Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

vendredi 24 septembre 2010

Maurice

Vous embrasser, c’était une épreuve, les après-midi de vacances où nous vous visitions. Nous aimions bien Blanche, nous amusaient ses exclamations à notre coup de sonnette, nous l’entendions depuis derrière la porte, “A la bonne heure ! A la bonne heure ! ”, puis les baisers puis le jardin où couraient pour notre plaisir des poules naines et des coqs cayens. Elle vous appelait depuis le bas de l’escalier : “ Maurice ! Maurice ! ”, on vous entendait arriver, ça prenait très longtemps pour le temps de l’enfance, c’était vraiment trop long ces pas mesurés du Parkinson, le frottement de vos pantoufles à l’étage, sur le parquet ciré. Vous arriviez enfin, vous bredouilliez un bonjour qui se noyait dans la salive que vous ne conteniez plus. Vous embrasser bavant, c’était dégoûtant mais obligatoire. Nous étions des enfants dociles, nous embrassions donc, mais cruellement : à votre lenteur d’automate, à votre agonie sédimentée, nous opposions la légèreté d’Ariel, et vous n’aviez pas fini de tendre les lèvres que déjà nous courions hors de vous nous essuyer la joue d’un revers de la main, nous courions au jardin poursuivre les poules naines, les coqs cayens.

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