver fatal aux jonquilles, aux fleurs des pruniers. Il a neigé lourd, cette neige aqueuse collante a grillé les bourgeons, les boutons, les pétales blancs des merisiers, la mare a de nouveau gelé où percent les feuilles des iris d'eau, fleuriront elles après le gel? La mésange bleue est revenue aux boules de graisse que nous suspendons sous le toit, le froid la rend à la nécessité, le nid elle verra après, quand la chaleur sera revenue, et avec elle les insectes. Les fruits frappés d'incertitude, tant pis, faire sans, ou peu, c'est ce qui attend chacun, après le froid, réchauffement, ce que cela dit, ce qu'on ne veut entendre.

jeudi 24 mars 2022

Plus le temps

 Le temps ne nous est plus donné, il faudrait le prendre, lui dire d'arrêter, fleurs de printemps en février, hellébores d'un parme tendre débordées de narcisses aux cœurs corail, magnolia dont les fleurs sont des obus roses: ralentir, ce qu'il faut, suspendre les tirs et la faux,  attendre sans se presser les blés pour juillet, les fleurs de lin pour juin on se cabre, on tire sur les freins, les patins font des étincelles qui révèlent par instants stupéfiés les abîmes où nous allons verser, où nous versons entraînant avec nous ce qui palpite, ce qui s'enracine, ce qui fructifie, qui s'essaime, qui copule, qui germine et saillit vers la grande noyade, le grand incendie, vertigineuse dégringolade, c'est l'humaine salauderie.

dimanche 20 mars 2022

D'huile et de blé

Alors printemps, j'aimerais y croire, comme le couple de canards sur la mare les pigeons fidèles qui nidifient dans les bambous, le coq faisan qui crie vers les lointains, pour le cas où il serait entendu. Les fusils se sont tus, j'entends ceux des chasseurs, pour la guerre à l'est on en est aux missiles aux villes détruites, aux malheurs sur tant de visages. C'est un pays de blé et d'huiles dit-on de l'Ukraine dont je ne vois que ruines en hiver sur les écrans, ils commencent à fleurir les champs de colza sur la plaine du Neubourg, je n'aime pas le colza qui jure sur le bleu du ciel, ensucre l'atmosphère d'une odeur écœurante, mais je n'aurais pas cru un jour devoir les associer aux couleurs de l'Ukraine, les regarder fleurir, souhaiter du tournesol sur les champs de bataille, souhaiter aux réfugiés un retour heureux au grenier, un retour d'huile et de blé.

lundi 7 mars 2022

Tulipier ou magnolia ?

 C'est un ciel plein de mésanges bleues, de chants nuptiaux, un sol gelé qui se dégivre, les tiges d'hellébores qui avaient ployé se rebiffent, les crocus pointent, et le grand débat devant l'arbre: tulipier ou magnolia? Un mouchetis de jonquilles par le pré, des pies qui sautillent et lapins de s'écarter, les chats ne pensent qu'à sortir, pour  rentrer et s'endormir au soleil de la véranda. Ce qu'il en sera quand notre agitation aura tout échauffé, cette inflammation que nous sommes au corps de la terre: un désastre d'oiseaux, des feuillages grêlés, la montée des eaux, le règne du désert, des enfants au ventre gonflé, des cadavres dans les rivières, des vieillards crevant de chaud, notre jardin ne saurait en réchapper. Je contemple la mare, l'imagine asséchée. Les arbres plantés par Tanguy n'ont pas cinquante ans devant eux, j'aurai donc vécu plus qu'un arbre, cette idée ne rend pas heureux.

vendredi 4 mars 2022

Blonds comme blés

 La guerre a surgi des jonquilles, elle manquait au tableau la guerre, à notre collection acharnée d’horreurs, le prunus en fleurs ne fait pas contrepoids, nous penchons donc happés par la pente ça allait trop doucement sans doute l’anéantissement, un peu mollassonne la sixième extinction, manquait de radiations tout ça,  de héros ensanglantés de chants martiaux de femmes violées, de président providentiel de torses bombés de commentaires imbéciles d’armes fatales et de convois de réfugiés idéalement blonds, manquait plus que ça, mon tulipier peut se rhabiller, planter des pommiers à quoi bon les réfugiés sont blonds comme blés, jusqu'à vitrification.

samedi 19 février 2022

Je dis fleur

Les hellébores effeuillées dévoilent leurs fleurs chiffonnées qu'on croirait fragiles, mais il ne faut pas s'y tromper, elles résistent au gel, les roses de Noël et s'épanouissent en février nuancier de mauve, de rose, de blanc cassé, et leurs charmes empoisonnés nous paralyseraient si par gourmandise nous prenait la fantaisie d'en mâcher une tige. Mieux vaut un bouquet.

mercredi 16 février 2022

Fleurs à venir

 Le jardin s'éveillant rappelle ceux de l'enfance, les tapis de primevères Honfleur, les jonquilles Villepreux, les crocus la pelouse en bas du chalet, à Château d'Oex, les hivers peu neigeux. D'autres fleurs ne me disent rien de précis, à peine si je sais les nommer, si je les reconnais, grappes jaunes du mahonia, les pousses me réduisent aux conjectures: pieds d'œillets, feuilles de tulipes, sans doute,  pavots peut-être -il y en avait là l'été dernier. Le jardin abandonné se révèle, que Tanguy taille, éclaircit, désherbe, des perspectives se dessinent, on y voit plus clair. Je plaide en vain pour le maintien d'une part de mystère, je ne plaiderai plus lorsque fleuriront les roses les glaïeuls et les pivoines, mais ferai des bouquets comme il y a longtemps mon grand-père le faisait, de grands bouquets dans la channe de cuivre.

vendredi 11 février 2022

Reverdie

 Alors les prémices surgissent de la nuit, à notre surprise renouée chaque année, car chaque année nous craignons davantage que le cercle se brise et l'enchantement s'évanouisse, mais non, nous n'en sommes pas encore là, il reste des pluies de tout calibre, du crachin jusqu'à l'allochée pour remplir la mare aux herbes épanchées. Le gel qui s'évapore fait fumer les planches pourries du portail,  les lapins se courent après, et dès potron-minet, les oiseaux chantent à gorge fendre sur les branches bourgeonnantes, au dessus des perce-neige et des premiers crocus. On guette dès que le soleil perce, ce qui pousse, ce qui est mort, on s'agace des écorces rongées -il a pris cher le cognassier- les jonquilles sont en boutons, les merles sifflent leur amour, on est repartis pour un tour, très volontiers, pour un peu on en chanterait.

mercredi 12 janvier 2022

Tombée du jour

L'hiver s'étire de nuage en nuit, une écharpe d'ombre grise où luit un lampadaire, cette lumière qui pleut dru, cône orange dès le soir tombé. Pas un bruit, calfeutrés nous sommes, nous attendons des jours plus longs -meilleurs on n'oserait le parier- en guettant le chant des oiseaux le sifflement du merle qui s'épanche dès février. Ne reste qu'à boire le thé sous les lampes du salon, fermer les volets, entrouvrir la porte pour que rentre le chat ou que l'autre chat sorte, c'est ainsi que le soir s'installe, et qu'il dure.

samedi 1 janvier 2022

Pour des prunes

 Un soleil de printemps point, les augures je n'en attends rien. La lumière verse par les fenêtres, Tanguy dehors plante un prunier qui donnera, un jour peut-être, des reines-claudes si le redoux de janvier ne l'induit pas à bourgeonner trop tôt et bourgeons de geler, fleurs de tomber en un printemps raté. A force de gober moucherons tardifs et araignées planquées, la petite chatte a vomi  sur les dalles, il a fallu tout nettoyer. La voilà qui repart en chasse et je nous prépare un café. Pour l'an nouveau ne rien souhaiter, faire le gros dos, planquer son nid, rêver que dans les plis d'un tout petit bocage on passe en contrebande une arche de Noé juste avant la grande marée. En sourire et préparer le déjeuner.