Sans titre

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Tal Coat

lundi 16 juin 2025

En attendant l'orage

 Le soir de l'orage, je me suis hâté hâté de cueillir les groseilles, les cerises encore un peu blanches, les premières framboises jaunes, on entendait parler de risques de tornade, nous arrivait comme une catastrophe américaine, il fallait sauver les fruits, c'est une année à fruits, en connaitrons-nous beaucoup d'autres? Il a fallu deux heures pour équeuter les groseilles, à la radio la catastrophe israélienne, la guerre mondiale a commencé, elle est préventive -ça qui se dit- mais les carnages n'intéressent personne, et des crétins pérorent, autopromus augures des fluctuations des cours, experts en centrifugeuses persanes, "Tout le flot de purin de la mélodie mondiale", disait Ponge. Les groseilles m'ont rougi les mains, je les ensache et les congèle et je voudrais que le sang que font couler certains, ils ne puissent s'en laver les mains. Quant à moi, j'ai cueilli pour rien: un gros orage, des grêlons peu communs certes, mais de tornade point, les fruits on tenu bon et les fleurs se redressent. Les morts, eux, ne se relèvent pas.

mercredi 11 juin 2025

Happy days

 On le sait dès longtemps, mieux aurait valu ne pas -parler, jouir, fumer, boire, manger gras, écrire, naître sans doute, mais voilà, le mieux, le pas, c'est bien gentil mais il faut vivre, le pas le mieux, ils ont beau jeu les devins qui prédisent le passé, ce que je sais le mieux c'est de ne pas trop retourner sur ses pas, s'abimer dans ses traces, qui s'effacent, elles sont faites pour ça. Je crois qu'il faut dès matin regarder par la fenêtre, y trouver de la bonne humeur, j'ai l'âge de mes douleurs, disait l'aïeule en drama queen, c'est un peu vrai mais il faut en sourire, se souvenir de Jean Genet, de Divine portant son dentier comme un diadème, "Merde mesdames, je règnerai quand-même!" (je cite de mémoire, vérifie qui voudra). Par la fenêtre, ce qu'on voit, il faut parfois beaucoup de bonne volonté pour vivre avec, mais voilà, un rosier blanc, un bout de ciel, le soleil va percer, j'ai de la chance, une belle journée.

vendredi 6 juin 2025

Mother Nature's sons

 On avait allumé un feu pour effrayer les bêtes et déchirer la nuit, dans un cercle de pierres les braises avaient  pâli, et au réveil plus froid que jamais pas même blottis, on était jeunes, on n'osait pas. On était partis dans les bois, chercher le loup peut-être, on s'était perdus, à dessein peut-être, faute de loup, trouver le froid, on ne savait pas, on voulait apprendre, on avait trop lu, il nous fallait juger sur pièces. Nous nous connûmes et ce ne fut pas beau, nous ne serions pas les héros de nos romans secrets, ce que nous avons compris, la leçon, amère.

dimanche 1 juin 2025

Fruits d'été

J'ai cueilli des cerises, les merles en avaient laissé, c'est la première année qu'ils partagent, elles sont charnues, sucrées, les pêches grossissent sur le jeune pêcher, nous semble promis un été de fruits, n'était la grêle qui peut toujours venir hacher les espérances, gâcher la joie des confitures, mais pour l'heure espérons, cela fait vivre dit-on, et l'échéance est raisonnable. J'aimerais surtout goûter au seul abricot de l'abricotier, cet effort d'un fruit dès la première année, mais il ne grossit plus guère, encore n'est-il pas tombé, j'attends un peu pour en désespérer, et s'il tombait n'en serais point amer: me resteraient les grappes de groseilles, de cassis, s'annoncent les framboises en nombre, et le figuier courbe sous le poids de ses figues, énormes dès avant l'été, un été de fruits, ce qui  nous est promis.

mercredi 28 mai 2025

Ohimé

 C'est bientôt l'été. Le temps ne fait que passer dirait-on, à voir les nuages par légions déferler sur l'horizon vague. C'est bientôt l'été, ohimé, le temps ne fait pas que passer, il roule le temps, furieux camion, gros fardier, ohimé, nous brise les os sous les horions, je suis un boxer groggy sous les coups de l'âge, le vieillard  qui divague et titube en ivrogne sur le chemin qu'incendient les digitales. C'est bientôt l'été, j'embrasse son ombre et crains le soleil désormais, ohimé, je tiens à ma peau qui s'écaille, chagrin de lézard albinos qui voyant poindre l'astre, cherche crevasse, anfractuosité où rétracter sa carcasse, bientôt l'été, ohimé, c'est dégueulasse le temps qui passe, j'aurais tant voulu vieillir avec grâce, ce ne me sera pas donné.

vendredi 23 mai 2025

L'effacement

 Voici dix ans passés que tu ne réponds plus, longtemps je t'ai parlé, maintenant plus, j'ai perdu le souvenir de ta voix, peut-être est-elle enregistrée au détour d'un film, je ne sais plus si vous filmiez les premiers pas de vos enfants, c'est possible, je ne me souviens plus. Dix ans sans toi, ton effacement, j'ai lutté sans succès, on sait qu'on va perdre, on lutte pourtant, mais tu ne cesses de disparaître, cela qui t'effrayait tant. Sans toi, plus d'enfance commune, plus de témoin, mon passé, comme une fiction, s'échappe, un rêve de frère et sœur qui ne survit pas à mon réveil, a-t-elle seulement existé l'enfance que j'évoque à tes enfants, toujours étonné que tu leur aies si peu parlé de toi, de nous petits. De tout cela que reste-t-il, pas grand chose, de moins en moins, on s'approche du rien, mais si tu ne cesses de disparaitre, c'est que tu n'as pas disparu, pas totalement disparu, le rien qu'on approche est hors d'atteinte, la flèche de Zénon ne touche pas son but.

dimanche 18 mai 2025

Provisoire Arcadie

 Passe avec l'heure la brume de mai. Le pavot a tombé la coque et déploie son éclat froissé sous le soleil revenu. Le figuier croule sous des fruits étonnamment précoces, les poires promettent d'être nombreuses, les cerises rosissent, les groseilles aussi: chacun se hâte de vivre de prendre le soleil qui s'offre, de boire l'eau de la terre et la mare s'en est ressentie. Ici on entend les grives glorieuses et l'âne nain qui braie comme un grand. On pourrait croire que rien ne change, chaque mouton à tête noire  porte une cloche qui teinte le soir, on se dit quand on rentre qu'on échappe au chaos, que l'extinction, pas ici, on se trompe évidemment, mais dans l'effondrement général, l'illusion aide à vivre, une Arcadie de provision, roucoulement de pigeons, cri du paon qui vague au hameau, éclair roux de l'écureuil qui grimpe au charme, un enchantement, un sort heureux jusqu'à ce que.

samedi 10 mai 2025

Maille à l'envers

 Il suffirait de tirer le fil, de faire rouler la pelote, quitte à détricoter le pull comme  s'y employait la tante experte, jadis, lorsque la marraine avait encore imaginé le filleul comme un être aux bras trainant par terre, et la petite dame rousse reprenait la laine perdue des manches infinies pour ajouter au torse les rangs de mailles qui manquaient. Cela prenait du temps, il fallait de la patience, de l'attention, compter, penser aux diminutions, mais à la fin de l'été le chandail -on disait ainsi- était prêt, aux mesures de l'adolescent maigre paré pour affronter l'automne. On rêve qu'il en aille de même des souvenirs, qu'on puisse en reprendre la trame, renouer les points, réparer les erreurs, mais on s'esquinterait en vain, rien n'est rattrapable, alors on laisse filer.

mercredi 7 mai 2025

Rue Saint Léonard

 Et puis la rumeur de la ville, à peine une rumeur, à peine une ville à vrai dire, ne nous parvenait qu'à peine. Si je m'en souviens? Bien sûr. La nuit -c'étaient de vieux carreaux dans la maison de briques, de ceux qui gondolent la vue du dehors- on entendait approcher les voitures et la chambre était balayée par les phares en dépit des persiennes, je n'ai pas oublié, ni les bruits ni les cris des marchandes qui remontaient la rue au rythme des marées. La chambre de l'aïeule donnait sur le jardin qui l'entendait ronfler en paix, je me souviens je me souviens. Et tôt le samedi matin résonnaient comme des cymbales les dernières carioles aux roues cerclées qui descendaient vers le marché, ce son du passé dans notre présent, nous courrions au Passant observer les chevaux et la rue pour un temps sentait un peu le crottin, je m'en souviens bien, ma vie d'homme a roulé sur les pavés, les pavés disjoints disparus, on n'y butera plus, le temps glisse sur la chaussée mouillée, ma mère, ma mère, voici longtemps que je ne suis passé -la pierre de ta tombe a-t-elle gardé son reflet bleu?

lundi 14 avril 2025

Le bal du pont

 Dans cette histoire, une belle un pont, la belle s'appelle Hélène et voudrait y aller danser. Un bal sur un pont, drôle d'idée mais admettons, pont du nord, pont de Nantes, peu importe à la mère qui l'envoie promener, voici la belle dans sa chambre en pleurs, cloîtrée, des impatiences plein les pieds. Les frères n'aiment pas voir leurs sœurs pleurer. Celui-là qui a navigué, revient chercher Hélène, lui dit de s'habiller, robe de bal, ceinture dorée, il faut sécher les larmes, il va l'emmener danser la sœurette la faire tournoyer sur le pont où le bal se donne, elle pourra lancer ses gambettes sans craindre les mauvais garçons, le frère veille, pas d'embêtements. Elle s'élance Hélène et la première danse la grise comme un verre de vin blanc, il faut qu'elle recommence, la belle aime l'ivresse des virevoltes et tournoiements, mais dès le troisième tour, le pont s'effondre, la belle tombe, le frère plonge pour la sauver, elle coule à pic, robe blanche ceinture dorée, le frère ne peut la retirer qui sombre et les voilà noyés, un bal sur un pont qui branle c'était une mauvaise idée. Le tocsin sonne qui réveille la mère des enfants obstinés, on l'informe de leur mort, c'est à son tour de pleurer.

jeudi 3 avril 2025

Peine perdue

 Dans cette histoire une fontaine, une route, une belle, il ne manque qu'un pont mais ce serait autre chanson, de pont nous nous passerons mais pas de la fontaine ni des larmes de la belle qui pleure comme une Madeleine, les belles pleurent près des fontaines  où chantent les oiseaux, les merles moqueurs qui picorent le cœur des belles, bécotent la pulpe purpurine des cerises en juin. Qui viendra consoler la belle qui sanglote à gros bouillons? -elle pourrait, dit-on, faire déborder la fontaine. On vient bientôt, pas de mystère, la fontaine est en bord de route, qui vient? un prince, un cantonnier, un crapaud?  non, vient tout un bataillon qui s'intéresse au chagrin de la belle et veut lui chanter des chansons. A tout bataillon capitaine, c'est lui qui pose les questions, c'est grâce à lui qu'on sait le prénom de la belle -un nom de fleur, Garance? Mais non, l'éplorée de la fontaine sur la route de Dijon répond au nom de Marjolaine. C'est un doux nom sourit le capitaine qui s'inquiète de sa peine, Marjolaine a beaucoup de peine, mais l'histoire dit qu'il la console quand même, lui et tout son bataillon. C'est sur la route de Dijon qu'on plaint la pauvre Marjolaine pour pareille consolation. Les hommes sont des vauriens, des brutes, des ruffians, pleure la belle à la fontaine au comble de l'affliction.

samedi 22 mars 2025

Corde au cou

 Dans cette histoire pas de fontaine, mais les larmes de la belle qui pleure à si gros bouillons qu'elle en devient fontaine, aussi s'étonne-t-on. La belle est encore fille, c'est pour cela augure-t-on qu'elle sanglote à fendre le cœur des pierres, peur de coiffer Sainte Catherine croit-on - on est un con. On lui promet un beau garçon, mieux encore le fils d'un prince, au pis celui d'un baron. Au mariage princier, à l'anneau qui brille, Jeannette -tel est son petit nom- dit non, son cœur est pris et qui l'a pris est en prison, n'importe! qui elle aime s'appelle Pierre, c'est lui qu'elle mariera, prison ou pas prison. Sa réponse déplaît, à l'effrontée pleureuse, ici on aime dire la loi, les filles dociles et les contes de fée. "- Puisqu'il en est ainsi, ton pendard de Pierre on lui nouera la corde, il se balancera, tu pourras pleurer tout ton soûl Jeannette, au bout d'une corde Pierre pendouillera." 

- La corde je la veux au cou, le nœud  coulant qu'il me serre la gorge, j'exige ce collier de chanvre, mon cou c'est mon annulaire, pendue j'épouserai Pierre, éperdus nous danserons  au dessus des patibulaires au grand bal de Montfaucon."

Ainsi fut fait, dit-on.

vendredi 14 mars 2025

L'eau claire

 Dans cette histoire la belle trouve belle l'eau claire, et sans plus s'y mirer se baigne à la fontaine. On dit qu'elle revient de noces, qu'elle n'a pas le cœur gai mais aime que le rossignol trouve lui cœur à chanter tandis qu'elle s'essuie à la feuille du chêne. Un rossignol, c'est comme un jeune homme, un ténor léger, chante rossignol dit-elle, pour un peu elle pleurerait, l'ami Pierre l'a trouvé légère, elle s'en défend, elle rend à la fontaine les larmes qui lui viennent, sur la plus haute branche chante le rossignol, chante. La voilà délaissée pour un bouton de rose trop tôt donné, si peu de chose, et voilà la noce gâchée, elle voudrait raccrocher la rose au rosier, que Pierre lui revienne, elle voudrait rossignol t'entendre chanter qu'il ne s'est rien passé.

jeudi 6 mars 2025

Sur la route

 Dans cette histoire, les routes des provinces s'emmêlent, de Rennes ou de Lorraine la route où claquent les sabots de la belle, de la duchesse, de la vilaine on ne sait pas trop, toujours est-il qu'elle marche, mais où ses pas la mènent l'histoire varie sur ce point aussi, ce qui nous ravit, c'est la variation même. On dit qu'elle allait vers Paris, de Bretagne ou par la Lorraine, Paris ça vous pose une belle, les sabots ce n'est pas un problème quand le fils du roi vous aime, voilà ce qu'elle dit, la belle. A qui elle le dit, l'histoire varie sur ce point aussi, ça qui me réjouit, trois dames ou trois capitaines, landeri mirlitontaine, la belle a de la répartie, et ses sabots d'Ille et Vilaine ne l'empêcheront pas d'être reine si le bouquet de marjolaine -un don du Dauphin transi- qu'elle a planté sur la plaine, si le bouquet refleurit elle règne, mais s'il meurt, peine perdue, dondaine, elle repartira vers Rennes, passera par la Lorraine, en sabots toute honte bue.

dimanche 23 février 2025

Jusqu'à la fin du monde

 Dans cette histoire, si belle est la fille que chacun veut la marier, prince et valet de chambre qui la voient du palais, boulanger confit, fils de couturier, chacun voudrait sa main aux marches où elle se tient (on dit que la fille est flamande). Pour tenir la botte, nul n'égale le cordonnier qui chausse la belle de souliers à la mode de Nantes -l'histoire a de ces variantes… C'est en chaussant ses jolis pieds que lui est venu l'éloquence: si la belle y est disposée, il lui promet rien moins qu'un bouquet de pervenche, lit carré revêtu de taies blanches, si elle le veut bien, chant de Philomèle, si elle atteint le septième ciel, alors le lit deviendra monde sensuel, au mitan la rivière aussi large que profonde, à même; si elle l'aime, d'assouvir la soif des chevaux du roi, aussi vrai que la terre est ronde, si profonde que s'y noierait le cheval noir, au risque de la colère du roi qui pourrait les faire pendre, c'est un risque à prendre pour dormir ensemble jusqu'à la fin du monde.

samedi 22 février 2025

Pâques ou Trinité

Dans cette histoire, une femme attend -rien de surprenant, dans les histoires, tant de femmes attendent, un fils, un mari, un amant, un frère, que le jour se lève, que la nuit tombe, la vie d'une femme y est tissée d'attentes, ici c'est à la tour qu'elle se tient, ici c'est un mari dont elle espère le retour en vain. Passent Pâques et Reverdie, Trinité parfums de lilas, pétales de roses tombés, dans cette histoire pas d'autre retour que celui du refrain. Madame à sa tour montée aperçoit enfin quelqu'un qui approche, un gringalet, presque un gamin, c'est le page qui revient tout de noir vêtu - on a compris, la chose est entendue, cette histoire sans mystère aucun? Voire… Le page en noir dit à la dame qu' il va faire pleurer ses beaux yeux, c'est un peu galant pour la circonstance, il lui faut se déshabiller, quitter robe rose et satin broché pour prendre le deuil de son mari fauché par la mitraille, l'enfant narre l'enterrement, les honneurs militaires, le romarin planté près la tombe, va jusqu'à prétendre qu'on vit son âme s'envoler -j'en doute- au travers des lauriers. Il ajoute le page endeuillé qu'après l'enterrement chacun s'en retourna seul ou accompagné de blonde ou brune ou bien châtaigne, c'est un peu déplacé je trouve, et l'histoire ne dit pas si la veuve en rose a pleuré du haut de la tour où elle attendait.

vendredi 21 février 2025

Rouler carrosse

 Dans cette histoire un cantonnier lève sa masse pour briser les pierres de la route, un casseur de cailloux capable de combler ornières, nids de poule, de faire d'un chemin creux une voie carrossable, un cantonnier fait son métier, sur la route de Louviers. Il faut rouler carrosse pour profiter de son métier, c'est donc une belle dame qui passe et qui, n'étant pas trop secouée, daigne parler au cantonnier depuis son beau carrosse doré, mais parler, c'est pour dire qu'il fait un bien fichu métier - Madame il aurait mieux valu se taire, belle affaire que la pitié. Le cantonnier de notre histoire lui rétorque qu'à rouler carrosse on ne casse pas des briques et toc voilà la dame coite et la morale écrite.

jeudi 20 février 2025

Plumes au vent

 Dans cette histoire, on ne sait pas où se situe l'étang que son père lui donna, qui n'était pas si creux que grand, peut-être une mare à canards embellie par des yeux d'enfant, trois canards y nagent, rien de surprenant. Cependant, c'est là que l'histoire commence, un prince, bien fils de son père, chasse au mépris des pauvres gens, voit les canards, vise le noir, tue le blanc d'un maladroit fusil d'argent. Il est méchant le fils du roi, il tue presque gratuitement, du sang sur l'eau, des plumes au vent. Trois dames passent, qui les ramassent, tout va par trois dans cette histoire, des plumes elles feront un lit blanc qui ne consolera pas l'enfant.

mardi 18 février 2025

Plonger du pont

 Dans cette histoire, une fille pleure l'anneau perdu, la bague tombée, ses larmes pleuvent du parapet, elles tombent du pont de Tréguier, là où la bague était tombée. Survient dans cette histoire un jeune homme intrigué qui demande à la belle ce qui la fait pleurer, elle raconte l'anneau perdu, la bague tombée, s'il plonge, elle promet un baiser, un baiser de la belle ne peut se refuser. Il plonge le jeune homme, il aperçoit l'anneau à la première apnée, la seconde il croit le toucher. L'histoire dit qu'à la troisième il s'est noyé. 

Dans cette histoire, en épilogue, un vieillard qui les regardait se met à pleurer, il pleure ses trois fils noyés pour la même fille et  sa maudite bague, pour la promesse d'un baiser.

lundi 17 février 2025

A Saint-Michel-en-Grève

 Dans cette histoire se tient un vieil homme qui ne dit rien. Ce qu'il regarde, on ne sait pas, dans le lointain, après la mer et l'horizon, que trouve-t-on, qu'espère-t-il? - Rien, à son âge on n'espère plus, ou bien alors à l'espagnole, mais là c'est le lot commun. Ce qu'il attend, dans cette histoire, c'est le retour d'un fils perdu qui s'était engagé, il craint la voile noire, le capitaine à qui il l'avait réclamé ne l'avait pas libéré. Dans cette histoire le vieillard pleure dans le secret de son grand lit, la nuit, pendant que des filles chantent la chanson qu'on dit être de son fils. Il se promet qu'à l'aube, il retournera sur la plage, il marchera jusqu'au large, et se noiera, dans une odeur d'iode et d'algues vertes, ça l'histoire ne le dit pas.

samedi 15 février 2025

Ogres

 A nos cycles indifférent, celui du soleil reprend, des frémissements dans la mare, la première tête d'un crocus brave le gel, les jonquilles qui tôt s'ouvriront, y allant à leur tour de leurs petits soleils, tout cela va son cours, tout cela va sans nous, tout cela irait mieux si nous n'étions pas là, goinfres omnivorants de la racine à la fleur, des œufs à la carcasse: nous avons faim de toutes les chairs, nous avons soif de toutes les pulpes, et quand nous aurons tout mangé, nous nous entredévorerons sous un soleil vert.

vendredi 14 février 2025

La bête qui monte

 Qui n'entend pas les bruits les cris et les injures ni le braillement des soudards il en est, qui ne voit pas la mer monter, l'arc en ciel se brunir, le sang pleuvoir dans la fumée il en est, qui se tait et consent au bâillon des mots interdits, qui sait et ne dit rien des crimes qui se fomentent en participe, trois singes en vérité, trois signes sur l'autel de notre lâcheté -on parle de stupeur entre gens bien élevés. Que ferons-nous quand devenus le paillasson des brutes, ils s'essuieront les pieds? La merde de leurs semelles, ferons nous semblant de ne pas la sentir? Et l'odeur des cendres des nos livres, et l'odeur des cendres de ceux qu'ils tiennent pour infâmes (Amis, on a brûlé le malheureux Chausson), en tirerons-nous de la potasse pour nos jardins honteux? Ce qui commence, ce qui continue, soldats travestis avec les robes de leurs victimes,  enfants abattus, migrants murés, villes en feu, folles tabassées, chanteur balancés du balcon, ce qui continue, ce qui recommence, qui ne veut pas voir ni entendre, qu'il se taise honteusement.

mardi 11 février 2025

Pendant la chute

Ce qui nous emporte qu'est-ce? La rage s'épand et nul ne mord qui ne soit mordu, mort promise, bave aux lèvres en se réclamant de dieux morts, nous éructons des ordures, et ceux qui mènent la danse bandent dans la fièvre de leurs crimes. Ce qui nous mène, ce qui nous ment, s'accélère, nous cerne et nous malmène, assommés que nous sommes par la bêtise sans précédent qu'ils sèment. Il faudrait tenir pourtant, aider ceux qui demandent asile, soigner les malades, nourrir les mendiants, préférer les fragiles aux gagnants, aimer  dans toutes les langues aimer bien si possible au moins ne pas trop nuire, ce qu'il faudrait c'est, dans l'effondrement de février, faire foirer les imbéciles, rechercher la douceur en nous de toutes les amours possibles, dans tous les genres, sous toutes les peaux, le sol tremble et vacille comme sombre notre raison, nous ne tenons qu'à un fil rompu, nous tombons aimons nous puisque l'écrasement.

jeudi 6 février 2025

La ronde des féroces

 Les jonquilles pointent à leur tour leurs boutons lancéolés, la fleur s'apprête qui tardera puisque demain il va neiger dit-on, si l'on en croit les prévisions, on patientera, c'est entendu, on n'y pense pas plus que cela, éberlués par l'homme orange et ses nazes musqués. On se dit c'est un mauvais rêve, ça ne peut pas plus mal tourner la terre mais foin du sens, plus désaxés que mappemonde qu'un chat viendrait de renverser, il faut se rendre à l'évidence, il peut empirer le pire, le pire ça peut s'accélérer, on veut échapper à la ronde des féroces, des imbéciles, des brutes épaisses comme un blockhaus, la machine à malheur s'emballe qui fait jouir de puissants crétins. C'est parti pour la valse des lourds, maudit soit qui ne leur ressemble pas, ils fourbissent leurs anathèmes et vérifient qui marche droit, à leurs pas de l'oie, pas de loi qui vaille, malheur aux talons hauts, aux faux cils, aux pieds nus, aux bronzés, aux esquimaux, aux hispanos, la liste ne saurait s'épuiser, c'est le retour de Picrochole, on n'y était pas préparés.

lundi 27 janvier 2025

Ton soleil manque

Ils hurlent sur des écrans muets les assassins du sens. Tout sent la mort, décidément, n'étaient les perce-neige et les pointes des futures jonquilles. Nous t'espérons, faire daffadill, le temps passe et ton soleil manque, au moins reviendra-t-il nous enchanter. Ce qui est sans retour possible, la vie même insultée, ce qui nous hébète, ce qu'on nous inflige, le fascisant goût pour la mort se répand, et je pense à Miguel, jadis, à Salamanque, l'intelligence exécrée par de jeunes brutes en chemise. Reviens, faire daffadill, nous te pleurerons quand fanera ton soleil, craignant que ce soit le dernier.

mercredi 22 janvier 2025

Au bas du ciel

 Il faudrait s'emparer nous dit-on du ciel tant qu'il est bas, s'entendre dire qu'il s'est mis à notre portée, il faudrait y croire un peu, pas d'étoile à décrocher, non, juste raccommoder les plaies d'où fuient les nappes de brouillard et les rideaux d'averses. Le temps n'est pas à l'espoir, le temps il en reste peu, il pleut des langues de feu, il flambe une pluie barbare, les arbres sont en crue les rivières en flammes, l'azur, cette pauvre blague! -elle est morte l'idée, le ciel est trop bas, l'idiotie triomphale: nous a giflé l'aile imbécile, en sommes morts béats béants crétins dociles, le ciel trop bas décidément.

jeudi 16 janvier 2025

Etat des lieux

Nous sommes partis au sud avant qu'à son tour il ne brûle et qu'on y pleure les villas calcinées des riches, on y a vu la belle lumière, les élégants musées, les oliviers qu'on croirait millénaires, Menton, ses citronniers, pas de doute, ça va brûler. Au retour, retrouver la mare prise par le gel, les herbes vitrifiées, le brouillard qui ne se lève guère, heures sans fin de l'hiver, désespérer du jardin. Brûler les bûches dans le poêle, particules fines, je sais bien, je me blottis comme un vieux chat, le jardin  je n'y vais plus guère et c'est à tort: pointent les perce neige, les boutons d'hellébores. L'eau de la mare baigne le pied du laurier. Il faudrait que ça baisse un peu, il faudrait un peu de soleil, quelques signes de vie, un écureuil dans le cerisier. Il faudrait que la vie soit tempérée, qu'on ne se noie ni ne se brûle, nous n'en prenons pas le chemin, je ne sors plus dans le jardin.