La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mercredi 6 décembre 2017

Ton porc

Tu avais décidé de ne pas porter plainte, je ne me suis pas demandé ce que j'en pensais, je n'avais rien à en penser, cette décision t'appartenait, je l'ai approuvée parce qu'elle était tienne, réfléchie, qu'elle témoignait d'un choix où je n'avais pas à peser. Ces femmes, ces jeunes gens qui balancent les porcs qui les ont violenté.es, qu'en penserais-tu toi qui n'as pas balancé? Tu as voulu la paix, pas l'oubli, la paix, tu m'as chargé de rappeler cela, tu as voulu qu'il n'existe même pas dans ta plainte, et que pour tes enfants notre père soit à peine un nom, même pas une honte. Ce nom c'est le mien, quand tes enfants l'entendent ils pensent à moi, à Corinne la cousine chère, ils ne connaissent personne d'autre qui le porte, ce nom les indiffère et c'est tant mieux je crois. Il est pourtant vivant le porc, on me l'a décrit rabougri plus très porcin le porc, un peu ombre de lui-même, mais quand bien même il peut bien se réduire à rien, mourir à son tour après t'avoir survécu si injustement, il peut bien nier l'évidence quand on le somme de s'expliquer, je lui refuse et l'oubli et la paix, je lui refuse même ma haine, ne lui assigne que mon mépris, je l'abandonne confit dans le saindoux de son mensonge, de son infâmie, je le placarde ici, notre père ton porc, au pilori.

3 commentaires:

  1. Traduction en Oc de Stéphane Lombardo:

    Ton pòrc

    Aviás decidit de non portar lanha, me siáu pas demandat çò que ne'n pensave, aviáu ren a ne'n pensar, aquesta decision èra tieuna, l'ai aprobada perqué èra tieuna, calculada, que testimoniava d'una chausida ont aviáu pas a pesar. Aquestei femnas, aquestes jovents que balançan lei pòrcs que leis an violentats, de que ne'n pensariás tu qu'as pas balançat ? As vougut la patz, pas l'oublid, la patz, m'as cargat de ramentar aquò, as vougut qu'existissèsse manca dins ta lanha, e que per tei pichòts nòstre paire fuguèsse a pena un nom, manca una vergonha. Aqueste nom es lo mieu, quand l'ausisson tei pichòts, pensan a ieu, a Corinne la cosina cara, coneisson degun aure que lo pòrte, aqueste nom li enchaut gaire e aquò's tant mielhs, crese. Es pasmens viu lo pòrc, lo m'an descrich destrachit pus tròp porcin lo pòrc, un pauc ombre d'eu-meteis, mai bèla quora se pòu redurre a ren, morir a son torn après t'aver subreviugut tant injustament, pòu ben negar l'evidéncia quand òm lo soma de s'explicar, li refuse e l'oublid e la patz, li refuse mon òdi quitament, li assinhe pas que mon desprès, l'abandone confichat dins lo sagin de sa meçòrga, de son infamia, lo plancarde aicí, nòstre paire ton pòrc, au pilòri.

    RépondreSupprimer
  2. « cette décision t'appartenait, je l'ai approuvée parce qu'elle était tienne, réfléchie, qu'elle témoignait d'un choix où je n'avais pas à peser. »

    c’est un peu délicat de vous donner mon sentiment sur ce point, étant absolument étrangère à votre histoire - mais étant une lectrice, pourtant. donc témoin de ce fut dit, écrit, signifié, mis au jour, exhumé, ici, par vous. par vous pour elle. et certainement pour vous aussi, étant d’elle.
    mais…
    c’était sa décision. elle n’est plus.
    vous l’avez respectée pour elle.
    mais…
    maintenant c’est votre temps. c’est vous la parole, la mémoire, pour ceux et celles qui vont continuer la route familiale ; et pour vous, pour le sens de tout cela dans votre vie.

    mais… quelle est votre décision, à vous, maintenant ?

    il me semble que vous avez le choix - et le droit tout à fait légitime - d’avoir et d’exprimer une autre décision qu’elle, aujourd’hui.
    et de même, vous avez à présent toute légitimité d’agir, si tel est votre souhait, votre urgence personnelle, pour votre vision de la justice, et votre choix de préservation de sa mémoire - cette lutte contre l’ensevelissement de l’oubli.

    si vous tenir debout, face à lui, maintenant, est votre nécessité absolue à vous, pour pouvoir vivre, après, sans ce poids, non-dit, trop longtemps tu, de tous… il me semble que c’est uniquement votre décision.

    ce n’est plus le temps d’elle, son temps est clos… c’est le vôtre, maintenant, en gardien de sa mémoire, contre ce qui vous paraît à vous menacer l’intégrité de son souvenir.

    (pardon pour ce long texte, j’espère ne pas avoir été importune ni déplacée).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je prends connaissance tardivement de votre message (pourquoi était-il dans les "indésirables"? Je ne sais pas). La question qu'il pose je me la suis posée. Je n'ai toujours pas de réponse, si ce n'est qu'en effet, j'ai, en dénonçant mon père, ce ravageur de petites filles, tâché de marcher sur un chemin étroit entre ma colère et la volonté de ma soeur que les choses soient dites : "Et la lumière et l'ombre" tel était mon mandat, dire, pas faire justice. Si j'ai bien fait, je ne sais pas. J'ai fait comme j'ai pu. Mieux, je ne peux pas.

      Supprimer