Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
lundi 15 avril 2013
Cabotage 2
Hachis de rides sur le sucre des vases où chient des vers impénétrables, un jour se leva de nouveau et moi plus rien à dire. Les tadornes cinglent le ciel et les clochers s'alignent dans une illusion d'équilibre. Si se repérer c'est regarder la côte, rameurs de Kirkegaard, nous jouissons des sillages, tournant le dos à l'avenir pour lequel nous tendons nos muscles que fouettent nos démons.
dimanche 14 avril 2013
Accepter la pluie
Je me suis refermé comme la mer, j’ai joint les deux lèvres de la blessure, j’ai attendu d’avoir moins mal, c’était l’hiver sur le Havre, la tempête balayait la place de l’Hôtel de Ville, je raconte toujours la même histoire d’abandon, frère d’Ariane empêtré dans son fil et qui trébuchant décide qu’à buter sur sa vie il danse. Ce visage en allé sur les rides de flaques il fallait l’aggraver à coups de pieds rageurs. Il faudra des mois pour reprendre mine, retrouver goût à regarder. Il faudra des années, d’autres rides sans reflet pour tendre vers l’autre de toutes ses fibres, et l’ayant atteint, reposer enfin, et regarder les nuages avec lui, accepter la pluie.
Le bain de la princesse d'Egypte
Faire un sac de la peau tombée de ton sein, mère, y jeter des rires d’enfant, la rame cassée de la barque, les roseaux mal liés, les cris et l’écorchure, la main droite inutile, l’épaule qui me fit boiter, nouer en besace cette théorie morte, la jeter dans le fleuve dont les eaux ne disent rien que la pente et rester sur la berge à guetter un panier qui flotte, qu’espère une princesse au ventre creux, au sexe sans espoir.
Gravir les collines
Digues rompues, par la ville noire on voit des corps flotter, des courants indécis qui tourbillonnent, et nos regards à leur tour s’affolent. La mer a-t-elle tout emporté de la plage et du port, des bateaux et des galets, jusqu'aux immeubles de son front ? Rats glabres chassés des conduits modernes, nous remontons essoufflés les collines, gras d'huile de palme hydrogénée. Notre cœur n'y tiendra pas, qui bat contemplant le mascaret remonter l'estuaire, déborder les méandres, noyer la centrale, engloutir les troupeaux. S'effondre le clocher de Notre-dame-de-Bon-Port, s’affalent par pans les vieilles falaises ravinées qui se déchirent à travers bois de valleuses insoupçonnées. Les haubans des ponts sont tombés les premiers : les rives désormais s'ignorent.
Quand l'eau se retirera, si elle se retire, nous descendrons des points de vue et chercherons dans les gravats les corps des êtres aimés, que d'autres rats auront dévorés.
dimanche 10 février 2013
Onzième nocturne à l'ange
Nous sommes silencieux
nous les isolés de l’obscur
à guetter les signes
voir trembler les étoiles
dans l’eau glauque des mares
et l’âme absinthe de la lune
Anxieux nous sommes au rendez-vous de l’ange
qui tarde, cavalier de nos songes verts
et nous dormons lorsqu’il survient
incendiant les buissons sans la moindre lumière
et nous nous réveillons sous une aube de cendres.
samedi 2 février 2013
L'impondérable
De ce poids-là que je comprends, les pierres de vos poches. Le tissu tendu pour tendre vers le bas, que ce qui pèse l'emporte sur le pauvre instinct d'émerger. Vos cheveux dans l'eau, le chignon défait enfin le chignon défait qui vous délivre et et le courant dans vos cheveux pour dessiner d'autres figures, soit.
L'âge venant, le poids des choses et la fatigue je les comprends et marcher dans la vase je sais quel effort le corps consent pour en être quitte. Devenir enfin l'indifférence de la rivière, peser plus qu'il ne faut pour toucher le fond, se fondre, chignon défait, dans des remous qui ne signifient rien.
samedi 26 janvier 2013
La vue basse
Qui ne le sent pas monter, à lui seul il est trois petits singes et l'étoupé. Qui n'entend pas sa mère étouffer sous son masque, qui ne se lève pas pour apaiser l'angoisse et desserrer l'étau ne mérite pas le sommeil. Qui ne voit pas son ombre progresser sous ses pas ne peut marcher sous le soleil. Qui ne la sent pas s'étirer au fil des heures pour se fondre dans la nuit, s'ignore et nous insulte.
jeudi 24 janvier 2013
John est mort
Mick m'écrit que John est mort, je le crois, je m'y attendais. John sidéen depuis vingt ans, a trompé la mort trente fois au moins mais le voilà mort, qui n'est pas mort du SIDA... Crises cardiaques répétées, son cœur à bout, angioplastie, ses artères ravagées par les trithérapies. Vingt ans de molécules incertaines, raisons de sa survie, ont causé sa mort.
Mick m'écrit que tout fut digne. J'espère que la mort fut douce. Je ne sais ce que ça signifie, je comprends même que ça ne veut rien dire, espérer quand tout est accompli. La douceur de la mort, fantasme de vivant. John est mort. Je réponds à Mick trois lignes dans un mauvais anglais, je peine à dire, je suis triste comme un vendredi saint, je suis con comme un vendredi treize. John est mort, mardi dix. Je l'apprends ce matin sous un ciel hébété.
Lenteur des steppes
La moto fumait plus bleu que les gitanes de ma mère, et qui l’aurait volée ne serait pas allé loin. Elle leur restait donc, on la leur rapportait même, les soirs où le père était trop bourré pour rentrer avec, trop bourré même pour se rappeler où il l’avait laissée. Ils traversaient sans regarder le passage à niveau, mais aucun risque, aucun vertige : les trains étaient rares par la plaine, un seul s’arrêtait à la gare, les vieilles elles préféraient prendre le car cacochyme qui fumait plus noir que la moto ne fumait bleu. Elles l’avaient attendu des heures, c’était un temps où tout prenait des heures, ce n’était pas la fin de l’histoire, non, puisque rien, jamais, n’avait commencé, on savait bien qu’au delà de l’horizon, c’était encore la plaine, on avait la sagesse de ne pas aller vérifier. Tout était patience, jusqu’au cours de la rivière, au sourire des filles. Ce n’était pas l’ennui non plus : le désir trouvait sa solution. Allongés la nuit sur le bord du chemin ils écoutaient les peupliers bruisser, le long de la rivière ils regardaient l’eau fuir comme l’amour. Mélancolie kirghize.
mardi 15 janvier 2013
Serre-livres
Il fut un temps quelque temps pas longtemps
temps de jeunesse, moment d'enfance où
nous espérions.
Il fut un temps quelque temps pas longtemps
dans l'allégresse de l'ignorance, fous
nous avions confiance.
Qu'avons-nous perdu dans le temps gaspillé
et la lumière éteinte?
Cette photographie déteinte
et nos souvenirs détrempés
Voilà ce qui demeure et qu'il faudrait chérir
pour le temps qu'il nous reste.
Ce temps qui fut, ce temps fut, oh qu'il fut
bon ce temps qui fut, il y a longtemps de cela
et plus une photo qui reste, il a plu sur le carton du temps perdu.
Gestes ensoleillés et maillot de bain rouge
- ce qu'il reste il faut fouiller, les sables des plages différents sous le pied, le gros grain de Port-Lin je m'en souviens dans les sandales, ce qu'il reste il faut l'arracher aux sables (sable plus fin à Valentin, les enfants y font des pâtés).
Ce temps qui fut qui a fui oh qu'il fut bon ce temps
le temps de l'innocence, de la confiance, des confidences.
J'avais une photo mais elle fut inondée lors d'un dégât des eaux pour parler assurances, pleurer le temps perdu.
Peaux de cuivre tannées, brûlées peaux pelantes, tignasses blondies par la mer, dentelles de sel sur le maillot de bain rouge sur la peau rouge et les yeux rouges après la nage, des écorchures sur les rochers, glissades estafilades éclaboussures, ce qu'il reste il faut l'arracher.
Inscription à :
Articles (Atom)