Alors il faut fermer la porte, se calfeutrer, qui aurait dit qu'un jour il faudrait se cloîtrer, sortir peu et masqué, qu'il faudrait attester la raison de la sorte? Nous sommes terrés terreux dans le jour embu de novembre, par Toussaint sans cimetière, je n'irai pas fleurir ma mère mais je te reparle ma morte, le cimetière c'est en moi que je le porte, il n'est pas de journée sans que j'arpente ses allées. La Toussaint somme toute je m'en fous, le jaune rouillé des chrysanthèmes ce n'est pas du soleil en pots, tous les saints m'indiffèrent et mes morts je les serre en moi. Tous les saints non car Polycarpe avait raison -puisqu'il faut rendre raison de tout- qui disait selon la légende Seigneur, à quel temps m’avez-vous réservé afin que je souffrisse ces choses ! et j'aime cette jérémiade qui sonne comme le glas d'aujourd'hui.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
dimanche 1 novembre 2020
mardi 27 octobre 2020
Sans remède
Nous avons tous perdu la tête et la fête est finie. Des fonds de verre et des odeurs de tabac froid, ce qu'il reste de l'orgie. Je ne fume ni ne bois plus, mais il me semble que chaque matin c'est la même gueule de bois, la même mine de papier mâché, et pourtant on veut jouir encore. Ce qu'il reste ici bas, au matin des postures et des aboyeurs de calomnies, c'est cet acharnement à creuser son trou, fouiller fouir, hure de sanglier au mépris de tout, dans la merde et dans la boue, bouffer, ravager, retourner jusqu'au bout, jusqu'au plus rien du tout, s'en fourrer plein la gueule et roter à la face de ceux que tenaille une faim de pauvres. Ceux-là n'auront rien que le mépris des repus, ceux-là peuvent crever la gueule ouverte, on leur inventera des fautes, on leur trouvera des stigmates, on les proclamera lépreux pour les chasser plus aisément de la ville, hors la vue des nantis, en espérant qu'ils emportent avec eux le poids des souillures dont on les lapide.
mercredi 19 août 2020
Insatisfaits
Le temps s'est refermé sur nous, le ciel s'est assombri c'est fou comme un ciel se couvre vite, et crève sur les chaumes brûlés et les arbres à bout de chaleur déjà roussissant dans la fin de l'été. Les hêtres en auraient pour trente ans avant de disparaître des forêts d'ici, les forêts cinquante ans pour disparaître aussi, je serai mort, n'en saurai plus nouvelle, cela pour seule consolation, c'est maigre, c'est ainsi. Nos pulsions, notre appétit, la manducation de toutes les graines, de tous les fruits, de ce qu'on cueille, ce qu'on arrache, ce qu'on coupe, ce qu'on saigne, toutes les viandes, toutes les pulpes, les amandes au cœur vert, la moelle des os brisés, la sève des tiges nouvelles, nous dévorerons tout, et les sables, les métaux, les oxydes et cristaux, et l'eau et l'air même viendront à nous manquer. Alors ne restera qu'à s’entre-dévorer.
vendredi 14 août 2020
Collapsus
Et tout a basculé d'un coup, ce n'était plus le temps du tout, un ciel bleu comme peint sur un mur, des rues vides des cafés le volet baissé, des visages fermés, rides tendues, lèvres pincées, ce fut c'est la fin le début on ne sait mais ça va durer.
Le chat noir est arrivé, s'est allongé entre nous, le printemps s'éternisait, il ne pleuvait plus du tout, s'il ne pleuvait plus jamais, si la Normandie devenait comme une Castille brûlée, jaune, sèche comme amadou, si l'on battait le briquet?
Nous nous sommes lovés sur le lit pour regarder des Fellini, nous avons marché dans les bois n'y avons pas trouvé le loup, nous n'y avons croisé personne, alors nous avons compté les fleurettes, les jacinthes et les anémones, les coucous et boutons d'or, l'ail des ours et la clématite, et jusqu'au chèvrefeuille. Nous avons vu fleurir les haies et les fruitiers, puis les pétales sont tombés, blancs et roses et l'on a su que viendraient les fruits quand-même, cette année même où tout s’interrompait, les avions dans le ciel, la communion solennelle, il y aurait des prunes après la fin du monde, des mûres plein les ronciers mais qui pour faire les confitures? La bassine en cuivre et l'apocalypse, fable d'un été, s'il restait un fabuliste.