Est venu l'hiver tiède, l'interminable nuit pluvieuse qui poisse et embourbe. Les chemins ne sont plus qu'ornières où pleurer la mort de Ristat, le printemps perdu sans retour, les chemins sont creux qui recueillent nos larmes, on sourit au souvenir du capitaine des pompiers qui pleurait dans son casque, on se prend à rêver au reflet chromé du casque, comme une lumière incongrue, regarde Marceline, même les pompiers pleurent et le débord de leurs larmes fait trébucher le prince qui en meurt à son tour, ça ne nous console pas de la mort de Ristat.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
mercredi 27 décembre 2023
vendredi 22 décembre 2023
Allumer un feu
Le feu je m'en étais passé après un hiver à brûler des stères, tant de bûches consumées dans l'âtre de l'ancien presbytère, cet hiver froid de mes trente ans, ce qu'il fallait brûler de bois pour dix-sept degrés, j'ai eu froid près de la cheminée, j'en ai charrié des paniers de bois, je revenais trempé de la remise, ça m'avait vacciné, le charme des flambées, la tiédeur douillette des chaumières, pas pour moi, pendant trente ans j'ai préféré les radiateurs, la chaudière, supporté l'odeur du fioul livré tous les six mois. Mais voilà qu'un poêle à bois ronfle dans la salle, qu'il fait bon voir danser les flammes derrière la vitre un peu noircie, que la braise lézarde les rondins, jusqu'à la mélancolie des cendres qu'on verse dans le jardin, vites refroidies, sitôt dispersées par le vent et la pluie, ça fait comme un raccourci, une vie brève, une vanité dans le jour qui tombe et dieu sait qu'il tombe ces temps-ci.
mercredi 29 novembre 2023
Si la neige
Il y aura peut-être -ainsi va, pêle-mêle, la théorie des nuages- sur la plaine assombrie, les terres gorgées où pourrissent les semis d'hiver peut-être il y aura -quand auront couru loin le coq faisan et ses deux poules au plumage de feuilles mortes- des nuages tellement plus bas qu'ils raseront l'herbe d'une rosée glaciale et là, une vallée, une colline, un pont sur l'autoroute pour bloquer l'haleine blanche qui versera ses cristaux crissant. Et si l'enfance à jamais perdue s'exaltait à s'en brûler les mains, roulant bonhomme à chapeau cassé, nez de carotte, nous nous contenterons de voir les flocons choir, lourds ou farineux, fondants ou glacés, sur le sol détrempé, disparaitre puis tenir jusqu'à l'horizon désiré, ce silence dont la qualité même inquiète. Le jardin stupide aux formes estompées sera neuf à notre œil et des oiseaux perdus s'accrocheront aux mangeoires, éclats bleus de mésanges, traits vert pinson, angles droits des troglodytes, jusqu'à l'orangé chaud du plastron du rouge-gorge dont on voudrait tant qu'il échappe aux chats. C'est la chance de la neige, les chats ne sortent pas, les nôtres du moins, et les autres on les voit de loin sur fond blanc, ils peuvent jouer les indifférents, les oiseaux perchés ne s'y trompent pas.
samedi 25 novembre 2023
Un figuier
Et ce fut la première gelée, on ne l'espérait plus, les feuilles lui en sont tombées au figuier qui fatiguait, restent ses figues couillonnes au bout des branches squelettiques, un figuier, quoi qu'on en ait, c'est toujours un peu fantastique, d'où qu'on le considère, torves racines, rebonds, tiges que rien ne contrarie, un acharnement à vivre offrant au ciel sa frondaison tardive, au sol ses sondes capricieuses, on l'aime pour cet appétit-là, dès lors c'est stupéfiant de le voir nu -un figuier nu c'est comme un vieillard pathétique, mais nous n'en serons pas la dupe, il se remettra bien du gel et ses figues pendouillantes des oiseaux savent les ouvrir et s'enivrer de la pulpe violette qui semble-t-il, a fermenté.
lundi 20 novembre 2023
Assassins sous la pluie
dimanche 12 novembre 2023
Vœux de novembre
Quand seront tombées les dernières feuilles, que la lumière nous manquera encore davantage, nous brûlerons les branches des arbres abattus par la tempête, si elles ont séché. Le poêle ronflera, les chats se tiendront près et nous loin des rages du monde qui nous rattraperont bien assez tôt -car elles nous rattraperont, et ce qu'il adviendra du jardin, je ne sais. Tanguy a planté des arbres, choisis au Neubourg à la foire, les verrons-nous, les pêches de vigne et les cerises reverchon, les comices et les elstar, le gel deviendra-t-il rare au point que nous mangerons nos bergerons et les figues noires? Il faut parier sur les fruits, accueillir les abeilles et prier un dieu mort de ne pas injurier ce qui respire encore.
mercredi 8 novembre 2023
Plein emploi
A l'aube le chant clair des bicyclettes ouvrières, des vélomoteurs, des solex où freiner faisait faire un soleil. Je les voyais passer, c'était un autre monde, de tabac brun, de cottes usées, de cafés ouverts tôt dans la nuit de l'hiver, un monde où le travail tuait et la fatigue arquait les corps fatigués sur les vélos qui rentraient entre chien et loup, qu'on saisissait tard dans le pinceau des phares. C'étaient des vies qu'on entr'apercevait depuis notre confort d'enfants bourgeois, suffoqués par des haleines au blanc sec, les aigreurs d'aisselles dans le train de banlieue ou l'autocar aux sièges ponceau de moleskine qui brûlaient l'été et collaient à l'automne, c'était le mystère des pauvres, ceux qu'il fallait plaindre, ceux qu'on ignorait.
dimanche 5 novembre 2023
Retour du vent
Le ciel est sans mémoire, c'est au sol qu'on voit les traces, les branches brisées, les derniers dahlias couchés, et les fleurs de safran hachées par la pluie. Un sol d'automne, feuilles tombées, dix-huit coulemelles dans le pré, la tempête a glissé ici, sifflant ses vents de mauvaise haleine, faisant gémir le poêle dont les braises s'épuisaient. Vider dans le bac à compost le tiroir des cendres blanches, comprendre à les voir s'envoler que le vent reprend, les chats rentrent sans qu'on ait à les appeler, un rebond de bourrasque, le ciel lavé déjà s'oublie.
jeudi 19 octobre 2023
Dans les fougères
Dans les couleurs d'automne enfin revenues émerge une image oubliée d'une forêt disparue, près de la mare aux sangsues, une forêt pauvre, trop de bouleaux, chênes étiques, des résineux faute de mieux, quelques bolets bais, les cèpes du pauvre, mais ceux qui hantaient les bois n'avaient pas de panier cet automne-là. A surgi roux dans la rousseur des fougères un faune à la peau laiteuse, au visage grêlé de taches de son, la barbe d'un roux plus foncé que les cheveux, la fièvre dans les yeux bleus, les mains dans les poches de son survêtement. Il faut aimer l'ombre des arbres, les troncs rugueux, le craquement des glands sous les bottes, l'odeur des aiguilles de pin, la sève des lactaires orange, aimer la larme qu'on essuie, le jean mouillé, les joues en feu. Il faut aimer la pluie qui tombe et qui vous trempe sans vous transir, dans la fièvre transmise, les fougères couchées, les aiguilles dans les cheveux qu'on ôte, déjà relevés.
samedi 14 octobre 2023
Une odeur de brûlé
Du chagrin dans le crachin, mais hier tout autrement des vents chauds qui soulevaient des poussières de terres et des feuilles vertes et sèches, un camaïeu caméo qui tourbillonnait donnant au bocage un air de camouflage, tandis que régnait à nouveau, sur Rouen, une odeur de brûlé (Jeanne d'Arc? Lubrizol? Non, en ces temps mondialisés c'était l'odeur de Madère en feu, qu'apportaient de délirants vents tropicaux). J'ai tâché d'écouter la radio, impossible, trop pour moi. Je vis dans un pays où l'on hait le vivant, les doux, les fragiles, où l'on se repaît des morts, où l'on canonne et canonise, où l'on hommage et anathématise, où l'on égorge et panthéonise. Les morts je les préfère vivant, je songe à ce monsieur qui fit corps défendant, en mourut pour que d'autres vivent, ce mort ils l'embaument d'odeur de sainteté, j'aurais tant voulu qu'il survive.
mercredi 11 octobre 2023
Bien aises
Il pleut du soleil sur la mare, le bambou repoussé jaunit, c'est l'invraisemblable été qui s'éternise sous des jours raccourcis et la lumière oblique engourdit les chats qui s'étirent, qui sur mon bureau, qui au seuil de la porte entrouverte. C'est une fin du monde bien agréable, ne peut-on s'empêcher de penser. "Bien aises" disait l'aïeule dans la tiédeur de juillet, "nous sommes bien aises", bénaises disait le jardinier, c'était en juillet, ces mots me reviennent en octobre, en toute obscénité, ils sont la douceur même, la douceur qui effraie dans un monde hurlant d'égorgements, d'anathèmes, de familles déchirées, la torpeur heureuse de l'été étouffera l'espèce qui redouble d'horreurs et ne veut pas savoir que ses jours sont comptés.
dimanche 8 octobre 2023
Méconnaissable
Le jadis s'insinue, l'ai-je été, ce jeune homme aux angles aigus, qui battait la campagne au printemps froid des saints de glace, je me souviens mais m'y perds, que reconnaître du révolu, je me souviens de la salle des pas perdus, du tabac froid, de Saint-Lazare, des regards croisés, des briquets battus, des trains pris trop tard. On se souvient, un peu honteux, des faux-fuyants, des faux amis, comment on fit défaut dès lors qu'il s'agissait d'aimer, on se souvient du temps perdu à s'efforcer d'être léger, on le fut, pauvre blague. Reste si peu (de jours, d'abeilles, de neige, de pluies à l'horizon), on s'est arrondi, on s'endort vite, on ne court plus, on regarde les grives, on perd son temps, on aime encore dans ce monde de sang, cela m'est doux, c'est pas trop tôt, c'est un peu tard, non, c'est ainsi.
samedi 7 octobre 2023
S'arranger du désordre
Les arbres naissent de l'ombre et l'ombre des arbres. C'est la ronde des futaies sombres, des mousses vert bouteille et de l'eau noire des mares où hésitent à tomber les feuilles qui tardent à jaunir, c'est la ronde des taillis obscurs que rompt le soleil attardé qui perce la canopée, dessèche les moiteurs fécondes, invente d'autres corruptions, génère des théories de larves au mois où les premiers gels devraient poindre, mais non. Les cèpes sont nombreux mais pourris de vers, les pommiers déboussolés fleurissent tandis qu'on prépare un folklore de sorcières et de potirons sous un ciel d'été. Les arbres meurent de chaleur, nous suffoquons un peu, nous cherchons l'ombre née des arbres qui meurent, nous voudrions dormir en paix mais nous allumons inconséquents le grand incendie spectacle ultime de notre effarant théâtre.
mercredi 4 octobre 2023
Feu le jadis
Il fut un temps, je l'ai connu, où les garçons naissaient de l'ombre des arbres dans la nuit des forêts, et c'étaient eux qui brûlaient, pas les branches, incendiant les passants de l'amadou de leur peau blanche. Aujourd'hui où les arbres brûlent et brûlent mille fois, cendrant Brésil, Grèce, Canada, sont-ils cendres eux-mêmes, les garçons dont le sillage sentait le tabac froid, les faunes masqués d'after-shave? Ce qui a brûlé, ce qui brûle, n'est-ce pas aussi le désordre railleur de Puck, l'enfance de Poucet? Où se perdre sinon, quel fourré, quel taillis pour faire gîte en lagomorphe, oreilles dressées?
Ce jadis de la cachette d'où jaillissaient urgent le désir d'aimer comme celui de mordre, ou plus caravagesque et plus trivialement le briquet battu et la braise d'une cigarette, a brûlé dès avant les arbres, faisant des forêts incendiées nos sœurs, réduisant en fumée le cœur de nos amants.
dimanche 1 octobre 2023
Eté d'octobre
La petite chatte ne fait pas de quartier, tue le rouge-gorge dans l'été d'octobre, joue avec le petit corps pas encore raidi, puis l'abandonne -les oiseaux elle n'aime pas les manger. Ca piaille autour de la mare, même si manque le rouge-gorge, restent les merles, les grives, des pépiements plus indistincts, elle fait semblant de rien la chatte, on la croirait indifférente, mais elle est tout ouïe, il y a des oiseaux qui chantent encore, on peut bondir à l'improviste et jouer de l'imprudent jusqu'au silence, à l'immobilité un peu sanglante, à la gorge rouge du rouge-gorge. Dans l'été d'octobre, cependant, elle peut décider qu'un papillon c'est aussi amusant, et si l'automne advient -c'est la fin du monde, on n'est sûr de rien- une feuille voletante fera tout aussi bien l'affaire, elle est légère la petite chatte, elle s'amuse d'un rien, ça tombe bien, c'est vers le rien qu'on tend.
vendredi 15 septembre 2023
Boucler
Si, de l'été qui s'éternise ne restait plus que cendres d'arbres et torrents de boue, ciels rouges de sables sahariens, mers surchauffées et marées de méduses, il y aurait quand même, dans les villas aux bords des plages ravinées, des vieillards qui rangent, qui ferment sur l'été-même la porte des vacances, même si c'est la fin du monde ils passent au minium les ferrures des balcons, huilent les serrures et les gonds, fixent les barres de sécurité en travers des volets, arment l'alarme électronique. Le bateau est en cale sèche, paré pour l'hivernage et la voiture blindée de bagages attend le conducteur qui refait le tour de la maison, avoir tout bien fermé, rien oublié, tout est paré, on rentre, on reviendra à Pâques -ou à la Trinité, on reviendra en juin rouvrir ce qu'on a fermé, fin du monde ou pas on reviendra.
jeudi 6 juillet 2023
L'ombre des cerisiers
C'est tout un motif la cerise, il en est des pâles et des sombres, des fermes et des fondantes, de petites aigres et de suaves rondes, précoces ou tardives, qui font la joie des merles qui s'enivrent et le bonheur des couples de pigeons sur le fronton des armoires normandes. Le printemps c'est estampe japonaise il neige des pétales, ça presque plus important que le fruit même -la merise amère nait d'une fleur candide. Il a fallu l'an passé abattre un cerisier malade, les arbres abattus m'attristent, ce beau bois rouge et miel couché sur l'herbe, nous en planterons un autre, il faut planter des arbres, il faut créer de l'ombre pour retenir l'eau, il faut des cerisaies pour ne rien regretter, des vergers pour retrouver notre innocence, des jardins forêts où se perdre, mordre aux fruits qui s'offrent, s'aimer et partager avec les oiseaux qui sont sans rancune.
mercredi 28 juin 2023
Poudrière
Le ciel cendré nous rafraichit, ce sont les forêts canadiennes qui pleuvent, pulvérisées par le vent d'ouest; nous rafraîchit ce qui a brûlé, on n'étouffe pas ici, à Montréal si, c'est le ciel orangé, ici c'est juste gris souris; ce qui chauffe ici c'est l'eau, la mer en canicule à faire crever les poissons par millions, à faire migrer les langoustines en Islande, on se baigne en juin avec une chaleur d'août et certains s'en réjouissent, les plages normandes se remplissent des insolés de la Côte d'Azur: elle est grotesque l'apocalypse, nous est ôté jusqu'au chagrin de disparaître, nous sommes machines à fabriquer le rien et nous brûlerons pour régler la Dette et sauver la croissance -sans rien régler, sans sauver rien.
vendredi 9 juin 2023
Juin jaune et noir
Dans l'eau de la mare, des iris jaunes et la mélancolie des reflets d'une âme enfouie, l'odeur de vase qui s'épanouit, l'eau baisse déjà, l'été n'a pas encore commencé que l'eau baisse déjà, que va-t-on découvrir? -d'autres silex gris, le corps de Virginia. Je ne me penche pas, je ne veux rien voir, le bonbinement bleu d'une libellule frénétique suffit à faire tableau, la mare un tout petit trou d'eau qui disparaît qui s'évapore, Dieu, faites qu'il pleuve encore, en Espagne on processionne, chacun fait comme il peut, je veille mon chat noir fiévreux -il aura bu l'eau de la mare. Le saule pleureur est abattu, Il était vieux, perclus de gui, Tanguy a planté un tilleul, plus sobre en eau, il faut bien choisir les plantes si l'on veut que la mare dure, même si le désert gagne, qu'il faut craindre les incendies, la fin de la verte Normandie, de ses mares d'eau noire dont les grenouilles sont parties.
samedi 20 mai 2023
Vert bocage
Nous ne savons plus prendre la pluie comme elle vient, nous n'en avons plus les moyens, nous élucubrons piètres indiens des danses et des processions, nous augurons du pire qui excédera nos rêves de cassandres, il pleut pourtant, l'herbe est verte, elle ressemble à s'y méprendre aux prairies grasses de l'enfance, à la Normandie du beurre et de la crème, or nous savons qu'il n'en est rien, la pluie aussi nous est comptée jusqu'au cœur du bocage, l'eau, comme l'air, viendra à nous manquer, inimaginable et certain, contre-intuitif disent les gourmés, il y en a toujours qui veulent faire les malins, tandis que les malins -j'entends les salauds- remplissent piscines et bassines, se foutent du désert qui gagne, des forêts qui brûlent comme jamais: l'Alberta c'est loin, le manque ce sera pour les autres, la mort pour les pauvres, nul doute qu'ils se gobergent jusqu'à plus soif et laissent le commun crever. Mais pour l'heure l'herbe est verte, les mares ont remonté, il a bien plu pourquoi s'en faire? Attendons l'été.
lundi 8 mai 2023
La belle vie
Il n'y avait personne pour nous disputer le songe de Constantin, voir le soldat qui le veille nous interroger du regard, à l'ombre des gardes obscurs que nimbe la lumière de l'ange, à 9 heures du matin personne à Saint François, à peine si la gardienne regarda nos billets, nous avions réservé par crainte de la foule, mais personne dans la chapelle Bacci, la vraie croix pour nous seuls, et l'émerveillement revenu vingt ans après la première visite. Ma mère fraîchement opérée de la cataracte y avait vu ce qu'elle rêvait de voir, d'un œil neuf, dessillé, l'annonciation limpide, la bataille hiératique, Arezzo dans les lointains, une Jérusalem toscane, le songe de Constantin dont le soldat mélancolique nous touche comme un frère inquiet.
Ce furent ensuite un croissant à la pistache dans la vieille pâtisserie aux boiseries désuètes, la grand place où étaient installés des bambins de cinq ans à qui l'on racontait l'histoire de la ville, au centre exact de la place dont la géométrie réjouissante jouait avec le soleil montant, la cathédrale, Saint Dominique dont un fidèle prévenant nous éclaira le crucifix de Cimabue, ce fut enfin la maison de Vasari, ce refuge au jardin tranquille et les muses peintes au plafond qui me rappelèrent telle sacristie de sa façon, presque incongrue à Naples, à Sainte Anne des Lombards.
jeudi 20 avril 2023
L'espérance des fruits
mardi 18 avril 2023
Le goût des petits pois
Les cerisiers en fleurs, c'est le bonheur du jardin, cette lumière qui ne ressemble à rien, scintillement de pétales qui s'éparpillent en tourbillons, qui ennuagent l'arbre, en masquent le tronc, il en pleut sur l'herbe et la chatte s'en amuse -mais elle préfère le gros bourdon. Acidulé comme les couleurs d'un bonbon, avril nous ment tranquillement, promesses de résurrection, cycle rassurant, il débite son boniment et nous avons envie d'y croire -nous sommes de vieux enfants. Le goût des petits pois, des oignons nouveaux et des premières fraises, les asperges comme un péché mignon, de vieux plaisirs nous reviennent comme de nouvelles joies, pas celles des enfants, non, enfants nous n'aimions pas trop les petits pois, je détestais les oignons, on est con quand on a sept ans, l'est-on moins maintenant? j'en doute, toujours est-il que le printemps.
lundi 17 avril 2023
A quoi s'attendre
Il faut craindre l'été, tout un travail, un deuil même que ces rêves ensoleillés, les plages de l'enfance aux parasols rayés, à écarter, à ranger dans la boîte à diapositives, -les Kodachrome étaient plus bleues, les Fuji plus vertes il y avait en ce temps là des pellicules pour la mer ou pour la montagne, nos vacances en étaient filtrées, pas le soleil qui nous dardait, nous en pelions dès juillet. Nous espérions l'été tout au long de l'année, il nous était promis, il nous manquait parfois -la Bretagne était alors pluvieuse, surtout aux grandes marées- nous avions envie d'esquimaux glacés, de draps de bains lancés sur le sable grossier, de planche à voile, de parties de pêche avec les cousins, et c'étaient crêperies sous le crachin gris, il fallait sauver les enfants de l'ennui, les jours de temps chagrin.
Les forêts brûlent dès avril, les pluies de mars n'ont rien changé, illusoire la verdure des prés, les brumes du matin, les flaques des chemins creux, les eaux de surface maquillent pour un temps un destin de plateau castillan, nous le savons, l'été nous accablera d'un soleil blanc qui effacera jusqu'aux couleurs de nos souvenirs, et il ne nous reste plus qu'à préparer l'ombre où se terrer pendant que les champs ardents charbonneront sous les rayons insolents.
mercredi 22 mars 2023
Animal triste, 2
On la connaît la loi de la pulsion, on voit trop bien comment il marche, le petit morpion qui gouverne: il a goûté à la jouissance, en est tout retourné, preuve en est sa face de fesse, il se cramponne il veut bander, peu importe le visage de l'autre, il se fout du consentement, il veut foutre encore. Le visage d'autrui l'indiffère, la parole d'autrui l'ennuie, l'emmerde -ce qu'il dit- sourd qu'il est à la douceur, à la détresse, à la tendresse des fragiles, aveugle qu'il est au soin qu'on doit aux vieillards, aux malades, aux enfants. Insensible à la douleur, celui qui n'a jamais souffert -for l'orgueil- s'en croit à jamais exempté. L'animal triste, c'est lui, son devenir, ce qui le terrifie. Quand sera retombée l'érection, qu'aura disparu son pouvoir, quand plus de fluide dans sa petite baguette, il ne sera plus que le vide d'un désir épuisé, qui s'acharne à se répéter, c'est ainsi qu'il croit se reproduire, c'est ainsi que la baudruche crève et rend l'âme, et son pneuma si précieux, sa chère substance qu'il répand en un spasme, c'était du vent.
mercredi 15 mars 2023
Animal triste, 1
Maintenant que j'ai comme il se doit tué deux chevaux sous moi, je peux le dire sans honte: moi aussi et plus qu'à mon tour, j'ai été cet animal triste, la bête à cinq pattes d'une apocalypse mesquine, moi aussi je me suis cru lycanthrope à la lune, et j'ai hurlé par la campagne à faire trembler les sangliers, moi aussi ce que je fus je ne l'avais pas vu venir, une voracité fauve, une viande de tendons, de pulsions et de cartilages échauffés, j'étais immangeable et j'avais faim de toutes les peaux mais leur préférais les pelages où blottir mon sommeil inquiet. J'étais maigre comme un chat écorché par un gardien d'immeuble dans la haine ordinaire, j'ai connu l'ennemi très tôt, j'ai vu le loup, fui l'ennui des braves gens, embrassé des voyous qui riaient comme des hyènes. Moi aussi j'ai joui à l'aube et juré que la nuit il fallait l'épuiser comme on presse un fruit clair sur une plaie aux lèvres ouvertes.
dimanche 12 mars 2023
Quatre degrés
Il a bien plu, il le fallait, le vent a brisé des têtards -le saule ça casse aisément, les troncs creux c'est fragile. Ce matin cependant on l'a su dès le chant des oiseaux, une accalmie, le soleil donne sur les carreaux, frappe les meubles et le pavé rose de la salle. Les chats sont sortis jouir de la tiédeur, les fleurs nous signifient le retour du printemps, on voudrait se dire que tout va bien, que c'est mars en effet, jours rallongés et pluies glaciales, mais ce qu'on lit nous détrompe, les pluies sont très insuffisantes, cet été sècheresse assurée, il faut se préparer dit-on, quatre degrés, le ministre s'inquiète des remonte-pente, on nous dit sans frémir que Paris vers 2030 aura le climat de Séville, je pense aux villes basses aux vallées submergées, aux iles englouties, je regarde le jardin, il faudrait le préparer, on ne sera jamais prêts, je m'en fous des remonte-pente, il faudrait planter des arbres, des chênes de Hongrie, des essences adaptées, c'est un peu tard pour cette année, je regarde la lumière traverser le bureau, frapper des livres, rien ne brûle encore, cela ne saurait tarder.