Chers nuages, Charles, Eugène, il y eut en baie de Seine matière à tableaux. Tu sais bien ce qu'il faut, l'averse de lumière, la culotte de gendarme, l'éclaircie trouant le bitume, la pluie de l'autre côté de l'eau, parfois la Seine n'avait qu'un bord, parfois la pluie venait trop vite, je me souviens de Marie-Laure et moi, un matin sur la plage du Havre, rattrapés par le grain, mouillés jusqu'à la culotte, ciel d'estuaire, ce qu'on dit, la pluie plusieurs fois par heure, le soleil entre la pluie, les nuages, les nuages comme la vie, les merveilleux nuages, qui vous trempent, vous essorent. Charles, Eugène, ce qu'on en dit, ce qu'on en peint, l'insaisissable, un dessin, un pastel, un lavis, ces gestes sans remords possible, ces gestes crispés, modernes, ces gestes sans atelier, ces touches dissociées, on s'était dit, la nature-même, l'éternité du sensible, on l'aurait juré, les nuages sur les vases de l'estuaire, ces lumières à jamais changeantes, on tenait quelque chose de vrai, et puis on entend que leurs jours sont comptés aux nuages, aux nuages de l'océan, qu'en 2100 ils n'en auraient plus pour longtemps et qu'avec eux c'en serait fait de nous, de nos enfants, 8 degrés d'un coup, la vie torréfiée, l'éternité exacte au soleil perpendiculaire, sans nuages, sans nous.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
mercredi 27 février 2019
mardi 19 février 2019
Printemps précoce
La lumière est revenue d'un coup, trop tôt, trop chaud, tant mieux tant pis, on prend le temps qu'il fait comme il vient, en junkies de la reverdie, on sourit aux narcisses, aux primevères sur les fossés verts, et des vacanciers mangent des glaces en bord de mer, pour un peu on se baignerait, on ne se baigne pas, on en serait transis. On sue sous le manteau d'hiver on se réveille avec des envies de marche, le ciel est bleu mais, vers la ville des trainées roses et brunes où s'accumule l'haleine de nos activités et cette haleine nous asphyxie. J'entends que fondent les banquises, je l'entends sans surprise, aux antipodes ils se détachent les glaciers immenses et tôt la mer montant, les rivages en seront rongés, une question d'années, de mois, avant que ne cèdent les digues, que les polders soient envahis, on ne le croirait pas, on sait que si, on ne fait rien rien à faire, on sort prendre l'air de notre asphyxie, on mange un sorbet, on ne manque pas d'appétit au bord de la mer qui monte comme l'eau dans le verre où le glaçon s'est évanoui.
mardi 29 janvier 2019
Dernière neige
Et le silence s'abat blanc sur le toit d'ardoise et bâillonne les voitures qui passent en glissant dans le grand blanc de la nuit noire, il neige ce soir pour la dernière fois, ce que je me dis, pour la dernière fois, il se pourrait bien que plus jamais il ne neige en Normandie, ce qu'on m'a dit, on peut le croire, des mimosas des vignes ici on s'y prépare. On sort un instant, on ouvre la main le temps qu'un flocon s'y love et s'évanouisse dans le poing refermé d'où sourd une eau de glace, c'est l'hiver des légendes, c'est la fin de saison et la fin des saisons nous saisit nous fondons comme flocon de neige dans le poing fermé d'un enfant qui frissonne. Le monde se fige, le monde fond, c'est vers la fin que nous coulons, vertige, les perce-neige perlent les talus profonds et vibrant sur leurs tiges mentent et nous disent que le printemps c'est bon, ce conte, ces boniments de fin du monde, ces ruses pour bercer les enfants.
mercredi 23 janvier 2019
Fondu au blanc
Pourquoi sous la neige les pas s'effacent plus que cheveux ne blanchissent, et ce qui fond c'est le corps dans le nuage gris qui floconne, cet évanouissement le prendre comme un train, une chance, un silence enfin. Aimer la neige, la balayer sur le pare-brise, croire qu'on verra plus loin, n'y voir pas mieux, se résoudre aveugle à un fondu au blanc, jouir des pas qui crissent des cris d'enfants qu'on ne voit pas, trembler vieillard déjà du pas qui glisse, de la cuisse qui se crispe, se reprendre, poser le pied bien à plat. Plus jamais tu ne connaîtras cela, parce que morte, et ta tombe, la neige, elle ne la connaît pas, parce qu'aussi la neige il faut la regarder dans notre aveuglement comme le signe évident de ce qui survient mais ne reviendra plus, ce qui fond dans la main, ce qu'humains nous réchauffons jusqu'à ce que mort s'ensuive, de l'eau qui s'enfuit pour faire monter les océans, ronger la terre et nous avec, et nous dedans.
vendredi 4 janvier 2019
Lavis d'hiver
Lumières brèves et crues, il a tellement plu, il ne pleut pas assez, les nuages sont comme encrés, de l'encre noire, la Waterman qui bleuissait lorsqu'on la coupait d'eau -on aimait assez la couper, tu serais là tu confirmerais- des effets d'aquarelle et de ciel d'hiver. Ton absence se dilue semble-t-il certains jours, les jours courts de janvier traversés d'averses, mon cœur transpercé que berce et soigne celui que j'aime qui m'accompagne et fait famille à lui tout seul ou presque, j'aurais tant voulu que tu le connaisses, cela ne nous fut pas donné. Tu me reviens dans la nuit noire, tu reviens dans de mauvais rêves, lumières crues, éclats brefs tu reviens sans rien dire, ton silence m'effare, ton silence t'altère, revenante tu n'es pas toi, ça qui m'épouvante. Il faut un effort pour sortir du cauchemar, chercher la main amie, humer la peau de Tanguy dans l'encre noire de la nuit, encre de chine, je préférais la Waterman, mais rien ne vaut se rendormir tout contre lui pour dissiper ce qui m'obscurcit.
dimanche 23 décembre 2018
Finir avec Noël
Au plus court des jours penser à toi, ce que c'était lourd, les derniers Noëls de ta vie, on faisait comme si, les huîtres, le foie gras tout ça, tes beaux parents qui mangeaient pendant des heures, maman qui n'allait plus qui n'allait pas, est-elle jamais allée maman qu'il fallait visiter chez elle, maman mourait tous les Noëls, défaillait pendant les repas, toi tu ne te plaignais pas, et tu es morte avant elle. Qu'offrir aux enfants, que répondre à l'amie qui ne parle que d'elle, qu'offrir à maman, la joie on fait comment? Philippe achetait toujours des sapins trop grands, dans sa crèche trop de santons, pour l'enchantement des enfants qui sans doute n'en demandaient pas tant. On a fait comme ça on a fait comme si tout allait se répéter quand même, on n'y croyait pas, on s'est soumis, on a abêti la machine, des fois que, mais non pas de grâce efficace, la farce de la dinde et du divin enfant, l'escroquerie des mages et le goût de la bûche, nous avons souscrit, nous avons subi, peiné à digérer la frangipane de la galette, au nom de quoi, au nom de qui, le temps t'était compté, n'y avait-il pas mieux à faire que ripailler jusqu'à nausée, nausée qui ne te quittait guère?
vendredi 7 décembre 2018
Encore un dernier tour
Les jours les plus courts sont-ils les meilleurs? j'en doute. Les caniveaux plus clairs du jaune des feuilles mortes sont des ciels inversés sous des nuages chargés de nuit. Tu sais, le monde est cul par dessus tête. Le culbuto de notre enfance pouvait pencher, son cul plombé lui garantissait tous les rétablissements, et le grelot qui tintait en lui c'était le rire d'un clown, sa chute une plaisanterie. J'ai peur à nous voir pencher pour encore dévorer la terre, pencher sur le comptoir du dernier coup pour la route, la dernière part du balthazar, j'ai peur qu'à trop aimer la pente et l'ivresse nous consentions à l'ensevelissement. Nous sommes épuisants dans un monde épuisé, glissant comme les enfants sur des toboggans tirebouchonnés, des enfants qui voudraient que jamais ne s'arrête la glissade enivrante ni le tour de manège, mais tout s'arrête et les lumières de la ducasse dans les cinq heures de décembre, c'est mensonge hélas, et rien ne dit que le cul dans le bac à sable, l'enfant puisse se relever.
lundi 26 novembre 2018
Rendu à son rien
Savoir le père rendu à son rien, qu'en aurais-tu ressenti? Véronique me dit qu'à la mort du sien, elle avait éprouvé comme un poids en moins, faute d'avoir obtenu une parole de vérité, mais non pas un mot, pas un regret, pas un pardon murmuré, ils sont morts les deux frères à un mois d'intervalle dans le même silence, le même déni, ils sont donc morts impardonnés et c'est tant pis. De quoi est-il mort? quand précisément? je ne sais, on ne me l'a pas dit et ce n'est pas grave, je veux l'annoncer à ma vieille tante nonagénaire, c'est mon oncle qui me répond et m'annonce la mort de son propre frère, les morts se croisent. Nous avons une drôle de conversation me dit-il avant de m'assurer qu'il a toujours beaucoup de plaisir à m'entendre, et Maryelle d'ajouter tranquille il était mort pour toi depuis si longtemps, ton deuil est fait, elle a raison, je ne ressens ni joie ni peine. Je ne sais ce que tu aurais ressenti, toi dont il avait abusé: allègement, soulagement, délivrance ou rien, ou le regret de son pardon jamais dit, ou la divine indifférence? Ton rien n'est pas celui du père, ton rien pèse en moi plus que mille pierres, ton rien c'est mon manque de toi, son rien je le voue à l'oubli, une poignée de poussière, le vent, le vent léger disperse avec ses cendres jusqu'à ma colère, dernier refuge de son être: je suis en paix de lui.
lundi 19 novembre 2018
L'abcisse et l'ordonnée
J'ai reconnu sa voix, tu l'aurais reconnue, Catherine quand ça va ou pas, on le reconnaît à sa voix. Des années qu'elle n'avait pas appelé, elle appelait maman, je ne la remplace pas, elle ne m'appelait pas jusque-là, quelque chose s'est cassé sans doute, je retrouve sa voix sur mon répondeur, au milieu d'une phrase qui me parle d'espérance, je ne comprends qu'après que c'est le nom de la clinique où elle est internée. Je la rappelle elle ne reconnaît pas ma voix, mais il suffit de mon prénom et la voilà rassurée qui me parle d'un dessin, un christ boursouflé qu'on a cloué sur l'axe de l'abscisse et de l'ordonnée, son dessin la hantait, si ton dessin te hante tu n'as qu'à le couper lui aurait dit son frère elle avait refusé, le dessin la hantait mais elle l'aimait quand même, puis elle a dérivé m'a parlé de vieilles culottes, de culottes neuves achetées car les vieilles lui faisaient honte, de la nécessité de laver les neuves avant de les porter, un autre de ses frères avait refusé de le faire tu n'as qu'à te démerder ce qu'elle a fait dans le lavabo de la chambre de la clinique de l'Espérance. Je ne lui avais rien demandé tient-elle à préciser, puis elle dérive encore, me parle de son désir des hommes, elle ne m'en avait jamais parlé, des propos déplacés d'un prêtre qu'elle aimait bien malgré tout, car il lui avait dit que faire l'amour la première fois, ce n'était pas pécher, elle avait bien aimé aller à confesse s'entendre dire qu'il n'y avait pas faute. Elle dérive encore, me parle du slip sale de D. le vieux salaud que j'avais oublié, mais elle dit son nom et je me le rappelle, et je lui réponds qu'il n'y avait pas que le slip de sale chez D., ça la fait rire. Elle dérive encore je ne sais plus quoi dire et lasse d'un coup au milieu d'une phrase bonsoir et elle raccroche.
dimanche 11 novembre 2018
Ton goût du Fondor
J'avais oublié, comment ai-je pu? ton goût pour le Fondor, qu'est-ce que le Fondor? il faut expliquer ce goût disparu. Je ne savais même pas si cela existait encore, mais si, je le retrouve sur le site Germandelistore, le Fondor de Maggi. Les esprits forts disaient: c'est du sel de céleri teint en jaune, rien de plus. Chimiquement c'est faux, il y a bien d'autres choses Sel, exhausteur de goût: glutamate de sodium; huile de palme, sucre, sirop de glucose, oignon, céleri rave, ail, curcuma, curry, poivre, muscade, arômes (blé) et un raton-laveur et qu'importe, tu l'aimais à la folie, petite, le Fondor de Maggi. Je ne partageais pas ta faiblesse qui jaunissait les coquillettes, les salades et les escalopes de dinde, mais c'était établi. Il te fallait ta dose, ça n'existait pas par ici le Fondor de Maggi, parfois on trouvait l'Aromat de Knorr, sinistre ersatz à ton avis, il te fallait du vrai, la véritable poudre d'or, on la faisait venir de Suisse, ils s'y connaissent en or les suisses, la tante envoyait des colis pour que tu soupoudres tes repas d'or, de sel de céleri, que tous les repas aient la même saveur et que tu retrouves l'appétit.
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