La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

dimanche 20 novembre 2022

Du côté d'Aucourt

 Le hameau c'est un ilot d'arbres au bord du plateau, que domine le château d'eau verdâtre -qui vit dessous ne le voit pas, c'est mieux ainsi. Pour venir deux chemins possibles -qui bien-sûr ne font qu'un une fois  comprise la géographie du lieu- un concentré de Normandie où survit dans un vallon un bocage rassurant, et là serpente une route au centre herbeux, où l'on roule  lentement, attentif aux lapins, aux faisans, aux écureuils et aux deux chèvres évadées qui vaguent depuis l'été dernier. L'autre chemin, plus direct, plus sinistre, fend en deux des champs qui pourraient être en Beauce, en Brie, où alternent avec les saisons les cultures industrielles, blé, colza, betteraves, pommes de terre, lin quand on a de la chance (le bleu du lin c'est de la chance qui flotte au vent). C'est une route qui ressemble à ces gués qui ne se dégagent qu'à marée basse, et qui nous mènent, glissants, à des îles qu'il faut mériter, une route qui ressemble à des photos de Philippe de Jonckheere d'une digue à Portsmouth, cette route peut-être une digue qui nous sauve des marées de boue et permet d'atteindre le hameau vert de feuilles attardées qui tombent comme des folles.

samedi 19 novembre 2022

Rien à signaler.

 Il pleut comme c'est d'usage en Normandie, un novembre de saison, de betteraves arrachées des terres grasses, ma voiture ressemble à une motte de terre, à une patate hors du sillon, on rentre herbeux des semelles, la mare se remplit un peu, il pleut. Prenons la boue comme un répit, un repli vers l'ordinaire de novembre, horizon borné, jours rétrécis, crépuscules déchirants. Prendre le thé à  cinq heures la nuit tombée, trouver ça bon le thé qui fume dans le mug, se rassurer blottis dans la maison basse,  une journée normale, on peut encore vivre des journées normales.

mercredi 16 novembre 2022

Vue de la fenêtre

 Depuis la fenêtre, les fils du téléphone, les câbles électriques, la fibre aérienne (nul n'y est raccordé), les branches d'un poirier qui a poussé en chandelle, forment un entrelacs que quadrillent les carreaux et les bois -le ciel est rare et déchiré. Il reste des feuilles étrangement aux cerisiers, aux coudriers, quand d'autres arbres sont nus dès longtemps, mais le figuier à peine jauni, on n'y comprend rien on comprend trop bien, pas de gelées, les roses épanouies des rosiers rouillés, comment les arbres pourraient s'y retrouver? La fille de Nicolas dit c'est la fin du monde je ne veux pas d'enfants, Thalie n'en veut pas non plus, pas que les arbres qui sont perdus, qui ne le serait, en vérité? Quelle vie promise aux jeunes gens, les feuilles m'en tombent et les arbres gémissent qui ne savent comment ils périssent, submergés par des crues brutales, charbons ardents de nos étés.

lundi 14 novembre 2022

Cygne sur l'eau noire

 Ce qui se passe on ne sait pas bien, un cygne dormait sur l'eau noire, dans le brouillard il faisait froid ce matin, pas tant que cela non, mais plus froid et le brouillard persistant des jours de novembre, on serait tenté de le prendre comme un retour à la normale, mais la normale, qui sait désormais ce dont il s'agit? Blotti sous son aile, un cygne dormait sur l'eau noire, vision d'un instant sur un bras de la Risle -dans la vallée, paradoxalement, le brouillard s'était dilué- vision décisive : la journée en serait marquée. Ce cygne assoupi qu'attend-il pour se réveiller, l'hiver le guette, mais si on y pense il se pourrait qu'il ne gèle plus jamais sur l'eau noire de la rivière, une eau plus jamais figée pour l'ex vilain petit canard qui peut dormir en paix.

mercredi 9 novembre 2022

Anomalie de novembre

La maison s'ouvre au gré des chats qui passent, se ferme sur la pluie la nuit, les chats mouillés qui rentrent se frotter aux mollets, elle respire ainsi la vieille longère au rythme des chats qui filent, s'étirent vers la poignée de porte et miaulent comme s'ils n'avaient mangé de huit jours. Le soleil court au dessus du toit, l'air tiède nous stupéfie, la porte ouverte nous ne la fermons pas: il fait plus chaud à la Toussaint qu'à Pâques, les morts s'en foutent et les chats se chauffent au soleil de novembre.

dimanche 6 novembre 2022

Paresse

 La pluie strie la vue, floute les petits carreaux des fenêtres qui s'embuent, les chats rongent leur frein, Pamina lovée sur le paillasson entre deux godasses boueuses, s'endort résignée: ce sera une journée sans oiseau à saigner, une journée grise comme le ciel, à oublier. Il pleut de la lumière sur les papiers de mon bureau, j'écoute la Guiditta  de Scarlatti, il faudrait songer à préparer le déjeuner, mais j'ai une flemme de chat, pour un peu je m'allongerais moi aussi, vieillir c'est consentir aux siestes, pour un peu je couperais la chique à Judith -on sait comment ça finit- et j'irais dormir bercé par le son de la pluie qui crépite sur les feuilles tombées. Mais monsieur l'appétit commande, je me résous à cuisiner.

samedi 5 novembre 2022

Plus ou moins l'automne

 La maison rétrécit avec les jours qui raccourcissent, le jardin ne lui offre plus de prolongement mais une zone d'herbe trempée, et les roues des voitures laissent des ornières boueuses devant la façade que le soleil frappe moins longtemps. Pour les mois qui s'annoncent, il faut fermer la porte de la véranda, en user comme d'une remise: on y serre les légumes et les pommes, et bientôt on y rentrera le laurier rose et l'olivier qui pourraient souffrir du gel. Car il va geler à nouveau, dans quelques jours, quelques semaines, encore geler un peu, moins souvent moins longtemps certes, mais tout de même l'olivier ici c'est un peu prématuré, il n'est pas dit qu'il ne neige plus jamais, ce n'est pas sûr, mieux vaut abriter l'olivier dans la véranda, laisser passer les jours froids qui finiront par arriver, se calfeutrer dans la maison réduite aux pièces chauffées. Les chats ne s'y trompent pas, moins enclins à sortir, qui étirent leurs siestes aux dimensions de la journée, prennent toute la place au lit, pour un peu ils nous chasseraient s'ils en avaient l'énergie, mais non, nous leur tenons chaud, quoi de mieux pour hiberner?

vendredi 4 novembre 2022

Bombance

 La nuit grandit, c'est de saison, mois sombres, fruits rares, racines déterrées, nous y tendons n'était le temps, cette chaleur dont on s'effare:  les oiseaux chantent, certains nidifient, les plantes s'égarent qui refleurissent ou qui bourgeonnent, c'est un chaos doux qui s'empare de nous dont nous craignons à raison qu'il aggrave tout, tout, on ne sait pas très bien nommer, mais on pressent des crues et des tornades, des côtes érodées, des cyclones tropicaux sur nos campagnes tempérées. N'était le temps, la tempérance perdue si tant est que que jamais tempérance il y eut hors la liste des vertus dont il nous faut désespérer. Notre appétit nous tue, notre soif de poivrots nous dessèche, et quand aurons mangé et la pulpe et la graine, et le lard et la viande,  quand nous aurons bu tous les vins et toute l'eau des rivières, c'est notre sang que nous boirons notre chair que nous mastiquerons, dans une communion amère.

mardi 1 novembre 2022

Une visite

 Feuille d'automne, chaleur d'été, ta fille est passée qui te ressemble et pas du tout c'est bien ainsi, c'est bien ta fille, Thalie  fille de Flavie, ce qui les lie le "a", le "i", deux syllabes et un "l", pas rien mais rien qui pèse trop, Thalie marche avec moi dans l'arboretum d'Harcourt, je trouve une coulemelle dont je cueille le chapeau, tu ne leur as pas appris les champignons à tes enfants, Thalie le regrette un peu, on s'assoit sur un banc, Tanguy fatigue encore quand il marche, pourquoi parlons-nous de Mulhouse? Thalie est surprise que nous y ayons vécu petits, tu ne leur avais pas dit, tu ne t'en souvenais pas peut-être, quel âge avais-tu à Mulhouse, deux ans? Provins non plus n'évoque rien à ta fille, je raconte ta boiterie, de cela tu avais parlé, elle se souvient, oui, tu boitais petite, c'était à Provins le commandant les prothèses dans le porte-parapluie, tu ne lui avais pas dit. Les feuilles jaunies le grand platane, l'arbre tortueux qui fait caverne, les baies violettes d'un arbuste, nous marchons dans le temps qui passe, un été qui s'éternise, malgré les jours abrégés..

mercredi 12 octobre 2022

Que l'hiver nous soit doux

 Et reprendre, comme si de rien n'était, le chemin des cèpes, des coulemelles, les retrouver aux endroits précis où ils poussent chaque année, le long des talus, dans des fossés, à la lisière des bois, ils sont là, eux aussi ils ont voulu vivre, comme a voulu vivre le poirier qui avait grillé en juillet, qui refleurit en août, fleurs sans fruits bien sûr, fleurs suivies de feuilles qui s'apprêtent à jaunir, les feuilles ne sont pas encore tombées sur les cèpes, mais déjà certains sont gercés de gel. Il faut les cueillir vite, qu'ils laissent la place aux trompettes, aux chanterelles, aux champignons des feuilles tombées, ceux qui se protègent du gel et peuvent espérer connaître décembre, si l'hiver est doux, parfois jusqu'à janvier les chanterelles cendrées, c'est arrivé, il ne faut pas de nuits trop claires, ça qu'on peut espérer.