La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mercredi 31 décembre 2014

Vision d'après le phare

Ma vision je l'ai eue dit-elle, d'un trait brun d'aquarelle, ma vision, j'ai eu ma vision, et qu'importent la fin du tableau, les heures d'indécision, les yeux plissés à scruter l'invisible, qu'importent ma virginité fanée et les amours que je n'ai pas vécues. Sur nos plages changeantes, par la maison venteuse il a fallu marcher dans l'ombre des enfants grandis. Combien de crépuscules sans voir le rayon vert, combien de morts dans l'ombre des portes, de visages rongés par l'oubli? Ma vision je l'ai eue cela me justifie dit-elle dans un sourire qui tend son visage froissé de vieille demoiselle, où pleurent, délavés, des yeux d'aquarelle.

dimanche 28 décembre 2014

Polypodes

C'était le soir entre les murs où frémissaient les polypodes et j'ébarbais en les frôlant des plaques de lichen vert-de-gris. Granit de l'enfance, maisons solides de l'ennui, la pluie sur les ardoises, seul bruit des heures d'hiver, la pluie sur les carreaux, sur les volets fermés dès quatre heures et demie. C'était toujours le soir, c'était bientôt la nuit.

jeudi 11 décembre 2014

Les vieilles chéries

Peut-être un jour le souffle court pleureras-tu le sable envolé, la poudre fanée sur les joues vieille rose des pauvres chéries disparues?
Hortensias en chlorose, en vain les ardoises pilées pour bleuir le rose fané des fleurs qu'elles avaient semées, les vieilles chéries moroses?
Peut-être un jour l'idée d'un baiser refusé -un baiser ce n'est pas grand 'chose- refusé pour la pose, pour froisser les vieilles chéries dont l'eau de rose nous écœurait, parce que jeunesse est cruauté, qu'elle mord sans cause et sans regret.
Peut-être un jour le souffle court le temps perdu pleureras-tu à ton tour le corps disparu, ces mains tordues d'arthrose, peut-être à ton tour pauvre chose te reviendront les vieilles chéries foutues dont les fleurs décloses ne t'avaient pas ému?

mercredi 15 octobre 2014

Ta faute

Tu aurais pu faire en sorte que cela passe, tu aurais pu nous laisser le souvenir d'oeufs turquoise et d'oiseaux surpris, de lièvres palpitants au gîte, de claques de congres convulsés au fond du zodiac, mais non, cela non plus tu ne l'as pas voulu.
Tu aurais pu faire retour, dire le mot magique, nous délivrer du mal, c'était à toi de le dire, à toi de réparer, mais non, cela non plus, c'est con, tu n'as jamais su dire pardon.
Si ce que je crains advient, je te plains, s'il advenait alors pire que le malheur dont tu nous as marqués, il n'y aura plus de glace où te regarder, plus de grâce, il n'y aura plus que ta faute inscrite sur ton front d'infâme, plus que ta faute impardonnée faute d'avoir demandé pardon.

C'est moi qui pleure à toutes les chansons, c'est moi qui viens trop tard à Nantes, moi dont dont le nom flamboie Boulevard des Capucines, c'est moi qui devrais rendre grâce que tu aies à ce point manqué, car marcher sans toi suffit à marcher droit, vaincre le signe indien du labdacide, devenir l'indien contraire de ton vice, marcher à ton revers pour revenir à l'origine et demander pardon pour toi.

samedi 4 octobre 2014

Une anatomie du monde

Puisqu'on tranche la tête des oiseaux de l'automne, que partout éructent des reines de coeur sanglantes, qu'il n'est plus d'île où se tenir, apprendre à pardonner, susciter la tempête apaisante, puisque la tempête est partout, que les poissons se noient et que les chansons nous manquent, puisque les mères sont à bout de souffle et qu'aux frontières elles voient se masser leurs enfants monstrueux qu'aimantent des joueurs de flûte, puisque mon rêve n'a plus de prise et que la terre que je foule s'épuise sous mes pas, quelque effort que je fasse à ne pas lui peser, puisque la mer monte et lèche ma maison d'une caresse menaçante, que ma voix s'use à proroger des livres impuissants à remédier au monde, que le vin du soir ne suffira pas, que ta main manque à jamais à l'heure recommencée où tous les poings se crispent, par défaut je te nomme amour quand les oiseaux égorgés pendent à l'office et que partout c'est carnage et bêtes éventrées sous le couteau de tous, tous étonnés de jouir en bouchers, de s'endormir équarrisseurs mélancoliques tandis qu'à l'horizon des nuits frémissent les golems de nos désirs abjects, l'ombre des dieux morts, la glaise de nos rancunes. Par défaut je te nomme amour et je suis baptiste au désert et je suis un enfant qui pleure et je veux être la main qui desserre l'étau du poing qui brisa l'oiseau.

dimanche 28 septembre 2014

Mare Nostrum

Notre mer, un tombeau. En elle sombrent des misères que sabordent les passeurs pressés d'embarquer d'autres misères.
Dans la barque du nocher s'entassent tous les noms du malheur dans toutes les langues et toutes les langues se confondent dès lors qu'il s'agit du malheur, tous les dieux et des peaux sombres plus que des peaux claires, et toutes les peaux assombries. Tous les malheurs du monde pèsent plus que les crimes et la barque coule entre deux enfers: en notre mer s'ouvre un en-deçà. Coulent avec les damnés, avec les innocents, leurs dieux, leurs enfants, leurs femmes violées, l'espoir des jeunes gens pour qui les vieux s'étaient saignés, coule avec le nautonier qui ne sait plus à quel enfer se vouer, l'enfer lui-même, dépassé.

dimanche 7 septembre 2014

Transparentes de Croncels

Nous n'aimions pas les pluies de septembre: elles entraînaient le tas de sable où nous trompions notre ennui, le dissolvaient, et apparaissaient à sa base des veines de terre noire hostiles à nos jeux.
Le sable, il avait fui par la pente, il avait fondu dans la nuit, malin, il avait trouvé le moyen de rejoindre la mer, et nous avait laissés sur le bord du chemin. On aurait voulu qu'il nous emporte, on aurait voulu faire plage avec lui, mais non. Nous nous vengions alors sur les pommes pourries, tombées de l'arbre pendant la pluie, dont, d'un coup de talon rageur, nous faisions des compotes à cru. Des compotes à cru de transparentes de Croncels, précoces, fragiles, ennuyeuses, juteuses du jus de notre ennui.

mardi 26 août 2014

Jokari

La balle du jokari nous revenait toujours, on cognait dessus comme des sourds et l'on sentait vibrer le bois de la raquette, on entendait le coup comme un pétard de fête, jusqu'à ce qu'épuisé l'élastique pète à son tour, rompant cet éternel retour le temps de renouer les bouts, de relancer la balle de caoutchouc et de cogner à nouveau comme des sourds.

mercredi 20 août 2014

Retour de bal

Ce furent des années légères: les corps ne pesaient pas de ces plis affaissés sous le poids de la graisse, on entrait dans la danse sans même y penser, nous dansions le cœur léger, semions sur le plancher des gouttes de sueur et de curaçao bleu. On ne savait pas, le monde durerait, la terre sous nos pieds toujours douce à nos pas, on ne savait pas. Les amis d'alors sont dans les ossuaires, la terre est venue à manquer.
Nous n'aurions pas cru, la fête finie, devoir régler le bal, reconduire les filles défaites, déchaussées à l'arrière de la vieille bmw, jeter écœurés la bouteille de curaçao. Tout alors revenait lourd, de ce poids-là que que nous avions voulu ignorer.

samedi 2 août 2014

Derniers des derniers

Quand il sera bien clair qu'avec nous meurt le monde, que les enfants semés ne nous prolongeront pas, que les bouches ouvertes ne seront pas nourries, que manqueront et l'eau et l'air, et les herbes et les bêtes, il ne restera aux maîtres pansus comptables du désastre que la mélancolie des masturbateurs après la sueur des petites morts. Dans le sursis que leur fortune aura payé, qu'ils s'ennuient, seuls, dans le gâchis du monde, qu'ils piétinent les tombes qu'ils auront fait creuser, qu'ils pleurent les enfants qu'ils auront dévorés. Qu'à leur tour ils crèvent dans l'abjection de leurs maisons sécurisées, sans pleureuses ni linceuls, seuls, derniers des derniers.