A les voir marcher clairs sur le bord de la route, légers dans leurs joggings de toile à parachute, leurs yeux vides sous la casquette bombée par le crâne aux cheveux ras, se dire que quelque chose commence, qu’on ne sait pas encore nommer, que ces corps siglés qui sillonnent toutes les routes de la moindre campagne, vêtus sportswear sans faire de sport, ces corps qui marchent et ne courent jamais ne peuvent pas ne rien signifier, sans quoi il faudrait stopper là, sans quoi il vaudrait mieux se taire.
Ils ne sont pas les fils des anciens cheminots, ils arpentent propres, les fossés, les talus les contre-allées, rien ne les tache, ils ne sont jamais crottés, et leurs corps placides ne présentent pas les creux des errants de jadis. Ceux-là ne fuient pas les petites maisons, ceux-là ne parlent pas en marchant, ni n’invectivent ceux qu’ils croisent. Ils ne tendent plus le pouce et marchent sous la pluie sans révolte, et qui les éclabousse ne les atteint pas. Immaculés ils marchent sans regarder ce qu’ils foulent, indifférents aux mousserons, sans couteaux pour les pissenlits. Ils ne cherchent rien, ils ne demandent rien. Cela ne fait que commencer. Ils ignorent qu’ils me sont énigme, que cette énigme me fait trembler. Leur beauté brutale par la plaine, et l’assassinat du langage.
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