Je reviendrai au Croisic, cet été, ou un autre, retrouver la lumière. Tu m'as dit avant de mourir que le Croisic avait changé, comme tous les lieux changent, à notre âge on tend à croire que ce n'est pas en bien. La presqu’île lotie, un continuum urbain, du rêve balnéaire, pas en bien non, qui dirait le contraire? La Pointe couverte de villas bretonnes, pas surprenant, de fait on le sentait venir, et chaque année la lande rétrécissait, chaque année déjà les maisons inutiles et les fièvres immobilières. Tu as ces derniers mois revu le Croisic par deux fois, revu la maison -ne pas s'arrêter- fait le tour de la Pointe -ne pas reconnaître. Par deux fois, seule ou avec Philippe, tu as repris le chemin des vacances et de l'enfance, et c'était courageux de leur confronter le présent, et peut-être c'était amer, ce pèlerinage improvisé quand on sait ses jours comptés, mais ce n'est pas ainsi que tu m'en as parlé. Tu n'avais plus le temps pour la nostalgie, et jamais eu le goût de la facilité: tu m'as donné les clés, tu m'as dit où aller pour retrouver ce qui peut l'être. Voir s'ouvrir le Traict depuis le Mont-Esprit, prendre la rue des coquillages, regarder le sable et les barges, se rappeler la pêche aux coques et les pas enfoncés dans le sable mou de Pen-Bron.
Je reviendrai te retrouver rue des coquillages, où rien m'as-tu dit n'a changé, s'asseoir sur le petit bout de plage -dire plage c'est beaucoup l'honorer ce bout perdu de rivage aux coquilles brisées, aux herses rouillées, aux épaves- prendre le risque du coltard et se faire goudronner le derrière ou les pieds, s'offrir l'averse de lumière qui souvent nous a bouleversés, te pleurer ma sœur et demeurer par-là ton frère.