C'est un pli dans le temps qui passe, un chat s'étirant au soleil sur mes papiers qu'il froisse, la chatte se lèche couchée sur Pantagruel et d'un coup de patte fait tomber Gargantua, pourquoi? Plaisir de chat. Il fait bon ce matin les chats voudraient sortir, ne veulent plus, sont bien là sur mon bureau dérangé, Pantagruel à son tour est tombé, je ne les laisse pas sortir, j'ai vu un lapereau ce matin par la fenêtre de la salle de bain, s'ils sortent pas de lendemain pour le petit lapin, alors qu'ils dérangent mon bureau ne me dérange pas, dérangé c'est bien, c'est doux, c'est le chaos du monde mais atténué et le Destin plus si terrible s'il se résume à la fantaisie d'une patte de chat.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
jeudi 30 septembre 2021
mercredi 29 septembre 2021
Le vent se lève
Le vent se lève, il n'est plus temps, que ceux qui ont des enfants leur demandent pardon, les enfants vont tenter de vivre comme il se doit pour des enfants, le pourront-ils seulement? Le vent souffle sur les braises, les champs de blés tapis ardents, les forêts en torches fulminent, mais bonnes vacances au bord de la mer qui monte et mord les rivages et nos falaises blanches cariées de valleuses qui promettent des effondrements. Il n'est plus temps de rien du tout, dérision des gestes qui sauvent, nausée devant les charlatans dont les mensonges glissent sur nos vitres poudreuses, dont les haines furieuses appellent à l'incendie quand déjà tout brûle à l'entour, autodafés que vent attise, le vent se lève il n'est plus temps.
lundi 27 septembre 2021
Sale Histoire
Il faudrait des vents résolus, une mousson torrentielle pour que tombe du ciel non la merci d'un dieu -les dieux ne tombent pas du ciel, ils s'accrochent aux cintres du théâtre où nous inventons nos peurs- mais au moins l'occasion d'un nettoyage à grandes eaux des brûlis de l'été, des brûlures du passé, de la bile des haineux, du dentier des rancuniers à l'haleine faisandée, j'arrête d'énumérer, il faudrait tout noyer, nous n'aurons jamais assez d'eau, et quelle colombe au bout du ciel, et quel ciel pour éclairer quel rameau d'olivier, et quel dieu inventer qu'on puisse croire s'il nous permettait de tout recommencer? Sale Histoire.
samedi 26 juin 2021
Bernay
Je suis revenu à Bernay, dans le lycée où j'enseignai voici trente quatre ans passés. Les élèves n'ont pas changé à Bernay -le merveilleux de ce métier, les élèves ne vieillissent jamais. Ils ont préparé leur oral de français, j'écoute à Bernay des élèves me parler des Cahiers de Douai, ils ont l'âge de Rimbaud, ne se privent pas de le préciser, au cas où ça ne se verrait pas assez. Entre deux, je regarde par la fenêtre la vue sur la rue en contrebas, quelques arbres, un toit terrasse, le temps qui passe, il passe vite le temps à Bernay, hier soleil aujourd'hui frais, et le professeur maigre qui débutait tutoie la retraite et le surpoids désormais. Que s'est-il passé à Bernay, quel baiser enchanté m'a fait vieillir en un clin d'œil, quelle sorcière m'a jeté le sort qui m'alourdit, étoupe mes yeux clairs, dégarnit mon front, et dépeuple ma maison de ceux qui me furent chers? Il ne se passe rien à Bernay, une crue de la Charentonne, il a plu, l'eau coule sous les ponts -un élève parle d'Apollinaire, de Marie Laurencin de la virgule manquante qui change tout. Rien ne change à Bernay, ce que je voudrais croire dans ce lycée désamianté, restructuré, débarrassé de son carrelage violet, et je regarde la pluie tomber par la verrière qui n'existait pas lorsque j'y enseignais. Une jeune fille masquée stabilote "Automne malade", j'écris sur des feuilles de brouillon vertes à Bernay où le temps s'accélère que je regarde défiler devant mes yeux fatigués, l'âge de mes artères on dirait.
dimanche 13 juin 2021
Un herbier
Voici le temps des digitales aux tiges carillonnantes dont les sucs portent au cœur -qui les croirait si puissantes, ces clochettes mauves qu'agite le vent sur les lisières des bois, les fossés du bocage? Il faudrait savoir nommer toutes les plantes, que notre langue soit un herbier, et que les nommant, nous les sauvions de l'extinction qui nous pend au nez, nommer les simples et les poisons, les roses capiteuses, les pavots chiffonnés, nommer les sortes de cerisiers, les distinguer des merisiers, dire la joie de l'estragon, du thym citronné. C'est là que démunis nous comprenons qu'à vivre loin des jardins, nous avons oublié les noms, trop de noms qu'on cherche en vain, on rêvait d'un herbier mais l'on reprend le dictionnaire, dans l'ombre fraîche de la maison, et l'on cherche les noms qui ne reviennent pas.
dimanche 23 mai 2021
Trompe l'œil
C'est un printemps vert et pluvieux, temps de normand, bien normal en un temps où plus rien n'est normal, c'en est déconcertant ce printemps banal, ces prés à l'herbe grasse, ces champs où mousse le lin naissant. Il faut bien du courage ou de la frustration pour s'assoir en terrasse, il en est qui le font avec rage mais bon pour cela j'attendrai qu'il fasse bon, je fais comme si j'avais le temps, c'est de moins en moins vrai , il fait trop frais, cru dit-on, c'est ainsi qu'on parle ici, des mots pour les nuances de froid humide, de courants d'air et de frissons. Le soleil entre deux averses déchire des nuages violacés qui s'en vont crever plus loin, sur les champs de colza dont le jaune se déguenille, sur les chenilles des piérides du chou qui se raréfient, les nuages qui diluent dans la terre des restes de pesticides, et des coquilles d'œufs d'oiseaux qui iront manger les piérides quand seront devenus plus gros. On ne croirait pas, à voir si verts les arbres les haies et les pâtures que couve une fièvre rare, un incendie dont nous ne pouvons prendre la mesure mais dont nous mesurons qu'il nous dévorera, à défaut de le pressentir.
mercredi 28 avril 2021
Hors l'église
Rester hors de l'église -elles sont fermées, ne se visitent pas, épidémie oblige, le gisant attendra- alors admirer les poutres du caquetoire, les colombages, ses motifs, les brins de paille perçant dans le torchis, tout cela bien restauré à Saint-Etienne l'Allier. S'émouvoir d'une survivance: une Normandie de naguère, humide, où grenouilles et bénitiers abondaient par le bocage, où l'on disait d'une éclaircie qu'elle chauffait une averse, d'où les caquetoires grands comme des abribus au porche des églises afin qu'on puisse dégoiser avant, après l'office pendant l'averse qui verse à seaux, s'écocailler en attendant l'éclaircie brusque comme un lever de rideau. La terre est sèche et le ciel bleu, on sort sans parapluie et les messes sont encore plus rares que les averses, le temps passe, les nuages aussi, les nuages ils disparaissent comme les mares du pays leurs miroirs, comme les potins des caquetoires qui n'abritent plus que des avis jaunis.
dimanche 25 avril 2021
Vivre sans
Ma très vieille tante classe des photos, ça la fait pleurer, le vieil oncle est mort qui les avait prises, il en prenait tout le temps, pas toutes rangées loin s'en faut, qu'il était beau me dit-elle, bon il est peu sur les photos puisqu'il les prenait mais j'en ai quand même, même sur son lit de mort il est resté très beau, Claire a pris une photo, tu verrais, c'est vrai, quand tu viendras je te montrerai je sais bien que tu ne peux pas, tu viendras quand ce sera fini tout ça, tu t'es fait vacciner au moins? La première injection, c'est déjà ça, moi je n'ai rien senti, rien, il faut rester très prudent, en plus maintenant ces variants, le Brésil ces pauvres gens, Bolsonaro c'est une arsouille, comme ça qu'on disait à Honfleur, est-ce qu'on le dit encore? Les pommiers sont en fleurs, il a gelé, elles seront rares les pommes cette année, sur les photos de Jean des violons de son atelier les enfants, moi bien-sûr, moi j'étais sa moitié, la moitié de sa vie c'est pour ça que c'est dur, les photos elles me font pleurer, je pleure j'ai été si heureuse.
mardi 13 avril 2021
33 tours et puis s'en vont.
À Philippe De Jonckheere
C'était le temps des images rares, et rare aussi la musique, du moins celle qu'on voulait entendre, électrique, celles que les ondes ne portaient qu'avec réticence, celle qui hérissait les grands parents -les parents affectaient d'aimer les Beatles et dansaient sur Sydney Bechet, Petite fleur, Les oignons, or il n'était plus temps et nous n'aimions pas la danse, ou nous la dansions raides comme les cheveux que nous laissions pousser, qui hérissaient les grands parents tout autant que la musique électrique, celle qu'on finissait par entendre, après avoir longuement contemplé les pochettes des albums chez le disquaire -c'était le temps des images rares des grandes pochettes de 33 tours, 30 centimètres, des LPs on disait quand on voulait faire anglais, dieu qu'elle était anglaise la musique qu'on aimait, c'était le temps des disquaires et des libraires, on y léchait les vitrines en attendant d'avoir l'argent, on s'usait les yeux sur les pochettes d'Hipnogis en vignette dans Rock&Folk, avant de pouvoir enfin assourdir les parents, et c'était Ummagumma, The Lamb, ou 2870, les portraits par Mapplethorpe de Patti Smith, Horses, Easter, des images rares, de la musique électrique, c'était le temps des choses qui se laissaient désirer.
lundi 29 mars 2021
Flux
Il faut passer par le fleuve, nous y passons, tout passe, vaches sacrées le ventre en l'air, princes énervés, pousseurs aux barges chargées de gravier, de voitures neuves, le temps qui descend croise des vikings attardés, des saumons sans gravière pour frayer, des veuves de nautoniers, le bateau blanc du Horla. On s'installe sur la berge entre des bidons éventrés et des saules vêtus de haillons de plastique, ici ne pas chercher l'eau pure, c'est un fantasme frelaté, ici on est parisien par l'urine qui a serpenté depuis la capitale, le fleuve est chargé d'œstrogènes et l'estuaire peuplé de turbots transgenres et de barbues hermaphrodites. On ne vient pas là pour nager et rares sont ceux qui pêchent encore, on passe par le fleuve pour voir l'eau qui passe, dans le sens où elle doit passer, dans l'eau qui passe se voir passer, se demander ce qu'il s'est passé pour en être arrivé là.