La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

jeudi 6 juillet 2023

L'ombre des cerisiers

 C'est tout un motif la cerise, il en est des pâles et des sombres, des fermes et des fondantes, de petites aigres et de suaves rondes, précoces ou tardives, qui font la joie des merles qui s'enivrent et le bonheur des couples de pigeons sur le fronton des armoires normandes. Le printemps c'est estampe japonaise il neige des pétales, ça presque plus important que le fruit même -la merise amère nait d'une fleur candide. Il a fallu l'an passé abattre un cerisier malade, les arbres abattus m'attristent, ce beau bois rouge et miel couché sur l'herbe, nous en planterons un autre, il faut planter des arbres, il faut créer de l'ombre pour retenir l'eau, il faut des cerisaies pour ne rien regretter, des vergers pour retrouver notre innocence, des jardins forêts où se perdre, mordre aux fruits qui s'offrent, s'aimer et partager avec les oiseaux qui sont sans rancune.

mercredi 28 juin 2023

Poudrière

 Le ciel cendré nous rafraichit, ce sont les forêts canadiennes qui pleuvent, pulvérisées par le vent d'ouest; nous rafraîchit ce qui a brûlé, on n'étouffe pas ici, à Montréal si, c'est le ciel orangé, ici c'est juste gris souris; ce qui  chauffe ici c'est l'eau, la mer en canicule à faire crever les poissons par millions, à faire migrer les langoustines en Islande, on se baigne en juin avec une chaleur d'août et certains s'en réjouissent, les plages normandes se remplissent des insolés de la Côte d'Azur: elle est grotesque l'apocalypse, nous est ôté jusqu'au chagrin de disparaître, nous sommes machines à fabriquer le rien et nous brûlerons pour régler la Dette et sauver la croissance -sans rien régler, sans sauver rien.

vendredi 9 juin 2023

Juin jaune et noir

 Dans l'eau de la mare, des iris jaunes et la mélancolie des reflets d'une âme enfouie, l'odeur de vase qui s'épanouit, l'eau baisse déjà, l'été n'a pas encore commencé que l'eau baisse déjà, que va-t-on découvrir? -d'autres silex gris, le corps de Virginia. Je ne me penche pas, je ne veux rien voir, le bonbinement bleu d'une libellule frénétique suffit à faire tableau, la mare un tout petit trou d'eau qui disparaît qui s'évapore, Dieu, faites qu'il pleuve encore, en Espagne on processionne, chacun fait comme il peut, je veille mon chat noir fiévreux -il aura bu l'eau de la mare. Le saule pleureur est abattu, Il était vieux, perclus de gui, Tanguy a planté un tilleul, plus sobre en eau, il faut bien choisir les plantes si l'on veut que la mare dure, même si le désert gagne, qu'il faut craindre les incendies, la fin de la verte Normandie, de ses mares d'eau noire dont les grenouilles sont parties.

samedi 20 mai 2023

Vert bocage

 Nous ne savons plus prendre la pluie comme elle vient, nous n'en avons plus les moyens, nous élucubrons piètres indiens des danses et des processions, nous augurons du pire qui excédera nos rêves de cassandres, il pleut pourtant, l'herbe est verte, elle ressemble à s'y méprendre aux prairies grasses de l'enfance, à la Normandie du beurre et de la crème, or nous savons qu'il n'en est rien, la pluie aussi nous est comptée jusqu'au cœur du bocage, l'eau, comme l'air, viendra à nous manquer, inimaginable et certain, contre-intuitif disent les gourmés, il y en a toujours qui veulent faire les malins, tandis que les malins -j'entends les salauds- remplissent piscines et bassines, se foutent du désert qui gagne, des forêts qui brûlent comme jamais: l'Alberta c'est loin, le manque ce sera pour les autres, la mort pour les pauvres, nul doute qu'ils se gobergent jusqu'à plus soif et laissent le commun crever. Mais pour l'heure l'herbe est verte, les mares ont remonté, il a bien plu pourquoi s'en faire? Attendons l'été.

lundi 8 mai 2023

La belle vie

 Il n'y avait  personne pour nous disputer le songe de Constantin, voir le soldat qui le veille nous interroger du regard, à l'ombre des gardes obscurs que nimbe la lumière de l'ange, à 9 heures du matin personne à Saint François, à peine si la gardienne regarda nos billets, nous avions réservé par crainte de la foule, mais personne dans la chapelle Bacci, la vraie croix pour nous seuls, et l'émerveillement revenu vingt ans après la première visite. Ma mère fraîchement opérée de la cataracte y avait vu ce qu'elle rêvait de voir, d'un œil neuf, dessillé, l'annonciation limpide, la bataille hiératique, Arezzo dans les lointains, une Jérusalem toscane, le songe  de Constantin dont le soldat mélancolique nous touche comme un frère inquiet.

Ce furent ensuite un croissant à la pistache dans la vieille pâtisserie aux boiseries désuètes, la grand place où étaient installés des bambins de cinq ans à qui l'on racontait l'histoire de la ville, au centre exact de la place dont la géométrie réjouissante jouait avec le soleil montant, la cathédrale, Saint Dominique dont un fidèle prévenant nous éclaira le crucifix de Cimabue, ce fut enfin la maison de Vasari, ce refuge au jardin tranquille et les muses peintes au plafond qui me rappelèrent telle sacristie de sa façon, presque incongrue à Naples, à Sainte Anne des Lombards.

jeudi 20 avril 2023

L'espérance des fruits

Les nuages, il ne faut pas les maudire, eux non plus n'en ont plus pour longtemps, s'évaporeront avec le reste, les nuages,  et la vie, ce mauvais rêve, s'évanouira comme eux, et tout ce que nous avons aimé, n'en restera que quelques fossiles, et nos corps dessiqués, avec quelques mèches de cheveux où l'on pourrait trouver des pesticides, s'il restait quelqu'un pour en chercher.
Alors qu'ils viennent et qu'il pleuve encore, et s'il pleut, sortons les remercier et regardons leurs hordes grises déferler et nos herbes -ici ce sont encore des prés- devenir grasses avant l'été, et nos arbres en fleurs s'éparpiller pour mieux verdir. Alors reprenons, une année encore, l'espérance des fruits, et nettoyons, résolus, la bassine à confitures.

mardi 18 avril 2023

Le goût des petits pois

 Les cerisiers en fleurs, c'est le bonheur du jardin, cette lumière qui ne ressemble à rien, scintillement de pétales qui s'éparpillent en tourbillons, qui ennuagent l'arbre, en masquent le tronc, il en pleut sur l'herbe et la chatte s'en amuse -mais elle préfère le gros bourdon. Acidulé comme les couleurs d'un bonbon, avril nous ment tranquillement, promesses de résurrection, cycle rassurant, il débite son boniment et nous avons envie d'y croire -nous sommes de vieux enfants. Le goût des petits pois, des oignons nouveaux et des premières fraises, les asperges comme un péché mignon, de vieux plaisirs nous reviennent comme de nouvelles joies, pas celles des enfants, non, enfants nous n'aimions pas trop les petits pois, je détestais les oignons, on est con quand on a sept ans, l'est-on moins maintenant? j'en doute, toujours est-il que le printemps.

lundi 17 avril 2023

A quoi s'attendre

 Il faut craindre l'été, tout un travail, un deuil même que ces rêves ensoleillés, les plages de l'enfance aux parasols rayés, à écarter, à ranger dans la boîte à diapositives, -les Kodachrome étaient plus bleues, les Fuji plus vertes il y avait en ce temps là des pellicules pour la mer ou pour la montagne, nos vacances en étaient filtrées, pas le soleil qui nous dardait, nous en pelions dès juillet. Nous espérions l'été tout au long de l'année, il nous était promis, il nous manquait parfois -la Bretagne était alors pluvieuse, surtout aux grandes marées- nous avions envie d'esquimaux glacés, de draps de bains lancés sur le sable grossier, de planche à voile, de parties de pêche avec les cousins, et c'étaient crêperies sous le crachin gris, il fallait sauver les enfants de l'ennui, les jours de temps chagrin.

Les forêts brûlent dès avril, les pluies de mars n'ont rien changé, illusoire la verdure des prés, les brumes du matin, les flaques des chemins creux, les eaux de surface maquillent pour un temps un destin de plateau castillan, nous le savons, l'été nous accablera d'un soleil blanc qui effacera jusqu'aux couleurs de nos souvenirs, et il ne nous reste plus qu'à préparer l'ombre où se terrer pendant que les champs ardents charbonneront sous les rayons insolents.

mercredi 22 mars 2023

Animal triste, 2

 On la connaît la loi de la pulsion, on voit trop bien comment il marche, le petit morpion qui gouverne: il a goûté à la jouissance, en est tout retourné, preuve en est sa face de fesse, il se cramponne il veut bander, peu importe le visage de l'autre, il se fout du consentement, il veut foutre encore. Le visage d'autrui l'indiffère, la parole d'autrui l'ennuie, l'emmerde -ce qu'il dit- sourd qu'il est à la douceur, à la détresse, à la tendresse des fragiles, aveugle qu'il est au soin qu'on doit aux vieillards, aux malades, aux enfants. Insensible à la douleur, celui qui n'a jamais souffert -for l'orgueil- s'en croit à jamais exempté. L'animal triste, c'est lui, son devenir, ce qui le terrifie. Quand sera retombée l'érection, qu'aura disparu son pouvoir, quand plus de fluide dans sa petite baguette, il ne sera plus que le vide d'un désir épuisé, qui s'acharne à se répéter, c'est ainsi qu'il croit se reproduire, c'est ainsi que la baudruche crève et rend l'âme, et son pneuma si précieux, sa chère substance qu'il répand en un spasme, c'était du vent.

mercredi 15 mars 2023

Animal triste, 1

 Maintenant que j'ai comme il se doit tué deux chevaux sous moi, je peux le dire sans honte: moi aussi et plus qu'à mon tour, j'ai été cet animal triste, la bête à cinq pattes d'une apocalypse mesquine, moi aussi je me suis cru lycanthrope à la lune, et j'ai hurlé par la campagne à faire trembler les sangliers, moi aussi ce que je fus je ne l'avais pas vu venir, une voracité fauve, une viande de tendons, de pulsions et de cartilages échauffés, j'étais immangeable et j'avais faim de toutes les peaux mais leur préférais les pelages où blottir mon sommeil inquiet. J'étais maigre comme un chat écorché par un gardien d'immeuble dans la haine ordinaire, j'ai connu l'ennemi très tôt, j'ai vu le loup, fui l'ennui des braves gens, embrassé des voyous qui riaient comme des hyènes. Moi aussi j'ai joui à l'aube et juré que la nuit il fallait l'épuiser comme on presse un fruit clair sur une plaie aux lèvres ouvertes.