Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

lundi 21 octobre 2019

Linoléum

C'est très propre ici, le meublé de Tanguy, de l'autre côté on aurait pu voir la chaîne des Puys, mais il donne sur la voie ferrée, quelques trains pas pressés, quelques immeubles un ciel changeant, souvent chargé, c'est bien chauffé ici. Tout fonctionnel un peu vieillot, confort sommaire, ici on vient pour travailler, chaises, lino, tables, tout vert d'eau, tout ici bien entretenu, je suis content d'être venu, heureux d'être avec lui. Au sous-sol une laverie, c'est bien organisé ici, un grand couloir orange une tuyauterie démesurée qui mène aussi à la chaufferie, ça vous a des airs de film, Wes Anderson, avec odeurs de détergent, c'est très propre ici, je l'ai déjà dit ? Plus troublant, le bruit des pas sur le linoléum gris du couloir interminable qui mène à l'appartement, après l'escalier gris à la rampe rouge, ce bruit, le sentiment d'un sol un peu collant, si bien lavé, presque ciré, le souvenir passe par mes semelles, ces pas-là je les fis souvent, tu étais déjà très malade quand il fut question de l'EPHAD, tu avais préparé le dossier, j'étais allé visiter le lieu de vie et de fin de vie, ainsi l'avait nommé l'infirmier, tu m'as demandé comment c'était, c'était propre et maman s'y résigna, un mois avant ta mort. Pour la voir, il fallait aller au bout du couloir très propre malgré les charriots de couches souillées -parfois c'était en apnée- et détacher les pas du sol collant lino bleu ciré, avec ce bruit que je retrouve ici, ce bruit de propreté, avant qu'ouvrant la porte de sa chambre je ne sois saisi d'effluves de "Shalimar" dont elle fit, sa dernière année, un usage immodéré.

jeudi 3 octobre 2019

Lubrizol

Se taire ça vaudrait mieux danser sous la pluie noire désormais sans mystère aimer qui je peux tant qu'il est encore temps -ce que je fais je crois et du mieux que je peux mais le livre ah ça non pas la peine, ma peine tu sais j'en suis le portefaix ma peine porte ton nom mais le livre à quoi bon qui lirait quand finie la fête foraine nous serons tous rendus à nos visages de carême, nos faces blêmes de veille de fin du monde? A quoi bon dire la prophétie si chacun déjà la connaît, tu la connaissais toi aussi, le monde il nous prend de vitesse, et l'on s'acharne à l'achever tout en priant en douce que les catastrophes aient la politesse d'attendre notre Alzheimer pour se déployer sur la nuit de nos neurones en cendres. Il a plu de la suie noire, de l'huile bitumeuse, de la poussière d'amiante, un peu de dioxine, il pue de l’œuf pourri comme il pleut sur la ville, quelles sont ces particules qui pénètrent mon cœur? Il faut bien respirer, comment s'en empêcher mais vraiment si on peut, se taire ça vaudrait mieux que ces paroles dévoyées, ces nuages toxiques rien qu'un peu.

jeudi 22 août 2019

De tout de rien

Même si l'avenir s'effondre comme un pan de toit sous le ciel, sous la dalle grise où ton nom s'efface, tu n'es plus tu n'y es pas, les pas sur le gravier s'éloignent, c'est doux de te parler, tu ne me réponds pas -j'ai oublié le timbre de ta voix. Je ne vais plus à Vannes, je ne me retourne pas, les pas sur le gravier s'éloignent, me revient "c'est n'importe quoi", ce que tu disais quand ça n'allait pas. Je suis comme ces vieilles femmes, ces veuves d'Almodovar qui nettoient les tombes en Espagne, elles parlent des vivants aux morts, des morts aux vivants, elles disent des horreurs et chantent des chansons d'enfants. Cet été, ton fils est venu m'aider pour l'emménagement -Tanguy s'installe ici- bien-sûr c'était la canicule, ton fils déborde d'énergie tu serais rassurée tu serais fière de lui. Il a fait si chaud cet été que des arbres ont grillé que des arbres ont jauni, brûle l'Amazonie, qui aurait pu l'imaginer? 43° degrés à Lille fin juillet, ton fils te le confirmerait, il te dirait aussi la fraîcheur de la cathédrale d'Amiens où nous fîmes étape, ses lumières insensées. Tanguy a rangé les armoires, vingt ans de linge accumulé, coton jauni, laine mitée c'est fou ce qu'il fallut jeter chemises défraîchies, manteaux élimés, jeans déchirés, au recyclage, faire le grand ménage: tout est entré dans la maison plus grande qu'il n'y parait, le passé s'est tassé. Je suis encore vivant, je sais encore aimer c'est doux de te parler.

mercredi 10 juillet 2019

Eté tempéré

C'est un soleil normal un soleil d'avant, exactement la lumière de juillet d'antan qui ricochait sur les flaques où nous agitions nos épuisettes, entre les rochers de Port-Lin dont le mica scintillait par à coups, une lumière qui certes avait sa violence mais qui ne brûlait pas comme il arrive que brûle le ciel de nos jours -que d'incendies dans le journal  qui incrimine des enfants, se méfier des enfants, dissimuler les allumettes, les ranger en haut des buffets, avec les bonbons, les confitures. Comment à ce compte ne pas désirer le feu? Nos enfants brûleront le monde, nous leur en avons donné le désir, leur avons montré comment faire. Mais aujourd'hui, l'air n'est pas trop rare, le ciel bleu sans trainées brunâtres, un été tempéré jurerait-on, un été  banal où l'on lit la fenêtre ouverte, il t'aurait rappelé ce jour lointain où le chat noir voulut chasser les papillons et tomba de l'étage dans le buddleia bourdonnant d'insectes -les rosiers  sous ma fenêtre bruissent d'abeilles, j'entends un merle. Pas un âge d'or, pas un soleil d'Eden, juste un jour d'été.

mercredi 19 juin 2019

Balouba chat noir

On nous apprit le jour où le père installa la balançoire verte et jaune, la mort du chat noir, comme ça, ceci compensant cela, il nous fallut payer la joie de l'escarpolette au prix de Balouba. On l'avait baptisé pour nous, on ne nous avait pas dit pourquoi "Balouba" -Baluba de fait, on ne l'écrivait pas. On aurait pu nous le dire, nous n'y aurions pas vu malice, enfants blancs dont les atlas obsolètes coloraient d'un parme colonial des pans entiers d'Afrique -Empire Français, ça s'appelait. Ça aurait pu aller de soi, nous étions des enfants de droite, il fallait appeler un chat un chat, un chat noir Balouba, blancs, noirs, chacun sa place, chacun sa race, tralala rance et pourtant c'était l'enfance.
Nous avons pleuré Balouba, esquinté par des chats normands, à Honfleur, en fin de vacances, l'œil crevé l'oreille manquante, on nous avait promis qu'on allait le soigner, on le fit piquer puis on acheta la balançoire pour contrebalancer, la balançoire verte et jaune pour colorier le deuil du chat noir, escomptant -à raison d'ailleurs- que dans le va et vient -la tête en bas les pieds au ciel, soleil!- de Balouba qu'on aimait tant, de Balouba qu'on s'en balance, quelques larmes, un rien.

mercredi 29 mai 2019

Méforme

Elle n'est pas pour moi la grande forme, pour toi non plus conséquemment, tu n'attendais pas  vingt-quatre chants de ton frère en lui mandant d'écrire, pas un roman non plus, peut-être un testament?
Je n'aime pas vraiment la matière de Bretagne, je ne suis pas du monument, je ne célèbre pas qui gagne et je me fous des korrigans. La veine épique m'est pis que pendre, en ma catholique lignée, seule ma colère fut homérique et je ne sus pas la chanter. Dire qui tu fus, célébrer une enfance sous un soleil mesuré, tes joies, tes goûts, nos doigts rouges dans les framboisiers, oui ça je peux l'écrire et tenter de te susciter, mais je ne fonde rien qui vaille, je tricote sans compter les mailles, cotte mal taillée se déchipote, se défile, s'écaille et si je tiens parole, obstiné, si je m'échine à  t'écrire, sauver de l'oubli ce qui peut l'être, mettre de l'ordre en mon grenier où  la mémoire prend l'eau, c'est au prix de l'informe, du déchant de Corbière. Je connais  trop souvent la fatigue, parfois l'accablement: pourquoi poursuivre un passé  sans revenante si l'avenir se ferme comme un poing sur la vie-même et que bientôt  nul ne se souviendra de toi, car bientôt  plus personne pour se souvenir de quiconque?

mercredi 8 mai 2019

Les vieilles chansons

Tu sais pour te dire, te dire justement, il faut des mots doux comme un linge délavé, un langage criblé -sur le tamis les grumeaux du clinquant. "Le vieux style" elle disait Winnie, la mémoire usée, les mots pour te dire ne seront jamais assez doux, des mots comme des peaux d'enfants des mots voilés comme des yeux de vieille avant qu'on ne leur ôte la taie -"on m'a fait la cataracte m'a dit une voisine, j'en vois que c'est presque trop beau". Il faut  bercer ses morts, leur chanter les refrains d'antan, je te fredonne "Le roi Renaud", "Le pont de Tréguier", "La boulangère a des écus qui ne lui coûtent guère", tous les refrains que nous chantions je te les chante comme ils me viennent par bribes, déformés, adoucis par l'oubli, tu chantais faux mais tu chantais quand même ces mots doux des chansons d'enfance, pas si doux les mots quand on y pense, "Le roi Renaud de guerre revint / tenant ses tripes à la main", panse percée, cœur chagrin, maman c'est cela  qu'elle nous chantait, qu'elle a chanté à tes enfants, et vous deux mortes et tes enfants grandis et moi moins vaillant, ce sont là les mots que je chante seul, les soirs où je sens que tu hantes.

mercredi 24 avril 2019

Succession

Étrange, quand j'y pense, ce mot de succession, celle du père en l’occurrence, à qui je succéderais… Vocabulaire de notaire, tu serais là nous en ririons, nous lui succéderions d'un rire, la succession qu'en faire? En rire tant qu'on peut. Nous ne le pouvons plus, puisque me voici seul à survivre, me voici seul succédant en compagnie de tes enfants, que de successions pour eux, trois en quatre ans, la tienne, celle de maman, et voici qu'advient celle du père, qu'ils n'ont jamais vu, sauf Thibaud qui ne s'en souvient plus, il avait deux ans. Le père t'avait dit le voyant: deux ans c'est le bel âge, après les enfants ce ne sont qu'emmerdements et déceptions. Tu n'avais plus revu le père d'autant qu'enceinte de ta fille tu lui avais enfin demandé des comptes quant à l'inceste, qu'il t'avait répondu on se fait une bouffe et on en parle, c'est là que tu avais rompu et que rompant, c'est une autre succession que tu avais installée, entre ta fille à naître et toi, la soustraire au père, refuser de boiter plus loin, le planter là, le labdacide au petit pied dont ta fille n'a rien à faire.

vendredi 19 avril 2019

Mars encore

La mort d'Arnaud, c'est mars encore, si vite amenuisé, le bras pendant, cheveux tombés, la parole hésitante mais l'œil allumé, c'est mars encore, et le cancer encore, "fuck the tumor" a-t-il répété doigt levé, bravache, vieil adolescent punk, fan des Clash, parole remâchée, bras pendant doigt levé. En trois mois emporté, Noël à la veillée il marchait encore, il comptait rejouer de la basse, Paul Simonon des Clash la portait basse avec classe, grâce de la jeunesse, ça qui s'est envolé, ça qui s'envole en mars, la légèreté. Trente ans d'amitié, pile poil aurait-il dit, il aimait les chiffres précis, les enclumes, les balances de pharmacie et les locomotives à vapeur. On a bien bu, fumé, bien ri surtout, avec Arnaud on riait de tout, surtout du pire, même en mars, même avec maman à l'EPHAD -pour ton enterrement il était resté avec elle, il avait fait rire maman pendant ton enterrement, "sans ça on aurait pleuré comme des vaches", ils avaient ri de moi, évidemment, "de qui veux tu qu'on rie, franchement?"- même à son incinération avec ses amis, ses sœurs, ses enfants, avec Irène, avec Sophie, ses élèves, Anne-Laure et j'en oublie tant, on a pleuré et on a ri, on a ri franchement.

dimanche 14 avril 2019

Perdre sa peine

C'est tout moi, ça, tu en rirais, rêver d'aiguilles, ravauder les jours troués, faire quelque chose des peines perdues, en rêver mais la tâche m'est ardue, les pointes m'effraient au point que je crains pour mon œil, ma main tremble et le fil dans le chas c'est trop pour moi, pour mes gros doigts, j'ai la broderie velléitaire et la suture symbolique. S'y frotter s'y piquer, voir le sang couler de la pointe suffit pour renoncer.

samedi 16 mars 2019

Quant aux anniversaires

S'il n'était mort un jour de l'automne passé -quel jour, je l'ignore, je n'en fus pas informé- le père aurait pris -c'est ainsi qu'on dit en mon pays de Normandie- quatre-vingt-cinq ans hier précisément. Si je le sais encore, si je suis précis, c'est à toi que je le dois, qui m'as rappelé sa date de naissance voici quatre ans, précisément. Tu étais maigre et farouche, je reviens à ce jour, je l'ai déjà écrit, maigre et farouche oui, ma sœur ce chat écorché dans une chemise de nuit bleue, un corps de tendons tendus jusqu'à rompre et pour rupture ce rire, j'y reviens, ce rire hargneux qui ne te ressemblait pas, pour me dire que cette fois encore, tu survivrais à son anniversaire, tu survivrais au père une dernière fois, "Aujourd'hui je ne peux pas mourir" m'as-tu lancé lorsque je suis entré et moi qui ne comprenais pas, il a fallu que tu me rappelles sa date de naissance, je l'avais oubliée, l'oubli, c'est bon parfois. Si je me souviens, si je suis précis, c'est que je pense à toi, c'est que je pense à mars où tu mourus, aux fleurs de mars si contraires à ta mort, aux autres morts de mars -depuis ta mort, il y en a eu des morts qui me hantent; le père n'en fait pas partie.

mercredi 27 février 2019

Théorie des nuages

Chers nuages, Charles, Eugène, il y eut en baie de Seine matière à tableaux. Tu sais bien ce qu'il faut, l'averse de lumière, la culotte de gendarme, l'éclaircie trouant le bitume, la pluie de l'autre côté de l'eau, parfois la Seine n'avait qu'un bord, parfois la pluie venait trop vite, je me souviens de Marie-Laure et moi, un matin  sur la plage du Havre, rattrapés par le grain, mouillés jusqu'à la culotte, ciel d'estuaire, ce qu'on dit, la pluie plusieurs fois par heure, le soleil entre la pluie, les nuages, les nuages comme la vie, les merveilleux nuages, qui vous trempent, vous essorent. Charles, Eugène, ce qu'on en dit, ce qu'on en peint, l'insaisissable, un dessin, un pastel, un lavis, ces gestes sans remords possible, ces gestes crispés, modernes, ces gestes sans atelier, ces touches dissociées, on s'était dit, la nature-même, l'éternité du  sensible, on l'aurait juré, les nuages sur les vases de l'estuaire, ces lumières à jamais changeantes, on tenait quelque chose de vrai, et puis on entend que leurs jours sont comptés aux nuages, aux nuages de l'océan, qu'en 2100 ils n'en auraient plus pour longtemps et qu'avec eux c'en serait fait de nous, de nos enfants, 8 degrés d'un coup, la vie torréfiée, l'éternité exacte au soleil perpendiculaire, sans nuages, sans nous.

mardi 19 février 2019

Printemps précoce

La lumière est revenue d'un coup, trop tôt, trop chaud, tant mieux tant pis, on prend le temps qu'il fait comme il vient, en junkies de la reverdie, on sourit aux narcisses, aux primevères sur les fossés verts, et des vacanciers mangent des glaces en bord de mer, pour un peu on se baignerait, on ne se baigne pas, on en serait transis. On sue sous le manteau d'hiver on se réveille avec des envies de marche, le ciel est bleu mais, vers la ville des trainées roses et brunes où s'accumule l'haleine de nos activités et cette haleine nous asphyxie. J'entends que fondent les banquises, je l'entends sans surprise, aux antipodes ils se détachent les glaciers immenses et tôt la mer montant, les rivages en seront rongés, une question d'années, de mois, avant que ne cèdent les digues, que les polders soient envahis, on ne le croirait pas, on sait que si, on ne fait rien rien à faire, on sort prendre l'air de notre asphyxie, on mange un sorbet, on ne manque pas d'appétit au bord de la mer qui monte comme l'eau dans le verre où le glaçon s'est évanoui.

mardi 29 janvier 2019

Dernière neige

Et le silence s'abat blanc sur le toit d'ardoise et bâillonne les voitures qui passent en glissant dans le grand blanc de la nuit noire, il neige ce soir pour la dernière fois, ce que je me dis, pour la dernière fois, il se pourrait bien que plus jamais il ne neige en Normandie, ce qu'on m'a dit, on peut le croire, des mimosas des vignes ici on s'y prépare. On sort un instant, on ouvre la main le temps qu'un flocon s'y love et s'évanouisse dans le poing refermé d'où sourd une eau de glace, c'est l'hiver des légendes, c'est la fin de saison et la fin des saisons nous saisit nous fondons comme flocon de neige dans le poing fermé d'un enfant qui frissonne. Le monde se fige, le monde fond, c'est vers la fin  que nous coulons, vertige, les perce-neige perlent les talus profonds et vibrant sur leurs tiges mentent et nous disent que le printemps c'est bon, ce conte, ces boniments de fin du monde, ces ruses pour bercer les enfants.

mercredi 23 janvier 2019

Fondu au blanc

Pourquoi sous la neige les pas s'effacent plus que cheveux ne blanchissent, et ce qui fond c'est le corps dans le nuage gris qui floconne, cet évanouissement le prendre comme un train, une chance, un silence enfin. Aimer la neige, la balayer sur le pare-brise, croire qu'on verra plus loin, n'y voir pas mieux, se résoudre aveugle à un fondu au blanc, jouir des pas qui crissent des cris d'enfants qu'on ne voit pas, trembler vieillard déjà du pas qui glisse, de la cuisse qui se crispe, se reprendre, poser le pied bien à plat. Plus jamais tu ne connaîtras cela, parce que morte, et ta tombe, la neige, elle ne la connaît pas, parce qu'aussi la neige il faut la regarder dans notre aveuglement comme le signe évident de ce qui survient mais ne reviendra plus, ce qui fond dans la main, ce qu'humains nous réchauffons jusqu'à ce que mort s'ensuive, de l'eau qui s'enfuit pour faire monter les océans, ronger la terre et nous avec, et nous dedans.

vendredi 4 janvier 2019

Lavis d'hiver

Lumières brèves et crues, il a tellement plu, il ne pleut pas assez, les nuages sont comme encrés, de l'encre noire, la Waterman qui bleuissait lorsqu'on la coupait d'eau -on aimait assez la couper, tu serais là tu confirmerais- des effets d'aquarelle et de ciel d'hiver. Ton absence se dilue semble-t-il certains jours, les jours courts de janvier traversés d'averses, mon cœur transpercé que berce et soigne celui que j'aime qui m'accompagne et fait famille à lui tout seul ou presque, j'aurais tant voulu que tu le connaisses, cela ne nous fut pas donné. Tu me reviens dans la nuit noire, tu reviens dans de mauvais rêves, lumières crues, éclats brefs tu reviens sans rien dire, ton silence m'effare, ton silence t'altère, revenante tu n'es pas toi, ça qui m'épouvante. Il faut un effort pour sortir du cauchemar, chercher la main amie, humer la peau de Tanguy dans l'encre noire de la nuit, encre de chine, je préférais la Waterman, mais rien ne vaut se rendormir tout contre lui pour dissiper ce qui m'obscurcit.

dimanche 23 décembre 2018

Finir avec Noël

Au plus court des jours penser à toi, ce que c'était lourd, les derniers Noëls de ta vie, on faisait comme si, les huîtres, le foie gras tout ça, tes beaux parents qui mangeaient pendant des heures, maman qui n'allait plus qui n'allait pas, est-elle jamais allée maman qu'il fallait visiter chez elle, maman mourait tous les Noëls, défaillait pendant les repas, toi tu ne te plaignais pas, et tu es morte avant elle. Qu'offrir aux enfants, que répondre à l'amie qui ne parle que d'elle, qu'offrir à maman, la joie on fait comment? Philippe achetait toujours des sapins trop grands, dans sa crèche trop de santons, pour l'enchantement des enfants qui sans doute n'en demandaient pas tant. On a fait comme ça on a fait comme si tout allait se répéter quand même, on n'y croyait pas, on s'est soumis, on a abêti la machine, des fois que, mais non pas de grâce efficace, la farce de la dinde et du divin enfant, l'escroquerie des mages et le goût de la bûche, nous avons souscrit, nous avons subi, peiné à digérer la frangipane de la galette, au nom de quoi, au nom de qui, le temps t'était compté, n'y avait-il pas mieux à faire que ripailler jusqu'à nausée, nausée qui ne te quittait guère?

vendredi 7 décembre 2018

Encore un dernier tour

Les jours les plus courts sont-ils les meilleurs? j'en doute. Les caniveaux plus clairs du jaune des feuilles mortes sont des ciels inversés sous des nuages chargés de nuit. Tu sais, le monde est cul par dessus tête. Le culbuto de notre enfance pouvait pencher, son cul plombé lui garantissait tous les rétablissements, et le grelot qui tintait en lui c'était le rire d'un clown, sa chute une plaisanterie. J'ai peur à nous voir pencher pour encore dévorer la terre, pencher sur le comptoir du dernier coup pour la route, la dernière part du balthazar, j'ai peur qu'à trop aimer la pente et l'ivresse nous consentions à l'ensevelissement. Nous sommes épuisants dans un monde épuisé, glissant comme les enfants sur des toboggans tirebouchonnés, des enfants qui voudraient que jamais ne s'arrête la glissade enivrante ni le tour de manège, mais tout s'arrête et les lumières de la ducasse dans les cinq heures de décembre, c'est mensonge hélas, et rien ne dit que le cul dans le bac à sable, l'enfant puisse se relever.

lundi 26 novembre 2018

Rendu à son rien

Savoir le père rendu à son rien, qu'en aurais-tu ressenti? Véronique me dit qu'à la mort du sien, elle avait éprouvé comme un poids en moins, faute d'avoir obtenu une parole de vérité, mais non pas un mot, pas un regret, pas un pardon murmuré, ils sont morts les deux frères à un mois d'intervalle dans le même silence, le même déni, ils sont donc morts impardonnés et c'est tant pis. De quoi est-il mort? quand précisément? je ne sais, on ne me l'a pas dit et ce n'est pas grave, je veux l'annoncer à ma vieille tante nonagénaire, c'est mon oncle qui me répond et m'annonce la mort de son propre frère, les morts se croisent. Nous avons une drôle de conversation me dit-il avant de m'assurer qu'il a toujours beaucoup de plaisir à m'entendre, et Maryelle d'ajouter tranquille il était mort pour toi depuis si longtemps, ton deuil est fait, elle a raison, je ne ressens ni joie ni peine. Je ne sais ce que tu aurais ressenti, toi dont il avait abusé: allègement, soulagement, délivrance ou rien, ou le regret de son pardon jamais dit, ou la divine indifférence? Ton rien n'est pas celui du père, ton rien pèse en moi plus que mille pierres, ton rien c'est mon manque de toi, son rien je le voue à l'oubli, une poignée de poussière, le vent, le vent léger disperse avec ses cendres jusqu'à ma colère, dernier refuge de son être: je suis en paix de lui.

lundi 19 novembre 2018

L'abcisse et l'ordonnée

J'ai reconnu sa voix, tu l'aurais reconnue, Catherine quand ça va ou pas, on le reconnaît à sa voix. Des années qu'elle n'avait pas appelé, elle appelait maman, je ne la remplace pas, elle ne m'appelait pas jusque-là, quelque chose s'est cassé sans doute, je retrouve sa voix sur mon répondeur, au milieu d'une phrase qui me parle d'espérance, je ne comprends qu'après que c'est le nom de la clinique où elle est internée. Je la rappelle elle ne reconnaît pas ma voix, mais il suffit de mon prénom et la voilà rassurée qui me parle d'un dessin, un christ boursouflé qu'on a cloué sur l'axe de l'abscisse et de l'ordonnée, son dessin la hantait, si ton dessin te hante tu n'as qu'à le couper lui aurait dit son frère elle avait refusé, le dessin la hantait mais elle l'aimait quand même, puis elle a dérivé m'a parlé de vieilles culottes, de culottes neuves achetées car les vieilles lui faisaient honte, de la nécessité de laver les neuves avant de les porter, un autre de ses frères avait refusé de le faire tu n'as qu'à te démerder ce qu'elle a fait dans le lavabo de la chambre de la clinique de l'Espérance. Je ne lui avais rien demandé tient-elle à préciser, puis elle dérive encore, me parle de son désir des hommes, elle ne m'en avait jamais parlé, des propos déplacés d'un prêtre qu'elle aimait bien malgré tout, car il lui avait dit que faire l'amour la première fois, ce n'était pas pécher, elle avait bien aimé aller à confesse s'entendre dire qu'il n'y avait pas faute. Elle dérive encore, me parle du slip sale de D. le vieux salaud que j'avais oublié, mais elle dit son nom et je me le rappelle, et je lui réponds qu'il n'y avait pas que le slip de sale chez D., ça la fait rire. Elle dérive encore je ne sais plus quoi dire et lasse d'un coup au milieu d'une phrase bonsoir et elle raccroche.

dimanche 11 novembre 2018

Ton goût du Fondor

J'avais oublié, comment ai-je pu? ton goût pour le Fondor, qu'est-ce que le Fondor? il faut expliquer ce goût disparu. Je ne savais même pas si cela existait encore, mais si, je le retrouve sur le site Germandelistore, le Fondor de Maggi. Les esprits forts disaient: c'est du sel de céleri teint en jaune, rien de plus. Chimiquement c'est faux, il y a bien d'autres choses Sel, exhausteur de goût: glutamate de sodium; huile de palme, sucre, sirop de glucose, oignon, céleri rave, ail, curcuma, curry, poivre, muscade, arômes (blé) et un raton-laveur et qu'importe, tu l'aimais à la folie, petite, le Fondor de Maggi. Je ne partageais pas ta faiblesse qui jaunissait les coquillettes, les salades et les escalopes de dinde, mais c'était établi. Il te fallait ta dose, ça n'existait pas par ici le Fondor de Maggi, parfois on trouvait l'Aromat de Knorr, sinistre ersatz à ton avis, il te fallait du vrai, la véritable poudre d'or, on la faisait venir de Suisse, ils s'y connaissent en or les suisses, la tante envoyait des colis pour que tu soupoudres tes repas d'or, de sel de céleri, que tous les repas aient la même saveur et que tu retrouves l'appétit.

mercredi 17 octobre 2018

L'oncle d'Amérique

Il est mort le frère du père, l'oncle d'Amérique, Véronique l'annonce, factuelle, rappelle qu'elle ne l'a pas revu depuis septembre 95, a long goodbye dit-elle pudique, c'est une belle pudeur contre les impudents. La dernière fois que tu as vu le père c'était quand? Je dis voir le père comme on voit le loup, ce déchirement. Thibaud me dit qu'il a retrouvé sa médaille de l'ordre du mérite, ce ruban bleu qui ment. Tu as revu le père Thibaud avait deux ans, c'est le seul de tes enfants qui ait vu le père, il est né en 93, Thibaud, 93 plus 2, ça fait 95, ils ont leur compte les incestueux, la même année leurs filles rompent d'avec eux qui les avaient rompues. J'aurais tellement voulu que tu survives au père comme Véronique au sien, à l'oncle d'Amérique, le père de France, l'oncle d'Amérique, pantins monstrueux.

lundi 15 octobre 2018

Je dis nous

Ce que c'est que dire nous, tout l'enjeu de notre fin du monde, croire qu'on s'en tirera mieux seul, seuls ou dans l'entre soi des chanceux, des nantis qui s'assoient sur la misère des gueux, sont étonnés quand ça s'effondre, et ça s'effondre, et c'est maintenant qu'il faut dire nous, tu ne peux plus, je le dis pour deux, je ne le dis pas seul, deux nous sommes qui nous aimons, qui disons nous pour aller au but, deux par deux j'aime Tanguy avec qui je dis nous, quand Eluard me revient et que le temps déborde.

lundi 8 octobre 2018

Pas de pardon

Et tous les enfants tombés sous la loi des mâles blancs aux désirs crispés aux érections catholiques aux érections en tire-bouchon érections pardonnées d'avance, érections coupables sous l'aube souillée, tous les enfants qui en sont morts disqualifient tous les dieux indifférents et les pères au gland humide du sang de leur enfant. Tu as connu cela, chacun le sait désormais, ils m'ont tous lu les faux-culs qui portent mon nom, ils savent ce que tu as subi, l'ont toujours su, comment le père t'a foutue, toi et nombre d'enfants, ils le savent ils l'ont su s'en foutent ou peu s'en faut, m'en veulent d'être vivant de dire le secret honteux des mâles blancs, la loi des pères et des prêtres, le malheur des filles la plaie des enfants.

jeudi 27 septembre 2018

Inconséquence

Et l'abeille morte et la feuille tombée t'auront fait de la sorte une fraternité d'avant-garde, vies brisées juste avant la fin du monde. Moi je vais voir les eaux monter, la mer perdre son sel, je vois déjà la terre partir pulvérisée, ce qui se défait je ne sais mais le sens. Ton absence-même s'absente, ce qu'elle contenait d'absolu s'amenuise, devient l'ordinaire et j'ai peur à nouveau pour des bêtises essentielles, mais j'aime et me hâte d'aimer: cet automne l'œil d'un cyclone et c'est là que j'aime, ce qui m'échoit, aimer quand nul n'aime plus personne, que se dévorent les bêtes que dévorent les hommes qui abattent les arbres, épuisent le sable des grèves, et creusent les veines de la terre épuisée, à contretemps j'aime et je vis comme si les jours n'étaient pas comptés de l'espèce, de la terre, de la vie-même.

lundi 24 septembre 2018

Vallée de la Véronne

Ce matin revenant avec la lumière le froid comme un retour à l'ordre un aperçu d'octobre, les trois degrés affichés sur le tableau de bord et le cristal de givre bleu qui signale un danger de verglas, j'ai pris mon détour préféré, la petite route après le lieu-dit des Egyptiennes -pourquoi les Egyptiennes, je ne sais toujours pas- suivi la vallée de la Véronne dont le soleil enfin perçait les brumes claires de la rosée très blanche qui s'évapore au fond des prés. Combien de fois l'ai-je emprunté ce lacet de goudron que transperce l'herbe au centre de la voie, combien de fois ai-je marché là, j'y ai marché avec toi, Thibaud était petit, Thalie presque encore un bébé, Bastien était-il seulement né? -je ne m'en souviens pas. C'était l'été, Stéphane en était aussi de cette promenade, et d'autres fois, seul ou non, jusqu'à la fontaine Fiacre ou la chapelle Saint Firmin -c'était en mai, avec Tanguy-, dans les bois avec Andrew, sous la neige avec Laurent, tant de neige qu'il avait fallu faire demi-tour, il avait tant neigé ces années-là où tu étais tombée malade, où maman était tombée on ne sait trop comment, avait manqué d'y rester, ces années blanches et lourdes où il fut bien rare que je puisse, après les Egyptiennes, prendre mon détour préféré voir les baudets paître et les oiseaux s'envoler.

dimanche 16 septembre 2018

Post-Scriptum

Je ne t'écris plus, des mois que je ne t'écris plus, j'aime, ne t'oublie ni ne te trahis mais j'aime et me voici vivant ma morte, il s'appelle Tanguy celui qui, tu ne le sauras pas, mais c'est lui qui me fait sourire au matin, lui le nom de ma joie, le vœu de ma chanson. Tu es morte avant la fin du monde, cinq ans dit Bowie, deux répond l'ONU, qu'importe, je prends, je suis vieux et j'aime Tanguy et marcher sous l'ombre des arbres qui restent. Nous, il faudrait s'arrêter, ralentir le mouvement, se faire arbres si possible, pas morts comme morte tu es, mais arbres lents aux souffles verts, s'arrêter si possible, ne plus brûler ce qui nous permet d'être, ne plus dévorer mais aimer, savourer le présent, le désir revenu par inadvertance, la joie d'un souffle partagé jusque dans le sommeil, il s'appelle Tanguy celui qui me fait vivre dans la mort de l'espèce, deux ans, cinq ans, aimer je prends.

mercredi 11 juillet 2018

Retour de juin

Et puis la ronde a repris, les jours rallongés, et vos visages disparus, les rides sur l'étang glauque, les ronds dans l'eau qu'effleurent les pattes de libellules, les ailes de cousins, vos yeux fermés mais la lumière revenue que vous ne voyez plus, voilà. Il a tellement plu que les rivières ont débordé, j'ai traversé la Risle en crue, la crue n'a duré qu'une journée. Voilà que ton fils est rentré de Californie, de Chine, de Corée, je ne sais plus très bien. C'est un jeune homme mince comme un chat qui a beaucoup chassé -rassure-toi, ça va. Il est toujours un pas de côté, il confond courgette et concombre, un peu à distance du monde mais voilà c'est bien lui, ce fut bon de le voir rire et manger, de l'entendre raconter sa vie, il prend des cours de chant lyrique, il apprend le mandarin, il travaille beaucoup, il est peu payé, il repartira à la fin de l'été, il rit avec Tanguy, on boit un verre de vin, de l'Irancy mon préféré, tu l'aimais bien je crois, ton fils aussi l'a bien aimé.

jeudi 17 mai 2018

La guirlande de Flavie

Dans les rituels du printemps, voler un bouquet de lilas blancs, de lilas doubles si possible, s'étonner des fleurs au plus près du tronc des arbres de Judée, il y en avait un, dans le jardin-de-devant de la maison de Villepreux -tu t'en souviendrais. En Toscane ils sont plus grands, ici un peu maigrelets guirlandes de fleurs mauves dans le jardin propret, tu t'étonnerais de mon goût soudain pour les fleurs, tu n'aurais pas tort, la guirlande est détour, la guirlande de Flavie, pas un jeu de salon, pas une bergerie non, j'y viens. Un des rituels de printemps, s'épuiser dans des oraux blancs que passent des jeunes gens qui pensent plus au printemps qu'aux oraux blancs. Ils défilent une semaine durant, dormeur du val, lettres persanes, meurtre de l'arabe, Camille, Horace, incendies, Eldorado, Thélème et compagnie, c'est un rituel éprouvant, ils sont charmants les jeunes gens qui n'ont pas assez révisé, qui n'ont pas lu ou pas aimé ou bien aimé mais ne se souviennent plus très bien, ne trouvent pas le mot qu'ils ont sur le bout de la langue, on patiente on s'agace, on encourage on admoneste et puis voilà qu'entre une Marine et une Zoé, après un Wandrille bredouillant une jeune fille se présente, qui s'appelle Flavie. C'est le défaut des prénoms rares, c'est la fonction des noms propres qui n'évoquent qu'un visage, je lis son nom et tu m'apparais, et se brouille alors sa bonne bouille de jolie brunette, et s'y substitue le souvenir d'un trait qui te signait: ta réticence à consentir qu'il y eût d'autres Flavies au monde, ta peine à partager ton prénom. Je peine à mon tour à écouter l'adolescente qui n'usurpe rien; elle a bien travaillé, elle sourit, elle nuance, je la félicite mais je peine et l'appelle Mademoiselle c'est désuet tant pis, je ne peux pas l'appeler Flavie.

mercredi 9 mai 2018

Sur les dalles de lave noire

J'étais allé à Naples juste avant toi, de fait tu avais improvisé le voyage à m'entendre enthousiaste dès mon retour t'évoquer la vitalité un peu crasseuse de la moins compassée des villes -les derniers mois tu te saisissais de toutes les occasions pour partir, changer d'horizon. Je me souviens t'avoir donné les derniers conseils alors que tu étais en route pour l'aéroport et ce fut un de tes derniers voyages, dont tu revins ensoleillée. J'y suis retourné, j'aurais aimé t'en parler mais c'est ainsi je le savais, j'ai à nouveau marché sur les dalles de lave noire, je n'ai pas dansé sur le volcan, j'ai simplement glissé un soir de pluie -car un soir il a plu- sur ces dalles grasses de poussière mouillée et j'ai pensé aux rues de Casablanca après les premiers orages d'automne. J'arrive à l'âge où il faut veiller à ne pas glisser, mais je sais encore tomber sans casse -sans grâce non plus, c'est vrai. Au rythme du grand pas de Laurent qui arpente, égal, le monde, au son du rire cascadant de Tanguy qu'enchantent toutes les beautés, j'ai revu les lieux aimés, en ai découvert d'autres, et entre tous j'aurais voulu te parler d'une église, d'une sacristie peinte par Vasari, visitée par hasard, Sainte Anne des Lombards, le Compianto de terre cuite dont on reste stupéfié mais non, la vie reprend dont tu n'es plus: il faut désespérer du partage, partager avec d'autres, apprendre le bonheur sans toi, sans pouvoir te confier mes joies fragiles comme coquelicots à Paestum, se résoudre à l'évidence qu'il est urgent de vivre et doux d'aimer, qu'on peut vivre et aimer sans te trahir ni t'oublier.

samedi 21 avril 2018

Eté d'avril

Et le printemps sous mes doigts s'égrène comme j'écosse les petits pois, ceux-là sont rares dans la gousse épaisse, que s'est-il passé sous la serre? Il fait si chaud qu'on est perdu, on cherche des cerises chez le marchand de Jumièges qui rit, nous montre les arbres en fleurs, tu ne bouderais pas ton bonheur d'avril trompeur au point que c'est l'été d'un coup, goutte de Sahara sur les prés verts et les champs jaunes, poussière rouge sur les voitures et les carreaux de la fenêtre. Le temps s'accélère, et s'y prennent les pattes les araignées de mer revenues trop tôt sur la côte, les homards ne sont plus si chers, même les marchands s'y trompent, les prix se dérèglent aux étals des marchés. Tu aurais trempé ton pied dans l'eau du golfe, une eau pas si claire, tu l'aurais retiré ton pied ne s'y serait pas trompé lui, la mer c'est encore 11°, on n'est pas si loin de l'hiver, alors tu aurais marché sur le sable un peu vaseux des plages que tu aimais, pour se baigner attendre un peu, pour le bonheur du printemps s'en emparer sur le champ.

jeudi 19 avril 2018

Printemps chinois

Et cette chaleur éclatante, le sucre jaune du colza, les jacinthes en tapis dans les sous-bois, les cerisiers en fleurs, nous les avons connus, nous les avons aimés les printemps normands, les reverdies des Yvelines, les premiers lézards sur les murs de granit des chemins du Croisic, voilà c'est revenu et ce n'est pas pareil, c'est plus chaud, plus tôt, c'est la poussée de sève et le début de la fin du monde et c'est sans toi, l'inversion du Gulf Stream, la mort des oiseaux. Un bébé pleure que j'entends par la fenêtre ouverte, nuit de juin pour un soir d'avril. Il fait chaud à faire fondre le chocolat des tablettes, à faire éclore des nuées d'insectes, mais les papillons sont rares et tu manques et c'est nul. J'aurais voulu te dire que ton fils est heureux, qu'il vit en Chine et s'ouvre des possibles dans un monde où tout est difficile, que ce printemps est sien quand j'entends son bon rire au téléphone, qu'il vit à sa façon foutraque, baroque et bordélique. Son chemin n'appartient qu'à lui, ce qu'il trace nulle idée, mais l'élan de vie, ça je sais, tu aurais tellement aimé le voir ainsi si vivant qu'on aurait pensé, contre toute logique, la fin du monde ce n'est peut-être pas quand même pour tout de suite.

lundi 9 avril 2018

Je suis là

On croit -la mort de ceux qu'on aime est une amputation- mourir de la mort des chéries, des aimés, des mères au baiser d'amande, des amants aux aisselles de cassis, de toi ma sœur aux cils infinis, aux yeux indécis presque verts, on en meurt en effet, mais mourir au présent c'est vivre encore autour des plaies, sans quoi on ment et non, jamais je ne te mentirai. Te coucher sous la dalle -car j'ai dû la choisir- ce fut subir l'hiver son recommencement c'était mars pourtant, c'est en mars que souvent sont mortes les femmes que j'admire. En novembre ce fut maman. J'ai cru n'en jamais revenir du calendrier des cadavres, vingt fois seul dans la chambre j'ai replacé le tuyau d'oxygène qui lui tombait du nez, il fallait lui parler je ne savais que dire si ce n'est je suis là je l'ai toujours été. Te parler au contraire c'est l'évidence absurde, me taire ça ne me ressemble pas, mais voilà ta mort je n'en suis pas mort, je vis amputé de toi mais je vis et vivre c'est aimer encore et quelqu'un dort sur mon épaule et rit en s'éveillant et c'est comme un grelot qui dit la joie de vivre et d'aimer tout ensemble et mon seul regret toi pas là pour l'entendre.

dimanche 25 mars 2018

Par trois fois le printemps sans toi

Ca revient, trois ans ta mort, les tulipes dans le jardin, cette année elles n'y sont pas encore, il a neigé lundi dernier, je ne suis plus que le temps qu'il fait, j'erre seul comme un nuage et les jonquilles me sont un soleil médiocre. Tu es morte avant les oiseaux, mon aérienne, il n'y a plus guère d'alouettes dans les champs à l'aplomb de leurs nids, plus de chants d'alouettes au dessus des champs, tu es morte avant, toi aussi tu volais droit et haut, tu chantais faux, je sais pourquoi et qui a brisé l'harmonie. Il n'y en a plus pour longtemps dans un monde sans moineau ni passereau, pourtant je voudrais vivre encore et chanter le printemps même si ce n'est plus qu'un leurre, un décor peint par Monsanto -on sait le nom des assassins. La lumière revient pourtant frapper mes carreaux, tu sais c'est con mais j'aime encore, quelqu'un que j'aime, un lyrique un ténor, une hirondelle, l'oiseau de bon augure dont je voudrais qu'il fasse le printemps.

mercredi 7 février 2018

Droite comme un I

Alors je te dessine, et tu n'es pas de l'orbe ni de la courbe, tu décourages les sottisiers de la féminité ronde, de la forme molle, tu te tiens droite, tu t'es tenue debout très tôt, tu es droite comme un I à ce qu'on dit, raide comme la justice, toi dont la vie fut si injuste, ton corps de rectitude toujours corrigea les biais, les ellipses et les géométries complaisantes. J'étais plus souple que toi, l'écrire m'étonne: puisqu'il m'est donné de vieillir, je commence à comprendre que de fait ce qui agit en nous est calcification rouille engourdissement, et les douleurs afférentes, et nous tous qui vieillissons -j'entends cela comme une chance mélancolique- nous comprenons l'air transi de Purcell autrement que les jeunes gens. Il me semble que ton corps droit, que ton corps raide à qui fut volé son enfance, comprit cet air plus vite que tous, et sut très tôt que durer ne lui serait pas donné. Tu marchas tôt, tu marchas droit, je te dessine, tu es une ligne tranchante qui scinde l'aire qu'esquissent les pas boiteux du vieux père qui te survit vautré dans la souillure et qui rondement, ment comme un arracheur de dents.

mardi 6 février 2018

Tes collants rouges

Il a neigé sur mon toit noir, une ardoise en a glissé, le couvreur va repasser, il y a donc un hiver, un nouvel hiver sans toi, à peine si je le vois passer, j'aurais bien voulu t'entrainer, on aurait pris la pente du toit, on aurait inventé la montagne, on aurait skié comme des enfants surexcités. Tu sais la neige il y en a moins mais lorsqu'elle tombe les enfants ici se massent aux fenêtres des classes comme nous voici quarante ans, et comme nous ils souhaitent que la neige transforme le monde et fige les haleines et gomme les souillures et blanchisse le bitume, et comme nous ils crient au sortir de l'école, et comme jadis la neige estompe leurs cris, les stupéfie. Les jours de neige sont plus rares, je m'en saisis, je te les donne, tu cours vers eux, tu disparais, tu portes un kilt et des collants rouges, tu cours en fille, les chevilles semblent s'évader, les filles elles ne courent pas elles dansent, dansent autour de toi des flocons fins comme farine où disparaissent tes collants rouges.

jeudi 1 février 2018

Neige et laine

Dans l'hiver, le souffle des jours courts, la pluie, la pluie, la pluie, il pleut depuis des mois, sur le soleil, sur le froid, la pluie s'abat, tu n'aimerais pas ça, nos hivers d'enfants brillaient de gelées cristallines, et nos rires semblaient infinis quand la nature durcie les renvoyait par échos, bien au delà de la buée pétrifiée qui sortait de nos lèvres. Nous avons connu les doigts rouges et gourds crispés sur des boules de neige, ce n'était pas tous les ans, mais tout de même, la neige tombait plus souvent qui étouffait nos cris d'enfants excités -la neige excite les enfants, c'est un fait d'évidence, la neige métamorphose, la neige surprend, la neige suspend. Nous sortions sur la place, et sous nos vêtements, nous portions des collants de laine que nous imposait maman, ces collants nous les détestions. Maman, elle était de ces mères qui ont toujours froid pour leurs enfants, jamais avare d'une épaisseur supplémentaire, nous fûmes des enfants couverts, des enfants couvés, cagoules, moufles, écharpes interminables, des enfants enveloppés, laineux, tricotés. Elle est lointaine cette enfance où le froid pouvait faire pleurer et rire en même temps des mouflets emmitouflés, les joues pommes d'api, les yeux brillants d'une fièvre de santé.

dimanche 21 janvier 2018

C'est déjà ça

J'apprends lundi, tu en aurais ri, ce que ton rire manque, que cette année mes cinquante-cinq ans tombent au pire moment, c'est le blue monday puisqu'il faut donner dans notre monde gris une couleur au jour, c'est un jour de mélancolie, l'hiver, l'après fêtes, l'absence de lumière, un lundi, ce qui se dit, le creux du fond du trou c'est mon anniversaire, il pleut depuis des mois, j'en ris faute de ton rire, je prends tout ça à la légère, j'ai toujours su ça mieux que toi. Tu avais l'anniversaire difficile, septembre et rentrée des classes, petite tu trouvais injuste que la fête soit ainsi non pas gâchée mais ternie par l'odeur d'encre et de craie, pourtant tu aimais l'école et les maîtres, une élève modèle, mais que ton anniversaire pâtisse de la rentrée, c'était dur de l'accepter, la vie était injuste, tant de preuves te le confirmaient. Lorsque que tu pris quarante ans (ici les années on les prend), ce fut comme révolte sourde, tu en eus de l'humeur, tu fus désagréable, je n'avais pas compris pourquoi, moi la quarantaine m'avait glissé dessus sans que je m'inquiète de mes rides ni de mon embonpoint, le temps sur moi je n'y pouvais rien, ce n'était pas grave, pour toi si, et pourtant tu gardais la ligne. Morte à cinquante ans -j'ai vécu cinq ans que tu ne connaîtras pas- quelques jours avant tu m'as dit c'est beaucoup trop tôt pour mourir, je l'ai déjà dit, mais je vieillis, radoter un peu c'est vieillir, tu disais aussi -cette phrase amère qui fait monter mes larmes- tu disais aussi vieillir c'est déjà ça.

samedi 13 janvier 2018

Le temps l'oubli

Et dans la nuit prolongée du chagrin des filles, des femmes qui sont la nuit déchirée par les phares blancs des hommes, dans la violence intrinsèque à ce monde où l'on jouit et tue d'un seul geste, la stupeur d'être, mais pas du clan des chasseurs. L'horreur de te savoir absente, rendue au rien, et le dégoût recommencé à l'idée que le père va bien, qu'il te survit pépère, qu'il travaille pénard à l'oubli, que ta mort n'a pas suffi à l'accabler pour son crime. L'oubli auquel il travaille, artisan virtuose de la mauvaise foi, t'ensevelit toi l'enterrée dans le silence qu'il génère: il a le temps pour lui, le temps travaille à l'oubli, le temps t'ensevelit, le père, c'est un petit Chronos minable, rabougri, qui voudrait digérer jusqu'à ton souvenir, t'ensevelir d'un temps plus épais que la terre, et je n'ai que des pierres contre son appétit. Je lapide le temps pour que tu me reviennes au hasard des odeurs, des lumières, des étoffes, mais tu me reviens moins, je crains que ta lumière s'éteigne tout à fait avec la mienne, tout à fait étouffée par l'étoupe du temps -C'est la vie, disent les imbéciles- avec la mienne quand me frappera l'aile, quand le souffle me manquera, quand de ma cervelle épuisée nul pli ne recèlera plus le moindre signe de toi.

lundi 8 janvier 2018

Eleanor à Houlgate

Il a venté il a plu, des tempêtes aux noms de femmes ont traversé le pays, Eleanor a tué cinq personnes, une perdue en Seine, une noyée en Saône, un vieux écrasé sous un arbre, un imprudent tombé du toit, moi ça va, quelques heures sans électricité, sans téléphone, sans internet, ce n'est pas la mort on attend c'est tout, on rajoute un pull, on prend la voiture et l'on va vers la mer voir l'écume et le sable empiéter sur la route. Le cinquième mort, je ne sais plus, il a venté il a plu, branches brisées, tuiles perdues, bancs de la promenade avalés par la plage, des vagues jusqu'au casino fermé, rien ne va plus. Tu aimais sortir quand le vent soufflait, quand le vent ne portait pas encore des noms de femmes, je sors toujours, tu ne peux plus.

dimanche 24 décembre 2017

Alors noël

J'ai passé les jours les plus courts, le plus clair de ma vie, je reste étonné sur le bord, surpris, ta mort je ne m'en suis pas remis mais je n'en suis pas mort, je te survis un peu transi, pas plus fort. Je me réveille ce matin, c'est un nouveau noël sans toi, déjà qu'avec je n'aimais pas alors sans, je ne t'en parle pas -je te parle pourtant. C'est étrange cependant, j'ai acheté un sapin, j'ai ressorti les rubans et les boules de verre, la guirlande aux petites ampoules blanches, sur le carton quinze ans de poussière, oh, un petit sapin, pas de ceux de jadis, tu vivrais tu sourirais, je n'en dis pas plus, tu aurais compris ce que ça signifie, tu te serais réjouie du signe, et patiente tu aurais attendu des jours plus longs. Ce qui manque aujourd'hui ce n'est pas tant le Réveillon que ta vue claire, et la joie que tu aurais de me deviner, comme à livre ouvert.

lundi 18 décembre 2017

Pas si grise mine

On reprend le cours des choses fadement croit-on, à l'anglaise on s'efface, on file un fondu au gris, c'est déjà ça croit-on, le gris n'est plus si noir, les jours si courts qu'ils ne peuvent que rallonger donneraient presque espoir mais l'espoir tourne court, ta vie peut en témoigner. N'empêche, il suffit d'un mauvais soleil à dix heures en décembre, un brouillard moins dense, on en ronronnerait comme un vieux chat sur un bord de fenêtre, un peu de lumière et c'est reparti, ça repart toujours croit-on, on a tort de croire mais parfois c'est bon. On pousse la machine, on s'ébroue, on se dit que finalement ces jours aussi tu les aurais pris, pour gris qu'ils soient, tu les aurais pris avec joie.

lundi 11 décembre 2017

Coule avec la pluie

La pluie ne perce plus mon toit, le couvreur l'a réparé, s'y est pris à deux fois, la pluie c'est sournois, ça s'insinue mais le couvreur s'y connait, mes ardoises il les a posées il y plus de quinze ans déjà. J'entends la pluie un peu grêlée rebondir sur le toit, je l'entends couler, notre vie, d'ouest, nous y a toujours habitués, décembre c'est un mois de pluie et de neige mêlées, surtout cette année, mais toujours Noël ce fut, depuis l'enfance, un jour sans jour, à ne pas voir où l'on marchait sur les trottoirs crottés de Honfleur, des dalles de trottoir rose, que seuls les enfants remarquaient, ce n'était pas si chic Honfleur, mais c'était là que souvent Noël se tenait, dans la grande maison des grands parents, sous la pluie systématiquement, à Honfleur il ne neige jamais, sauf exception de carte postale, de boule de cristal. Il pleut dans les chemins creux, cela crève les sous-bois sombres où les houx sont nombreux, l'eau froide gorge les mousses bleutées dont on arrachait des mottes pour la crèche, à même les talus, les mousses on les faisait sécher un peu, sans ça foutu le papier-crèche, et nous, les enfants, déçus.

mercredi 6 décembre 2017

Ton porc

Tu avais décidé de ne pas porter plainte, je ne me suis pas demandé ce que j'en pensais, je n'avais rien à en penser, cette décision t'appartenait, je l'ai approuvée parce qu'elle était tienne, réfléchie, qu'elle témoignait d'un choix où je n'avais pas à peser. Ces femmes, ces jeunes gens qui balancent les porcs qui les ont violenté.es, qu'en penserais-tu toi qui n'as pas balancé? Tu as voulu la paix, pas l'oubli, la paix, tu m'as chargé de rappeler cela, tu as voulu qu'il n'existe même pas dans ta plainte, et que pour tes enfants notre père soit à peine un nom, même pas une honte. Ce nom c'est le mien, quand tes enfants l'entendent ils pensent à moi, à Corinne la cousine chère, ils ne connaissent personne d'autre qui le porte, ce nom les indiffère et c'est tant mieux je crois. Il est pourtant vivant le porc, on me l'a décrit rabougri plus très porcin le porc, un peu ombre de lui-même, mais quand bien même il peut bien se réduire à rien, mourir à son tour après t'avoir survécu si injustement, il peut bien nier l'évidence quand on le somme de s'expliquer, je lui refuse et l'oubli et la paix, je lui refuse même ma haine, ne lui assigne que mon mépris, je l'abandonne confit dans le saindoux de son mensonge, de son infâmie, je le placarde ici, notre père ton porc, au pilori.

dimanche 26 novembre 2017

Le nom latin des champignons

A midi, après le marché, le ciel s'est déchiré, cela m'a décidé, je suis repassé à la maison prendre des chaussures de marche, j'ai rejoint Patrick et nous avons promené son chien fou dans la forêt d'après la pluie, son chien roux dans le feu des fougères, son chien fougueux la truffe en l'air, voir son chien joyeux faire un sort à chaque flaque, se rouler dans toutes les ornières, et le long des talus j'ai trouvé des chanterelles cendrées, un petit cèpe, un bolet bai, et c'est à toi que j'ai pensé, penché sur ces champignons tardifs. Les chanterelles cendrées c'était tout ce qu'il restait forêt de Marly, quand en novembre il avait gelé on en trouvait encore sous les feuilles des châtaigniers, on se piquait les doigts sur des restes de bogues, souvent elles étaient grosses, détrempées, les chanterelles cendrées, Cantharellus tubiformis, craterellus cyreneus, tu rirais que me reviennent les noms latins des champignons qu'à dix ans, érudit comme le sont les petits garçons sur les dieux grecs, les poissons d'eau douce, les bivalves, les papillons, les batailles de Napoléon, j'avais appris par centaines, qu'encore parfois me reviennent les noms, les noms latins des champignons que nous aimions.

mardi 21 novembre 2017

Tôt ou tard

Tu n'aimais pas ces mois où la lumière renonce, les jours brefs, de rouille, de brume et de lampadaires falots, moi peut-être plus enclin aux lichens, aux mousses, aux fougères roussies, aux brouillards accrochés jusqu'aux ponts de la Risle, ces ombres elles protègent, le monde est si violent qu'il faut prévoir des refuges, des échappements. Je pourrais chanter comme on pleure, mais je tends vers l'hiver, j'entends par là que je me terre et que je guette les signaux infimes de ton spectre, il y a de toi partout, il suffit d'être disponible, il suffit de laisser la place et luit encore un peu -mais pour combien de temps?- le yo-yo de l'enfance dont je suis reliquaire. Ils ne m'effraient plus guère ces jours de fin du monde, c'est trop tôt tu dirais de la nuit, de la maladie, du matin tragique où s'épuise l'espèce à consumer son bien. C'est trop tard depuis toujours trop tard, nul n'a sauvé personne, il n'est que de se cacher et d'attendre, le jour dernier, le goût de cendres, le couteau du boucher.

lundi 13 novembre 2017

Pluie de novembre

Il a plu tous les jours derniers, plus que de raison, à faire déborder les fossés, il a plu jusque dans mon grenier, par infiltration, le long de la cheminée, jusqu'à la pièce débarras, il a plu comme l'an passé le soir de la mort de maman, il semblerait qu'il pleuve de la même façon, me voilà trempé. Il est gravé le nom de maman sur la tombe, ça a pris presque un an, redoré le nom des grands parents, il peut bien repleuvoir sur l'or de leur nom, ça prendra bien trente ans pour que l'or se ternisse, ça fait bien des averses sur la pierre bleue de Vire et bien des rhumatismes pour mes mains douloureuses, avoir mal c'est vivre encore, admettons. Tu aurais aimé vivre assez vieille pour souffrir de rhumatismes, tu aurais enduré la pluie avec bravoure, ça ne t'aurait pas terni l'humeur, mais il pleut sur la pierre gravée et c'est sans toi qu'il pleut.

samedi 11 novembre 2017

D'où l'on vient

Se rappeler d'où l'on vient, ce qu'on a quitté, nos racines ils diraient, et je pense à Mathilde dans la pièce de Koltès, "Mes racines? Quelles racines? je ne suis pas une salade!", comme elle a raison l'emmerdeuse, l'empêcheuse de tourner en rond, tu devais aller voir cette pièce à sa création, mais la représentation fut annulée, je ne me souviens plus bien pourquoi, il y avait une raison forcément, tu ne l'avais donc pas vue, c'est dommage, il y a du réjouissant dedans, de la tribu catholique malmenée, des filles perdues, des notables à tondre, un parachutiste noir qui descend des cintres pour fonder une nouvelle lignée, on aurait tellement aimé cela, que la tribu soit malmenée à proportion du mal qu'elle avait fait, qu'elle s'ouvre enfin, mais non pas moyen, elle s'enkyste, se réduit, se reproduit, et le parachutiste n'est pas né qui viendrait féconder son ventre mort et blanc. Ca donne des parents pourris, des cousines meurtries, des Atrides aux petits pieds, des gens qui vont manifester contre le mariage des pédés pour oublier l'inceste, le poison des familles, l'ADN des haines et des désirs tordus. Se rappeler d'où l'on vient, le chemin parcouru, l'arrogance des masques de vertu, ce qu'on a quitté, ce qui nous tue.

mardi 31 octobre 2017

Monter au grenier

C'est bien tranquille ici, la lumière du matin ruisselle sur la buée des carreaux, tu l'aimais bien je crois, ma vieille maison, tu n'y venais pas souvent, trop petite au bout d'un moment pour toi, ton mari, tes enfants, bien assez grande cependant pour mes besoins même si, au bout de vingt ans, elle déborde de livres, de disques, de gravures. Il faudrait que je jette, il faudrait faire place, les vieux vêtements, les draps usés, faire des chiffons, donner au secours populaire ce qui peut encore se porter, il faudrait ranger, on croit ranger, on se perd, je n'ose monter au grenier. Les greniers, c'était avec toi, c'était à Honfleur, on pouvait s'y perdre, il y en avait plusieurs, avec les restes d'un théâtre de marionnettes, de la poussière de charbon qui nous trahissait quand nous redescendions, les claies où l'on gardait les pommes l'hiver. La cave nous était interdite, pas les greniers, mais il y en avait de cachés, maman nous l'avait dit, avait parlé d'Yvon coincé dans un vasistas lors d'une exploration, c'était tout un monde où nous n'étions qu'en vacances, et notre enfance survolait l'enfance de maman, nous n'en cherchions pas les secrets, il nous suffisait qu'ils existent, les greniers cachés, on les rêvait c'était plus sage, ne pas profaner l'espace des contes, ne pas réveiller les monstres qui dorment sous les charpentes, je m'y tiens encore aujourd'hui, même si maman n'est plus là pour nous raconter son enfance heureuse, et moi seul à me souvenir.

mardi 24 octobre 2017

Une belle journée

Il fait doux gris crachin ici ciel chagrin mon doux chagrin ma vie ma peau rapetissée, peau de lapin, gris taupe, aujourd'hui pas envie de me remettre au métier, va tisser sous la pluie le fil des gouttes sur la vitre, autant rester au lit, au chaud, au fond. Ta photo celle qu'on avait choisie, placée sur le cercueil -j'avais fait ôter la croix du modèle standard, pour maman je l'ai laissée, bientôt un an pour maman tiens je n'y avais pas pensé- ta photo tu souris de ce sourire fêlé que tu avais dès avant (la maladie, les rayons, les chimiothérapies), tu souris sur fond de ciel gris, dans tes yeux comme un défi, le mépris de la météo, quelque chose de Winnie, le génie pour fabriquer avec des riens, sous la pluie, une belle journée, en dépit de, quoi qu'on en ait.