Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 12 mai 2015

Bouchée à la reine

Nous avons connu, enfants, la vie de garnison, enfin, un peu connu. Mulhouse nous ne savions pas bien, Provins t'en souviens-tu? L'appartement des Sablons, le 9ème Hussards à Sourdun, comme c'est loin le père maigre et militaire à la tête des E.B.R. en rangs pour la parade du 14 juillet, le mess des officiers où nous avons bu nos premiers cocas à ce bar où grimper sur les tabourets c'était tout une affaire, tout une fierté. Mais pour toi le comble du plaisir, c'était lorsqu'au déjeuner tu pouvais commander une bouchée à la reine. C'est drôle, ça ne te ressemble pas, cette gourmandise pour cette fadeur-là, ces champignons, la béchamel, mais aucun doute en moi, tu avais quatre ans et tu préférais les bouchées à la reine, pour le nom peut-être? Dans le salon des officiers, des trophées, des tableaux, une selle de dromadaire qui nous fascinait. Je ne sais plus si nous avions le droit, mais je crois l'avoir chevauchée, et tu n'es plus là pour que je puisse m'en assurer auprès de toi. C'est aussi ça ta mort: me voici seul face à ces manques, maître de notre enfance criblée par ces trous de mémoire; moi, j'étais tout près d'oublier. Mais il faut raconter, tu l'a voulu je te le dois; tu vois, une selle de dromadaire et me voilà désarçonné.

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