Tu avais décidé de ne pas porter plainte, je ne me suis pas demandé ce que j'en pensais, je n'avais rien à en penser, cette décision t'appartenait, je l'ai approuvée parce qu'elle était tienne, réfléchie, qu'elle témoignait d'un choix où je n'avais pas à peser. Ces femmes, ces jeunes gens qui balancent les porcs qui les ont violenté.es, qu'en penserais-tu toi qui n'as pas balancé? Tu as voulu la paix, pas l'oubli, la paix, tu m'as chargé de rappeler cela, tu as voulu qu'il n'existe même pas dans ta plainte, et que pour tes enfants notre père soit à peine un nom, même pas une honte. Ce nom c'est le mien, quand tes enfants l'entendent ils pensent à moi, à Corinne la cousine chère, ils ne connaissent personne d'autre qui le porte, ce nom les indiffère et c'est tant mieux je crois. Il est pourtant vivant le porc, on me l'a décrit rabougri plus très porcin le porc, un peu ombre de lui-même, mais quand bien même il peut bien se réduire à rien, mourir à son tour après t'avoir survécu si injustement, il peut bien nier l'évidence quand on le somme de s'expliquer, je lui refuse et l'oubli et la paix, je lui refuse même ma haine, ne lui assigne que mon mépris, je l'abandonne confit dans le saindoux de son mensonge, de son infâmie, je le placarde ici, notre père ton porc, au pilori.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
mercredi 6 décembre 2017
dimanche 26 novembre 2017
Le nom latin des champignons
A midi, après le marché, le ciel s'est déchiré, cela m'a décidé, je suis repassé à la maison prendre des chaussures de marche, j'ai rejoint Patrick et nous avons promené son chien fou dans la forêt d'après la pluie, son chien roux dans le feu des fougères, son chien fougueux la truffe en l'air, voir son chien joyeux faire un sort à chaque flaque, se rouler dans toutes les ornières, et le long des talus j'ai trouvé des chanterelles cendrées, un petit cèpe, un bolet bai, et c'est à toi que j'ai pensé, penché sur ces champignons tardifs. Les chanterelles cendrées c'était tout ce qu'il restait forêt de Marly, quand en novembre il avait gelé on en trouvait encore sous les feuilles des châtaigniers, on se piquait les doigts sur des restes de bogues, souvent elles étaient grosses, détrempées, les chanterelles cendrées, Cantharellus tubiformis, craterellus cyreneus, tu rirais que me reviennent les noms latins des champignons qu'à dix ans, érudit comme le sont les petits garçons sur les dieux grecs, les poissons d'eau douce, les bivalves, les papillons, les batailles de Napoléon, j'avais appris par centaines, qu'encore parfois me reviennent les noms, les noms latins des champignons que nous aimions.
mardi 21 novembre 2017
Tôt ou tard
Tu n'aimais pas ces mois où la lumière renonce, les jours brefs, de rouille, de brume et de lampadaires falots, moi peut-être plus enclin aux lichens, aux mousses, aux fougères roussies, aux brouillards accrochés jusqu'aux ponts de la Risle, ces ombres elles protègent, le monde est si violent qu'il faut prévoir des refuges, des échappements. Je pourrais chanter comme on pleure, mais je tends vers l'hiver, j'entends par là que je me terre et que je guette les signaux infimes de ton spectre, il y a de toi partout, il suffit d'être disponible, il suffit de laisser la place et luit encore un peu -mais pour combien de temps?- le yo-yo de l'enfance dont je suis reliquaire. Ils ne m'effraient plus guère ces jours de fin du monde, c'est trop tôt tu dirais de la nuit, de la maladie, du matin tragique où s'épuise l'espèce à consumer son bien. C'est trop tard depuis toujours trop tard, nul n'a sauvé personne, il n'est que de se cacher et d'attendre, le jour dernier, le goût de cendres, le couteau du boucher.
lundi 13 novembre 2017
Pluie de novembre
Il a plu tous les jours derniers, plus que de raison, à faire déborder les fossés, il a plu jusque dans mon grenier, par infiltration, le long de la cheminée, jusqu'à la pièce débarras, il a plu comme l'an passé le soir de la mort de maman, il semblerait qu'il pleuve de la même façon, me voilà trempé. Il est gravé le nom de maman sur la tombe, ça a pris presque un an, redoré le nom des grands parents, il peut bien repleuvoir sur l'or de leur nom, ça prendra bien trente ans pour que l'or se ternisse, ça fait bien des averses sur la pierre bleue de Vire et bien des rhumatismes pour mes mains douloureuses, avoir mal c'est vivre encore, admettons. Tu aurais aimé vivre assez vieille pour souffrir de rhumatismes, tu aurais enduré la pluie avec bravoure, ça ne t'aurait pas terni l'humeur, mais il pleut sur la pierre gravée et c'est sans toi qu'il pleut.
samedi 11 novembre 2017
D'où l'on vient
Se rappeler d'où l'on vient, ce qu'on a quitté, nos racines ils diraient, et je pense à Mathilde dans la pièce de Koltès, "Mes racines? Quelles racines? je ne suis pas une salade!", comme elle a raison l'emmerdeuse, l'empêcheuse de tourner en rond, tu devais aller voir cette pièce à sa création, mais la représentation fut annulée, je ne me souviens plus bien pourquoi, il y avait une raison forcément, tu ne l'avais donc pas vue, c'est dommage, il y a du réjouissant dedans, de la tribu catholique malmenée, des filles perdues, des notables à tondre, un parachutiste noir qui descend des cintres pour fonder une nouvelle lignée, on aurait tellement aimé cela, que la tribu soit malmenée à proportion du mal qu'elle avait fait, qu'elle s'ouvre enfin, mais non pas moyen, elle s'enkyste, se réduit, se reproduit, et le parachutiste n'est pas né qui viendrait féconder son ventre mort et blanc. Ca donne des parents pourris, des cousines meurtries, des Atrides aux petits pieds, des gens qui vont manifester contre le mariage des pédés pour oublier l'inceste, le poison des familles, l'ADN des haines et des désirs tordus. Se rappeler d'où l'on vient, le chemin parcouru, l'arrogance des masques de vertu, ce qu'on a quitté, ce qui nous tue.
mardi 31 octobre 2017
Monter au grenier
C'est bien tranquille ici, la lumière du matin ruisselle sur la buée des carreaux, tu l'aimais bien je crois, ma vieille maison, tu n'y venais pas souvent, trop petite au bout d'un moment pour toi, ton mari, tes enfants, bien assez grande cependant pour mes besoins même si, au bout de vingt ans, elle déborde de livres, de disques, de gravures. Il faudrait que je jette, il faudrait faire place, les vieux vêtements, les draps usés, faire des chiffons, donner au secours populaire ce qui peut encore se porter, il faudrait ranger, on croit ranger, on se perd, je n'ose monter au grenier. Les greniers, c'était avec toi, c'était à Honfleur, on pouvait s'y perdre, il y en avait plusieurs, avec les restes d'un théâtre de marionnettes, de la poussière de charbon qui nous trahissait quand nous redescendions, les claies où l'on gardait les pommes l'hiver. La cave nous était interdite, pas les greniers, mais il y en avait de cachés, maman nous l'avait dit, avait parlé d'Yvon coincé dans un vasistas lors d'une exploration, c'était tout un monde où nous n'étions qu'en vacances, et notre enfance survolait l'enfance de maman, nous n'en cherchions pas les secrets, il nous suffisait qu'ils existent, les greniers cachés, on les rêvait c'était plus sage, ne pas profaner l'espace des contes, ne pas réveiller les monstres qui dorment sous les charpentes, je m'y tiens encore aujourd'hui, même si maman n'est plus là pour nous raconter son enfance heureuse, et moi seul à me souvenir.
mardi 24 octobre 2017
Une belle journée
Il fait doux gris crachin ici ciel chagrin mon doux chagrin ma vie ma peau rapetissée, peau de lapin, gris taupe, aujourd'hui pas envie de me remettre au métier, va tisser sous la pluie le fil des gouttes sur la vitre, autant rester au lit, au chaud, au fond. Ta photo celle qu'on avait choisie, placée sur le cercueil -j'avais fait ôter la croix du modèle standard, pour maman je l'ai laissée, bientôt un an pour maman tiens je n'y avais pas pensé- ta photo tu souris de ce sourire fêlé que tu avais dès avant (la maladie, les rayons, les chimiothérapies), tu souris sur fond de ciel gris, dans tes yeux comme un défi, le mépris de la météo, quelque chose de Winnie, le génie pour fabriquer avec des riens, sous la pluie, une belle journée, en dépit de, quoi qu'on en ait.
dimanche 22 octobre 2017
Rue du ruisseau Saint Prix
Et le meilleur, et le pire, ce furent -pourquoi douter de mes souvenirs? Je n'ai pas si mauvaise mémoire, et souvent, nous nous sommes souvenus ensemble, et c'était juste conjointure- le meilleur et le pire ce furent les douze années à la Haie-Bergerie, 8 rue du ruisseau Saint Prix, notre enfance de banlieue ouest, lotissement middle class, pavillons mitoyens à l'anglaise -quand à dix ans je partis à Crawley, Sussex pour un séjour linguistique je m'y sentis comme chez moi- avec des voisins ordinaires et nous ordinaires voisins ou presque. Nous eûmes des vélos achetés à Mammouth -c'était moderne d'y aller, c'était loin, Sartrouville je crois- nous eûmes des amis dans des maisons semblables, des lotissements voisins, nous allions à vélo les voir, tu avais plus d'amies que moi je n'avais de copains, plus sociable, admirablement sage, tu étais une enfant modèle et cela n'avait aucune importance, j'étais assez sage aussi, un peu plus distrait, plus bavard, plus lecteur, des enfants différents, frère et sœur, ça c'était le meilleur, le partage, les rires, les jeux où tu gagnais toujours -tu fis de moi un bon joueur, j'ai si souvent perdu de bon cœur au Monopoly. Le pire, ce n'est pas pour aujourd'hui, il vente à ma fenêtre, le pire j'en ai déjà un peu dit, tu m'avais demandé "et l'ombre et la lumière", aujourd'hui c'est plutôt lumière, le vent d'octobre fait courir les nuages et tomber les feuilles et mon courage: le pire je reprendrai plus tard, je parlerai des diners de semaine à la cuisine étroite, sur la table de formica, de ce que le père disait, comment nous ne parlions pas, mais rien qu'à nommer le père le vent faiblit, il pleut, alors j'arrête là, le pire n'est pas pour aujourd'hui.
dimanche 15 octobre 2017
Que faire d'un été indien?
Je sais ce qu'aujourd'hui nous aurions fait si. Mais ce qui n'est plus n'est pas, le mesurer n'empêche pas qu'aujourd'hui je me complaise à la douceur de l'irréel, du passé, que je rétroprojette, que je lanterne magique. Si tu avais été de ce matin d'octobre -si tu avais été- c'est un matin enchanté que celui-ci, tu aurais pris le temps de te réveiller, tu aurais trainé au petit déjeuner, et nous serions partis prendre un café à Conleau, à l'hôtel du Roof ou sur le petit quai, selon le vent, selon l'envie. Aujourd'hui la lumière pleut sur le velux de la chambre d'amis, la radio murmure, parle d'été indien, de remontée tropicale, dit des riens de radio du dimanche, je la coupe avant le foot -tu aurais mis tes lunettes de soleil et bien sûr j'aurais oublié les miennes. Lumière ruisselante des transparences d'octobre sur les premières feuilles jaunies, chant des couleurs des bateaux au mouillage, dont le vent par risées, fait tinter les câbles, tout nous aurait ravi, nous aurions savouré la tiédeur des pierres, nous aurions oublié, pour une heure ou deux, le réchauffement climatique, ta maladie, mais aussi le déjeuner du dimanche, rien de prêt, rien de préparé, et à notre retour constater que Thibaud mangeait tranquille des céréales, tes enfants mangeaient quand il leur plaisait.
samedi 7 octobre 2017
Le secret
Il y avait, pas si bien caché que le yo-yo de Kate Bush dont la chanson te fascinait, Cloudbusting elle s'appelait la chanson du secret, il y avait ton yo-yo enfoui dans le jardin d'hiver, le jardin-de-derrière, on ne cachait rien dans le jardin-de-devant, pas fait pour ça, le jardin-de-devant, c'était pour montrer aux passants la perfection pavillonnaire, pas pour enterrer le yo-yo de l'enfant. Tu gardais un secret, le secret te tenait, c'était le secret du père étouffé dans l'oreiller du soir, le secret qui t'étouffait, ta parole qu'étouffait le père avec une douceur d'édredon, c'est notre secret disait-il, il mentait, toujours il fut un menteur, c'était son secret, son honteux secret qu'il enfouissait en toi ce fossoyeur d'enfance, frottant son sexe sur ton ventre après t'avoir bercée, toute petite fille que tu étais, t'avoir endormie, encore presque un bébé alors, mais son sperme épanché sur ta peau d'enfant sage, sa ravageuse jouissance n'avait cure de ton âge, la pulsion l'emportait sur tout, sa rage à jouir impardonnable et toi seule au secret, emmurée par ses soins. Dans la chanson de Kate Bush le yo-yo luit, qu'elle enterre dans le jardin, qu'elle oublie dit-elle, ça peut-être qui te fascinait, qu'on croie oublier le secret, qu'il revienne, ça peut-être que tu enviais, que le secret devienne matière à chanson.
Inscription à :
Articles (Atom)