La neige est revenue, comme anachronique, plâtrer les champs du plateau, et le froid pas si froid, nous l'avons perçu comme une anomalie -l'anomalie c'est nous. Puis le ciel se fend d'une lame bleue, les perce neige font leur travail, bien trop tôt, certes, mais dans le chaos, qui pour les accuser de se tromper de tempo, quand pointent déjà les bourgeons des jonquilles? Mi janvier, tout bourgeonne que la neige recouvre et brûle, les oiseaux ne savent plus chanter, les hérissons consanguins ne savent plus hiberner (nous leurs volons jusqu'aux feuilles mortes de leurs nids), ils crèvent de la teigne, de faim, de froid, d'étourderie sur les routes fatales, ces routes que la neige blanchit pour quelques heures, et déjà les traces de roue promettent des jours de boue, d'herbe détrempée, d'eau qui -c'est ce qu'on espère- viendra remplir la mare.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
mercredi 18 janvier 2023
vendredi 13 janvier 2023
Honneur aux labdacides
jeudi 8 décembre 2022
Point de jour
Le jour n'est pas venu, ne se lève plus le jour, les pigeons l'attendent sur le fil électrique, les lapins gambadent d'un brouillard à l'autre, on disait brûler le jour quand j'étais enfant si quelqu'un allumait trop tôt la lampe à la maison, je n'éteins plus les miennes, ce n'est pas de la lumière qui rentre par les fenêtres décillées de leurs volets, c'est la teinte blafarde des nuages qui rampent jusqu'au ras des haies, comme une scène scandinave on se sent poisseux d'une mélancolie qui transpire l'overdose de mélatonine. De fait on voudrait dormir comme l'ours hiberne, et se réveiller aminci au printemps, plein d'appétits nouveaux, se réinventer dans une reverdie que rien ne promet pour l'heure -en témoignent les chats transis qui rentrent sitôt sortis.
dimanche 4 décembre 2022
Comment ça s'arrête
Comment ça s'arrête, l'élan, le temps, tout ça, la rive du monde où verse l'eau des fleuves, le sang qui bat les tempes et la mer la falaise blanche, il faudrait ralentir, adoucir les bords, arrondir les angles, et les colères les apaiser. Ce doit être la saison, les mauvais anges picorent les boules de graisse dans le gris cotonneux qui flotte près de la mare, cette nuit qui ne cesse de tomber, ce doit être la saison qui donne des envies de berceuse, de pain d'épice et de thé à la bergamote. Les gens parlent du prix du gaz, craignent les délestages, le froid, la lumière tarie. On n'a pas le cœur à l'apocalypse -ni à l'écœurante nativité- on voudrait seulement prendre le temps de caresser les chats avant que tout ne s'éteigne et se blottir pour mieux s'aimer.
dimanche 20 novembre 2022
Du côté d'Aucourt
Le hameau c'est un ilot d'arbres au bord du plateau, que domine le château d'eau verdâtre -qui vit dessous ne le voit pas, c'est mieux ainsi. Pour venir deux chemins possibles -qui bien-sûr ne font qu'un une fois comprise la géographie du lieu- un concentré de Normandie où survit dans un vallon un bocage rassurant, et là serpente une route au centre herbeux, où l'on roule lentement, attentif aux lapins, aux faisans, aux écureuils et aux deux chèvres évadées qui vaguent depuis l'été dernier. L'autre chemin, plus direct, plus sinistre, fend en deux des champs qui pourraient être en Beauce, en Brie, où alternent avec les saisons les cultures industrielles, blé, colza, betteraves, pommes de terre, lin quand on a de la chance (le bleu du lin c'est de la chance qui flotte au vent). C'est une route qui ressemble à ces gués qui ne se dégagent qu'à marée basse, et qui nous mènent, glissants, à des îles qu'il faut mériter, une route qui ressemble à des photos de Philippe de Jonckheere d'une digue à Portsmouth, cette route peut-être une digue qui nous sauve des marées de boue et permet d'atteindre le hameau vert de feuilles attardées qui tombent comme des folles.
samedi 19 novembre 2022
Rien à signaler.
Il pleut comme c'est d'usage en Normandie, un novembre de saison, de betteraves arrachées des terres grasses, ma voiture ressemble à une motte de terre, à une patate hors du sillon, on rentre herbeux des semelles, la mare se remplit un peu, il pleut. Prenons la boue comme un répit, un repli vers l'ordinaire de novembre, horizon borné, jours rétrécis, crépuscules déchirants. Prendre le thé à cinq heures la nuit tombée, trouver ça bon le thé qui fume dans le mug, se rassurer blottis dans la maison basse, une journée normale, on peut encore vivre des journées normales.
mercredi 16 novembre 2022
Vue de la fenêtre
Depuis la fenêtre, les fils du téléphone, les câbles électriques, la fibre aérienne (nul n'y est raccordé), les branches d'un poirier qui a poussé en chandelle, forment un entrelacs que quadrillent les carreaux et les bois -le ciel est rare et déchiré. Il reste des feuilles étrangement aux cerisiers, aux coudriers, quand d'autres arbres sont nus dès longtemps, mais le figuier à peine jauni, on n'y comprend rien on comprend trop bien, pas de gelées, les roses épanouies des rosiers rouillés, comment les arbres pourraient s'y retrouver? La fille de Nicolas dit c'est la fin du monde je ne veux pas d'enfants, Thalie n'en veut pas non plus, pas que les arbres qui sont perdus, qui ne le serait, en vérité? Quelle vie promise aux jeunes gens, les feuilles m'en tombent et les arbres gémissent qui ne savent comment ils périssent, submergés par des crues brutales, charbons ardents de nos étés.
lundi 14 novembre 2022
Cygne sur l'eau noire
Ce qui se passe on ne sait pas bien, un cygne dormait sur l'eau noire, dans le brouillard il faisait froid ce matin, pas tant que cela non, mais plus froid et le brouillard persistant des jours de novembre, on serait tenté de le prendre comme un retour à la normale, mais la normale, qui sait désormais ce dont il s'agit? Blotti sous son aile, un cygne dormait sur l'eau noire, vision d'un instant sur un bras de la Risle -dans la vallée, paradoxalement, le brouillard s'était dilué- vision décisive : la journée en serait marquée. Ce cygne assoupi qu'attend-il pour se réveiller, l'hiver le guette, mais si on y pense il se pourrait qu'il ne gèle plus jamais sur l'eau noire de la rivière, une eau plus jamais figée pour l'ex vilain petit canard qui peut dormir en paix.
mercredi 9 novembre 2022
Anomalie de novembre
La maison s'ouvre au gré des chats qui passent, se ferme sur la pluie la nuit, les chats mouillés qui rentrent se frotter aux mollets, elle respire ainsi la vieille longère au rythme des chats qui filent, s'étirent vers la poignée de porte et miaulent comme s'ils n'avaient mangé de huit jours. Le soleil court au dessus du toit, l'air tiède nous stupéfie, la porte ouverte nous ne la fermons pas: il fait plus chaud à la Toussaint qu'à Pâques, les morts s'en foutent et les chats se chauffent au soleil de novembre.
dimanche 6 novembre 2022
Paresse
La pluie strie la vue, floute les petits carreaux des fenêtres qui s'embuent, les chats rongent leur frein, Pamina lovée sur le paillasson entre deux godasses boueuses, s'endort résignée: ce sera une journée sans oiseau à saigner, une journée grise comme le ciel, à oublier. Il pleut de la lumière sur les papiers de mon bureau, j'écoute la Guiditta de Scarlatti, il faudrait songer à préparer le déjeuner, mais j'ai une flemme de chat, pour un peu je m'allongerais moi aussi, vieillir c'est consentir aux siestes, pour un peu je couperais la chique à Judith -on sait comment ça finit- et j'irais dormir bercé par le son de la pluie qui crépite sur les feuilles tombées. Mais monsieur l'appétit commande, je me résous à cuisiner.