Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 8 octobre 2023

Méconnaissable

 Le jadis s'insinue, l'ai-je été, ce jeune homme aux angles aigus, qui battait la campagne au printemps froid des saints de glace, je me souviens mais m'y perds, que reconnaître du révolu, je me souviens de la salle des pas perdus, du tabac froid, de Saint-Lazare, des regards croisés, des briquets battus, des trains pris trop tard. On se souvient, un peu honteux, des faux-fuyants, des faux amis, comment on fit défaut dès lors qu'il s'agissait d'aimer, on se souvient du temps perdu à s'efforcer d'être léger, on le fut, pauvre blague. Reste si peu (de jours, d'abeilles, de neige, de pluies à l'horizon), on s'est arrondi, on s'endort vite, on ne court plus, on regarde les grives, on perd son temps, on aime encore dans ce monde de sang, cela m'est doux, c'est pas trop tôt, c'est un peu tard, non, c'est ainsi.

samedi 7 octobre 2023

S'arranger du désordre

 Les arbres naissent de l'ombre et l'ombre des arbres. C'est la ronde des futaies sombres, des mousses vert bouteille et de l'eau noire des mares où hésitent à tomber les feuilles qui tardent à jaunir, c'est la ronde des taillis obscurs que rompt le soleil attardé qui perce la canopée, dessèche les moiteurs fécondes, invente d'autres corruptions, génère des théories de larves au mois où les premiers gels devraient poindre, mais non. Les cèpes sont nombreux mais pourris de vers, les pommiers déboussolés fleurissent tandis qu'on prépare un folklore de sorcières et de potirons sous un ciel d'été. Les arbres meurent de chaleur, nous suffoquons un peu, nous cherchons l'ombre née des arbres qui meurent, nous voudrions dormir en paix mais nous allumons inconséquents le grand incendie spectacle ultime de notre effarant théâtre.

mercredi 4 octobre 2023

Feu le jadis

 Il fut un temps, je l'ai connu, où les garçons naissaient de l'ombre des arbres dans la nuit des forêts, et c'étaient eux qui brûlaient, pas les branches, incendiant les passants de l'amadou de leur peau blanche. Aujourd'hui où les arbres brûlent et brûlent mille fois, cendrant Brésil, Grèce, Canada, sont-ils cendres eux-mêmes, les garçons dont le sillage sentait le tabac froid, les faunes masqués d'after-shave? Ce qui a brûlé, ce qui brûle, n'est-ce pas aussi le désordre railleur de Puck, l'enfance de Poucet? Où se perdre sinon, quel fourré, quel taillis pour faire gîte en lagomorphe, oreilles dressées?

Ce jadis de la cachette d'où jaillissaient urgent le désir d'aimer comme celui de mordre, ou plus caravagesque et plus trivialement le briquet battu et la braise d'une cigarette, a brûlé dès avant les arbres, faisant des forêts incendiées nos sœurs, réduisant en fumée le cœur de nos amants.

dimanche 1 octobre 2023

Eté d'octobre

 La petite chatte ne fait pas de quartier, tue le rouge-gorge dans l'été d'octobre, joue avec le petit corps pas encore raidi, puis l'abandonne -les oiseaux elle n'aime pas les manger. Ca piaille autour de la mare, même si manque le rouge-gorge, restent les merles, les grives, des pépiements plus indistincts, elle fait semblant de rien la chatte, on la croirait indifférente, mais elle est tout ouïe, il y a des oiseaux qui chantent encore, on peut bondir à l'improviste et jouer de l'imprudent jusqu'au silence, à l'immobilité un peu sanglante, à la gorge rouge du rouge-gorge. Dans l'été d'octobre, cependant, elle peut décider qu'un papillon c'est aussi amusant, et si l'automne advient -c'est la fin du monde, on n'est sûr de rien- une feuille voletante fera tout aussi bien l'affaire, elle est légère la petite chatte, elle s'amuse d'un rien, ça tombe bien, c'est vers le rien qu'on tend.

vendredi 15 septembre 2023

Boucler

 Si, de l'été qui s'éternise ne restait plus que cendres d'arbres et torrents de boue, ciels rouges de sables sahariens, mers surchauffées et marées de méduses, il y aurait quand même, dans les villas aux bords des plages ravinées, des vieillards qui rangent, qui ferment sur l'été-même la porte des vacances, même si c'est la fin du monde ils passent au minium les ferrures des balcons, huilent les serrures et les gonds, fixent les barres de sécurité en travers des volets, arment l'alarme électronique. Le bateau est en cale sèche, paré pour l'hivernage et la voiture blindée de bagages attend le conducteur qui refait le tour de la maison, avoir tout bien fermé, rien oublié, tout est paré, on rentre, on reviendra à Pâques -ou à la Trinité, on reviendra en juin rouvrir ce qu'on a fermé, fin du monde ou pas on reviendra.

jeudi 6 juillet 2023

L'ombre des cerisiers

 C'est tout un motif la cerise, il en est des pâles et des sombres, des fermes et des fondantes, de petites aigres et de suaves rondes, précoces ou tardives, qui font la joie des merles qui s'enivrent et le bonheur des couples de pigeons sur le fronton des armoires normandes. Le printemps c'est estampe japonaise il neige des pétales, ça presque plus important que le fruit même -la merise amère nait d'une fleur candide. Il a fallu l'an passé abattre un cerisier malade, les arbres abattus m'attristent, ce beau bois rouge et miel couché sur l'herbe, nous en planterons un autre, il faut planter des arbres, il faut créer de l'ombre pour retenir l'eau, il faut des cerisaies pour ne rien regretter, des vergers pour retrouver notre innocence, des jardins forêts où se perdre, mordre aux fruits qui s'offrent, s'aimer et partager avec les oiseaux qui sont sans rancune.

mercredi 28 juin 2023

Poudrière

 Le ciel cendré nous rafraichit, ce sont les forêts canadiennes qui pleuvent, pulvérisées par le vent d'ouest; nous rafraîchit ce qui a brûlé, on n'étouffe pas ici, à Montréal si, c'est le ciel orangé, ici c'est juste gris souris; ce qui  chauffe ici c'est l'eau, la mer en canicule à faire crever les poissons par millions, à faire migrer les langoustines en Islande, on se baigne en juin avec une chaleur d'août et certains s'en réjouissent, les plages normandes se remplissent des insolés de la Côte d'Azur: elle est grotesque l'apocalypse, nous est ôté jusqu'au chagrin de disparaître, nous sommes machines à fabriquer le rien et nous brûlerons pour régler la Dette et sauver la croissance -sans rien régler, sans sauver rien.

vendredi 9 juin 2023

Juin jaune et noir

 Dans l'eau de la mare, des iris jaunes et la mélancolie des reflets d'une âme enfouie, l'odeur de vase qui s'épanouit, l'eau baisse déjà, l'été n'a pas encore commencé que l'eau baisse déjà, que va-t-on découvrir? -d'autres silex gris, le corps de Virginia. Je ne me penche pas, je ne veux rien voir, le bonbinement bleu d'une libellule frénétique suffit à faire tableau, la mare un tout petit trou d'eau qui disparaît qui s'évapore, Dieu, faites qu'il pleuve encore, en Espagne on processionne, chacun fait comme il peut, je veille mon chat noir fiévreux -il aura bu l'eau de la mare. Le saule pleureur est abattu, Il était vieux, perclus de gui, Tanguy a planté un tilleul, plus sobre en eau, il faut bien choisir les plantes si l'on veut que la mare dure, même si le désert gagne, qu'il faut craindre les incendies, la fin de la verte Normandie, de ses mares d'eau noire dont les grenouilles sont parties.

samedi 20 mai 2023

Vert bocage

 Nous ne savons plus prendre la pluie comme elle vient, nous n'en avons plus les moyens, nous élucubrons piètres indiens des danses et des processions, nous augurons du pire qui excédera nos rêves de cassandres, il pleut pourtant, l'herbe est verte, elle ressemble à s'y méprendre aux prairies grasses de l'enfance, à la Normandie du beurre et de la crème, or nous savons qu'il n'en est rien, la pluie aussi nous est comptée jusqu'au cœur du bocage, l'eau, comme l'air, viendra à nous manquer, inimaginable et certain, contre-intuitif disent les gourmés, il y en a toujours qui veulent faire les malins, tandis que les malins -j'entends les salauds- remplissent piscines et bassines, se foutent du désert qui gagne, des forêts qui brûlent comme jamais: l'Alberta c'est loin, le manque ce sera pour les autres, la mort pour les pauvres, nul doute qu'ils se gobergent jusqu'à plus soif et laissent le commun crever. Mais pour l'heure l'herbe est verte, les mares ont remonté, il a bien plu pourquoi s'en faire? Attendons l'été.

lundi 8 mai 2023

La belle vie

 Il n'y avait  personne pour nous disputer le songe de Constantin, voir le soldat qui le veille nous interroger du regard, à l'ombre des gardes obscurs que nimbe la lumière de l'ange, à 9 heures du matin personne à Saint François, à peine si la gardienne regarda nos billets, nous avions réservé par crainte de la foule, mais personne dans la chapelle Bacci, la vraie croix pour nous seuls, et l'émerveillement revenu vingt ans après la première visite. Ma mère fraîchement opérée de la cataracte y avait vu ce qu'elle rêvait de voir, d'un œil neuf, dessillé, l'annonciation limpide, la bataille hiératique, Arezzo dans les lointains, une Jérusalem toscane, le songe  de Constantin dont le soldat mélancolique nous touche comme un frère inquiet.

Ce furent ensuite un croissant à la pistache dans la vieille pâtisserie aux boiseries désuètes, la grand place où étaient installés des bambins de cinq ans à qui l'on racontait l'histoire de la ville, au centre exact de la place dont la géométrie réjouissante jouait avec le soleil montant, la cathédrale, Saint Dominique dont un fidèle prévenant nous éclaira le crucifix de Cimabue, ce fut enfin la maison de Vasari, ce refuge au jardin tranquille et les muses peintes au plafond qui me rappelèrent telle sacristie de sa façon, presque incongrue à Naples, à Sainte Anne des Lombards.