La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mardi 13 janvier 2015

Règne des morts

Alors ce furent de grands cris par la plaine. On porta les corps, on les lava, les plaies furent recousues et les sutures masquées à la cire. Assis sur le trône, les morts régnèrent tout un jour, et leurs noms furent inscrits sur les stèles des carrefours, leurs portraits brandis parmi les reliques et les bannières. On vint en procession les saluer et les enfants chantaient leur gloire. Enfin on leur soumit les vaincus qui furent agenouillés et le boucher passa derrière chacun d'entre eux, les égorgeant de son meilleur couteau et chaque jaillissement de sang sur l'arène fit retentir des hourras. Il fallut toute l'énergie des gardes pour empêcher la foule de les démembrer et jeter leurs restes aux pourceaux.
Il y eut des fleurs brandies par des bras tremblant de haine et des prières remâchées. Les dépouilles des martyrs furent promenées par la ville, que suivait le prince sanglotant à bouillons pendant que dans les faubourgs brûlaient les maisons des maudits. On y avait enchaîné leurs épouses, leurs pères, les enfants et les domestiques. On brûla jusqu'à leur bétail, et les hurlements des incendiés causèrent la joie d'un très grand nombre. Je me trouvai bien seul à m'effarer des promesses atroces d'un temps où l'on s'efforçait d'enrager la rage.

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