Je reviens à ces jours, au coup de téléphone, ton dernier, où tu m'as demandé d'écrire ce qui avait fait notre enfance, l'ombre et la lumière as-tu dit. J'ai répondu que j'avais déjà quelques textes, je te les ai apportés le surlendemain au CHU, ils t'ont plu mais tu ne t'y es pas retrouvée, tu ne me l'as pas dit ainsi, tu as parlé de Honfleur et du Croisic, pour toi l'enfance était bien davantage du côté du soleil et des murs blancs de la presqu'île, et pour moi ce n'était pas si net, aujourd'hui encore je nous revois sur la luge à Mulhouse, dans les greniers de Honfleur -il y avait au plancher un trou d'où l'on voyait la Simca de grand-père- à Provins sur la pelouse où nous dressions des tentes faites de tabourets, de manches à balais et de couvertures militaires, à Villepreux dont tu parlais peu, mais où nous étions repassés un jour où nous allions acheter des étagères Ikea, et rien n'avait changé mais le monde s'était rétréci à voir la place minuscule et ses acacias rue du ruisseau Saint-Prix. Mais pour toi le Croisic l'emportait, terre d'enfance, et les dernières semaines Laurent notre frère de vacances était venu souvent te voir, et il avait su faire renaître ce monde qui m'évoque aujourd'hui les sandales en plastique obligatoires sur les rochers, ses allergies au soleil qui le tachetaient d'orange, les pêches au haveneau, les courses à vélo, les tables à rallonges où venaient s'asseoir une myriade de cousins, d'amis et d'oncles -mère et tantes cuisinaient, ce n'était pas vacances pour tout le monde, et nos appétits d'enfants étaient infinis, et nous avions pour nous le temps éternel des semaines d'été.
Je n'ai plus le temps mais je le prends pour toi, je lance mes filets dans ce passé où je peine à me pencher, ce que j'en ramène c'est peu, j'en fais ce que j'en peux, et je pense aux tableaux de feutrine où le père du père collait à la Sécotine des coquillages avec rigueur, à la façon des vitrines des vieux musées d'histoire naturelle.