Nous ne savons plus prendre la pluie comme elle vient, nous n'en avons plus les moyens, nous élucubrons piètres indiens des danses et des processions, nous augurons du pire qui excédera nos rêves de cassandres, il pleut pourtant, l'herbe est verte, elle ressemble à s'y méprendre aux prairies grasses de l'enfance, à la Normandie du beurre et de la crème, or nous savons qu'il n'en est rien, la pluie aussi nous est comptée jusqu'au cœur du bocage, l'eau, comme l'air, viendra à nous manquer, inimaginable et certain, contre-intuitif disent les gourmés, il y en a toujours qui veulent faire les malins, tandis que les malins -j'entends les salauds- remplissent piscines et bassines, se foutent du désert qui gagne, des forêts qui brûlent comme jamais: l'Alberta c'est loin, le manque ce sera pour les autres, la mort pour les pauvres, nul doute qu'ils se gobergent jusqu'à plus soif et laissent le commun crever. Mais pour l'heure l'herbe est verte, les mares ont remonté, il a bien plu pourquoi s'en faire? Attendons l'été.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
samedi 20 mai 2023
lundi 8 mai 2023
La belle vie
Il n'y avait personne pour nous disputer le songe de Constantin, voir le soldat qui le veille nous interroger du regard, à l'ombre des gardes obscurs que nimbe la lumière de l'ange, à 9 heures du matin personne à Saint François, à peine si la gardienne regarda nos billets, nous avions réservé par crainte de la foule, mais personne dans la chapelle Bacci, la vraie croix pour nous seuls, et l'émerveillement revenu vingt ans après la première visite. Ma mère fraîchement opérée de la cataracte y avait vu ce qu'elle rêvait de voir, d'un œil neuf, dessillé, l'annonciation limpide, la bataille hiératique, Arezzo dans les lointains, une Jérusalem toscane, le songe de Constantin dont le soldat mélancolique nous touche comme un frère inquiet.
Ce furent ensuite un croissant à la pistache dans la vieille pâtisserie aux boiseries désuètes, la grand place où étaient installés des bambins de cinq ans à qui l'on racontait l'histoire de la ville, au centre exact de la place dont la géométrie réjouissante jouait avec le soleil montant, la cathédrale, Saint Dominique dont un fidèle prévenant nous éclaira le crucifix de Cimabue, ce fut enfin la maison de Vasari, ce refuge au jardin tranquille et les muses peintes au plafond qui me rappelèrent telle sacristie de sa façon, presque incongrue à Naples, à Sainte Anne des Lombards.
jeudi 20 avril 2023
L'espérance des fruits
mardi 18 avril 2023
Le goût des petits pois
Les cerisiers en fleurs, c'est le bonheur du jardin, cette lumière qui ne ressemble à rien, scintillement de pétales qui s'éparpillent en tourbillons, qui ennuagent l'arbre, en masquent le tronc, il en pleut sur l'herbe et la chatte s'en amuse -mais elle préfère le gros bourdon. Acidulé comme les couleurs d'un bonbon, avril nous ment tranquillement, promesses de résurrection, cycle rassurant, il débite son boniment et nous avons envie d'y croire -nous sommes de vieux enfants. Le goût des petits pois, des oignons nouveaux et des premières fraises, les asperges comme un péché mignon, de vieux plaisirs nous reviennent comme de nouvelles joies, pas celles des enfants, non, enfants nous n'aimions pas trop les petits pois, je détestais les oignons, on est con quand on a sept ans, l'est-on moins maintenant? j'en doute, toujours est-il que le printemps.
lundi 17 avril 2023
A quoi s'attendre
Il faut craindre l'été, tout un travail, un deuil même que ces rêves ensoleillés, les plages de l'enfance aux parasols rayés, à écarter, à ranger dans la boîte à diapositives, -les Kodachrome étaient plus bleues, les Fuji plus vertes il y avait en ce temps là des pellicules pour la mer ou pour la montagne, nos vacances en étaient filtrées, pas le soleil qui nous dardait, nous en pelions dès juillet. Nous espérions l'été tout au long de l'année, il nous était promis, il nous manquait parfois -la Bretagne était alors pluvieuse, surtout aux grandes marées- nous avions envie d'esquimaux glacés, de draps de bains lancés sur le sable grossier, de planche à voile, de parties de pêche avec les cousins, et c'étaient crêperies sous le crachin gris, il fallait sauver les enfants de l'ennui, les jours de temps chagrin.
Les forêts brûlent dès avril, les pluies de mars n'ont rien changé, illusoire la verdure des prés, les brumes du matin, les flaques des chemins creux, les eaux de surface maquillent pour un temps un destin de plateau castillan, nous le savons, l'été nous accablera d'un soleil blanc qui effacera jusqu'aux couleurs de nos souvenirs, et il ne nous reste plus qu'à préparer l'ombre où se terrer pendant que les champs ardents charbonneront sous les rayons insolents.
mercredi 22 mars 2023
Animal triste, 2
On la connaît la loi de la pulsion, on voit trop bien comment il marche, le petit morpion qui gouverne: il a goûté à la jouissance, en est tout retourné, preuve en est sa face de fesse, il se cramponne il veut bander, peu importe le visage de l'autre, il se fout du consentement, il veut foutre encore. Le visage d'autrui l'indiffère, la parole d'autrui l'ennuie, l'emmerde -ce qu'il dit- sourd qu'il est à la douceur, à la détresse, à la tendresse des fragiles, aveugle qu'il est au soin qu'on doit aux vieillards, aux malades, aux enfants. Insensible à la douleur, celui qui n'a jamais souffert -for l'orgueil- s'en croit à jamais exempté. L'animal triste, c'est lui, son devenir, ce qui le terrifie. Quand sera retombée l'érection, qu'aura disparu son pouvoir, quand plus de fluide dans sa petite baguette, il ne sera plus que le vide d'un désir épuisé, qui s'acharne à se répéter, c'est ainsi qu'il croit se reproduire, c'est ainsi que la baudruche crève et rend l'âme, et son pneuma si précieux, sa chère substance qu'il répand en un spasme, c'était du vent.
mercredi 15 mars 2023
Animal triste, 1
Maintenant que j'ai comme il se doit tué deux chevaux sous moi, je peux le dire sans honte: moi aussi et plus qu'à mon tour, j'ai été cet animal triste, la bête à cinq pattes d'une apocalypse mesquine, moi aussi je me suis cru lycanthrope à la lune, et j'ai hurlé par la campagne à faire trembler les sangliers, moi aussi ce que je fus je ne l'avais pas vu venir, une voracité fauve, une viande de tendons, de pulsions et de cartilages échauffés, j'étais immangeable et j'avais faim de toutes les peaux mais leur préférais les pelages où blottir mon sommeil inquiet. J'étais maigre comme un chat écorché par un gardien d'immeuble dans la haine ordinaire, j'ai connu l'ennemi très tôt, j'ai vu le loup, fui l'ennui des braves gens, embrassé des voyous qui riaient comme des hyènes. Moi aussi j'ai joui à l'aube et juré que la nuit il fallait l'épuiser comme on presse un fruit clair sur une plaie aux lèvres ouvertes.
dimanche 12 mars 2023
Quatre degrés
Il a bien plu, il le fallait, le vent a brisé des têtards -le saule ça casse aisément, les troncs creux c'est fragile. Ce matin cependant on l'a su dès le chant des oiseaux, une accalmie, le soleil donne sur les carreaux, frappe les meubles et le pavé rose de la salle. Les chats sont sortis jouir de la tiédeur, les fleurs nous signifient le retour du printemps, on voudrait se dire que tout va bien, que c'est mars en effet, jours rallongés et pluies glaciales, mais ce qu'on lit nous détrompe, les pluies sont très insuffisantes, cet été sècheresse assurée, il faut se préparer dit-on, quatre degrés, le ministre s'inquiète des remonte-pente, on nous dit sans frémir que Paris vers 2030 aura le climat de Séville, je pense aux villes basses aux vallées submergées, aux iles englouties, je regarde le jardin, il faudrait le préparer, on ne sera jamais prêts, je m'en fous des remonte-pente, il faudrait planter des arbres, des chênes de Hongrie, des essences adaptées, c'est un peu tard pour cette année, je regarde la lumière traverser le bureau, frapper des livres, rien ne brûle encore, cela ne saurait tarder.
jeudi 9 mars 2023
Averse de lumière
Le prunus se risque à quelques fleurs, il a tonné hier soir sans qu'on puisse voir le moindre éclair, il a plu comme pour laver l'offense, mais rien de la sorte, rien susceptible de remplir la mare, tant pis, le temps change, le ciel gris se déchire, une percée de soleil, une giboulée de mars, la lumière, crument, traverse la pièce et révèle de la rousseur dans les poils du chat qu'on croyait gris, on y voit clair et puis la pluie de nouveau brouille la vue, crépite sur la véranda, dérange le sommeil des chats, s'écoule sur la baie vitrée, l'herbe n'est plus qu'un halo vert, les oiseaux des chants discrets, on en reste éberlué, les jonquilles mouchettent la pâture, l'œil se perd dans l'averse, elle joue avec nos nerfs la lumière qui se refuse pour soudain rompre le rempart des nuages et inonder la chambre. Sur le lit le chat roussi choisit très précisément le carré de lumière pour s'y coucher et reprendre sa sieste.
samedi 25 février 2023
Photosensible
Les nuages courent au dessus des champs reverdis, ils hachent la lumière crue de la fin d'hiver, ils projettent leurs ombres sur les arpents jaunis par l'agro-chimie, sur la ligne des peupliers nus, sur la façade de la maison qui s'assombrit forcément, avant de retrouver un soleil oblique, celui qui éblouit, comme un intrus dans les pièces surprises. La pluie n'est pas pour aujourd'hui, on s'en réjouit sots que nous sommes, un mois sans pluie en Normandie, la face du monde en est changée, dire cela n'est pas plaisanter, vains que nous sommes. Un ministre évoque sans ciller le chiffre de quatre degrés, s'inquiète des stations de ski, je coupe la chique au triste sire, je pense aux hêtraies, la fin de nos forêts ici en Normandie, au calvaire de Fécamp parti avec le pan de falaise effondré, je crains les chaleurs de juillet, les crues à contretemps, la grêle sur les toits, les coups de vent, et cependant je garde en moi le goût du printemps, l'envie de l'été, sot que je suis, inconséquent.