Dans la chaleur d'hier, avant de rentrer à Aucourt, je me suis offert un détour qui évitait le boulevard de la gare et ses travaux, je suis monté aux monts, je voulais voir la vue. C'est ainsi à Bernay, à pied ou en voiture on monte aux monts voir la vue -et c'est là qu'Antonio attendait sa petite amie jadis, en fumant dans la nuit. On monte aux monts, on voit la vue et ça va mieux, la petite ville blottie autour de son église que masque un peu l'étrange maison blanche de style paquebot, la place de la Poste qui rappelle l'éventrement que les bombes ont causé -bombes anglaises, ce me semble, il faudrait vérifier. Si on tourne le dos à la vue, ce qui serait dommage, c'est le cimetière qui se profile, un vieux cimetière où les tombes s'amoncellent; le calme est assuré, mais je préfère voir la vue.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
samedi 25 juin 2022
mardi 14 juin 2022
Joies de juin
Se réveiller la bague au doigt, quatre mains, deux anneaux, le lit froissé d'un matin déjà chaud, se demander ce qu'il convient de faire pour l'olivier qui nous est offert, le rentrer l'hiver? Nous n'y sommes pas. Marie-Noëlle est passée comme un papillon, nous a conseillé de planter un tilleul à la place du saule-pleureur mort, elle nous enverra un gitan qui est élagueur, le tilleul a moins besoin d'eau, la mare s'en portera mieux, on s'imagine déjà à l'ombre de l'arbre, il nous faut de l'ombre et prendre soin de l'eau, telle est la pente de ce monde. Main dans la main, anneau contre anneau nous arpentons, comptons les promesses de poires les fleurs de potiron, il faut remettre un grelot à la chatte qui tue trop d'oiseaux, la grive chante nonobstant, le paon fugueur braille "léon!" comme il se doit. Main dans la main nous arpentons, les pruniers sont cloqués mais les fruits sont là, les groseilles rougissent mais ne sont pas sucrées, les lapins ne rongent plus les pousses des framboisiers -on en aura dès cette année, comme les coings sur le jeune cognassier. La chatte trempée de rosée se frotte à nous, grimpe au lilas dont elle gratte la mousse, le gros chat paresseux est allongé sur l'estragon qui n'y survivra pas, la rhubarbe se plait ici, tout pousse au jardin, elle nous l'avait dit, l'ancienne propriétaire, nous poursuivons main dans la main.
jeudi 2 juin 2022
Ca va encore
Sous la lumière crue d'un matin doux de juin, se demander à haute voix s'il nous sera donné de vieillir sans trop déchoir, lapins de bondir au fond du jardin, mésanges de pondre dans les nichoirs. Ce qui s'épuise en nous c'est la vie même certes, et l'âge rouille nos genoux, étoupe nos yeux rouges en dépit des lunettes, mais nous réveillant enlacés on voudrait tant que se répète le miracle de nos souffles synchrones, de la vie douce et des cerises à l'arbre -celles que les merles nous ont laissées. Sous la lumière du matin comprendre que les matins nous sont comptés depuis que nous voyons le jour, que les nuages nous sont comptés sous la lumière indifférente. Qui pourrait croire pourtant à écouter le chant des grives, le roucoulement des tourterelles, qu'un jour on cherchera le dernier pigeon -d'un gris d'ardoise dit la chanson- et que les yeux en l'air on écrasera la dernière jonquille, distraitement, et nous n'aurons pas eu d'enfants.
dimanche 1 mai 2022
Louis Gaspard
Revient, du fond de la bibliothèque, un fameux petit livre et ses versets tordus, ses phrases cassées au cœur même de leur moelle, branches d'un arbre à pendus percluses de la raideur du gel, nues, absurdement, de tout cadavre. Qui l'écrivit mourut dès longtemps, et sa misère est plus célèbre que lui qui ne vit pas son livre imprimé, que nul ne reconnut, qui n'eut, nu, ni femme ni amante, mais qui fut dépouillé par une sœur crochue, une mère récriminante, et son corps creusé de phtisique enterré dans la fosse non commune, grâce à la pitié d'un sculpteur.
samedi 23 avril 2022
Vieux printemps
La chatte grimpe aux arbres, préfère les mouches aux oiseaux, s'agite, court, s'endort tout de go sous les nuages blancs qui défilent au dessus des arbres en fleurs dont les pétales neigent au moindre coup de vent. A sourire au printemps retrouvé, ces verts acides qu'aime le vieil Hockney, on jurerait que rien n'a changé, les iris des faitages, les boutons des œillets, les bourgeons tendres de la charmille, on s'y jurerait mais il faut en désespérer, c'est le trompe l'œil auquel nous consentons, faute de vouloir voir plus loin que le but de la saison, croire que tout va recommencer alors qu'un à un nous brisons les cycles et les bouteilles vides à la fin du festin.
vendredi 22 avril 2022
Las le temps non
mardi 19 avril 2022
Ce que Rome on nomme
Je suis retourné à Rome après avoir différé, une semaine sainte à Rome ce sont des arbres de Judée, des cascades de bougainvillées sur des murs ocres, sur des murs rouges où s'étranglent des glycines, devant des palais restaurés où des bustes s'empoussièrent entre des Fiat mal garées, ça n'a pas trop changé Rome, tu reconnaîtrais sans difficulté. Sur le Corso tu avais acheté des bottes il y a plus de trente cinq ans, nous avions visité la Sixtine à moitié restaurée, perturbés par la palette acide qui nous était révélée, la chapelle pratiquement vide, c'est ça surtout qui a changé. Vingt ans après nous avions erré en décembre dans le Trastevere où tout était fermé, nous étions rentrés trempés à l'hôtel où un touriste russe chaque matin vidait le buffet du petit déjeuner pour remplir les poches de son manteau de laine, comme ça que ça me revient, par deux fois la Galleria Borghese et la traversée des jardins, le palais Barberini en travaux, de nuit, les trois Caravage de Saint Louis des Français, le tour commun, obligé, pas un jour sans penser à toi, ça qui n'a pas changé. Tanguy voulait voir le Colisée, c'est là que se trouve le chantier de l'extension du métro, cela va prendre des années, à Rome les travaux durent une éternité, comme si on avait l'éternité pour soi, n'était la preuve amère des fresques effacées dans le film de Fellini. Nous avons marché dans le Forum et bien-sûr c'était surpeuplé, mais au jardin Farnese fleurissaient les premières roses, il suffisait d'aimer. Au Vatican, on ne pouvait plus réserver que des visites guidées, cela ne m'enchantait pas, mais Roberta fut un bon guide qui nous mena de sarcophages en urnes pour finir par nous raconter qu'au début de la pandémie, en Italie on mélangea les cendres des morts et que chez elle, dans le vase funéraire se trouvaient des cendres qui n'étaient pas celles de son père, et j'ai pensé à toi, à ta tombe où je ne suis pas retourné depuis des années.
dimanche 3 avril 2022
Fleurs sous la neige
Le ciel s'est rabaissé, après le sable du désert qui l'avait jauni, ce fut une crampe du nord, un retour d'hiver fatal aux jonquilles, aux fleurs des pruniers. Il a neigé lourd, cette neige aqueuse collante a grillé les bourgeons, les boutons, les pétales blancs des merisiers, la mare a de nouveau gelé où percent les feuilles des iris d'eau, fleuriront elles après le gel? La mésange bleue est revenue aux boules de graisse que nous suspendons sous le toit, le froid la rend à la nécessité, le nid elle verra après, quand la chaleur sera revenue, et avec elle les insectes. Les fruits frappés d'incertitude, tant pis, faire sans, ou peu, c'est ce qui attend chacun, après le froid, réchauffement, ce que cela dit, ce qu'on ne veut entendre.
jeudi 24 mars 2022
Plus le temps
Le temps ne nous est plus donné, il faudrait le prendre, lui dire d'arrêter, fleurs de printemps en février, hellébores d'un parme tendre débordées de narcisses aux cœurs corail, magnolia dont les fleurs sont des obus roses: ralentir, ce qu'il faut, suspendre les tirs et la faux, attendre sans se presser les blés pour juillet, les fleurs de lin pour juin on se cabre, on tire sur les freins, les patins font des étincelles qui révèlent par instants stupéfiés les abîmes où nous allons verser, où nous versons entraînant avec nous ce qui palpite, ce qui s'enracine, ce qui fructifie, qui s'essaime, qui copule, qui germine et saillit vers la grande noyade, le grand incendie, vertigineuse dégringolade, c'est l'humaine salauderie.
dimanche 20 mars 2022
D'huile et de blé
Alors printemps, j'aimerais y croire, comme le couple de canards sur la mare les pigeons fidèles qui nidifient dans les bambous, le coq faisan qui crie vers les lointains, pour le cas où il serait entendu. Les fusils se sont tus, j'entends ceux des chasseurs, pour la guerre à l'est on en est aux missiles aux villes détruites, aux malheurs sur tant de visages. C'est un pays de blé et d'huiles dit-on de l'Ukraine dont je ne vois que ruines en hiver sur les écrans, ils commencent à fleurir les champs de colza sur la plaine du Neubourg, je n'aime pas le colza qui jure sur le bleu du ciel, ensucre l'atmosphère d'une odeur écœurante, mais je n'aurais pas cru un jour devoir les associer aux couleurs de l'Ukraine, les regarder fleurir, souhaiter du tournesol sur les champs de bataille, souhaiter aux réfugiés un retour heureux au grenier, un retour d'huile et de blé.