La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

lundi 11 octobre 2010

Un cendrier en 59

Il est rentré changé. Longtemps, il a hurlé la nuit, rêvé des corps abattus, des camarades émasculés, c'est bien le moins lorsqu'on a tué, qu'on n'en est pas mort. Il avait changé, son regard s'absentant elle voulait croire à son remords mais non rien là non plus, à peine le regret d'avoir perdu. Perdu la paix, gagné la guerre, il rajoutait. Les soirs de murge, il croyait mâcher ses propres couilles.
Il est rentré changé, plus maigre, plus tranchant, le scorbut aux gencives. Il tient sa femme à distance, qui ne mesure pas ses crimes, qui ne mesurera jamais ; elle sourit dans l'aveuglement d'un soleil vertical. Lui si maigre que sans ombre. Elle ne se méfie pas de lui, convient qu'il a changé. Elle avait accepté les morpions comme le reste, ils s'étaient rasé le sexe, enduits de pommade au mercure, ils avaient brûlé les poils dans un cendrier. Aventure coloniale. Elle avait ri, elle fumait les Gauloises de ses rations, elle regardait ces poils brûler comme une preuve d'amour, un marivaudage organique. D'où venaient les lentes ? De quel pubis, de quel bordel ? En spécialiste, elle travaille à son ignorance. Elle se lève le matin, surprise par son ventre lisse, elle part à l'hôpital Mustapha. Elle est infirmière, et sans doute, il lui est arrivé de panser ceux-là mêmes qu'il avait torturés. Elle laisse dans les rues d'Alger des volutes de Gauloises bleues.

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