Ce doit être juillet, on les laisse courir la campagne, on connait les chemins qu'ils prennent, les jours sont interminables, leurs courses aussi, il faut qu'ils soient rentrés pour diner, c'est tout, chez l'un ou l'autre n'importe, leurs mères se valent, les repas aussi qu'ils avalent sitôt assis bientôt repartis, en cavale ce qu'on dit, les inséparables, leurs jeans poussiéreux, leurs polos collés de sueur, vous auriez pu vous doucher, où êtes-vous allé trainer, aux douves, au bois des Clayes, à la pépinière mater les filles? Nul ne sait, disparus qu'ils sont, une pêche emportée à la volée de la corbeille à fruits, le jus sucré coule des lèvres qui s'ouvrent pour cracher le noyau décharné. Ce qu'ils disent, rien, on n'en tire rien, ce qui se dit d'eux, des taiseux, on les craint un peu, mais jamais rien de précis, pas voleurs, pas le genre -on connaît leurs mères, elles sont amies et parlent, elles, tous les après midis de la vie qu'elle n'ont pas vécue, elles ont beaucoup lu, trop de romans, elles en parlent des heures entières.
C'est à peine un sentier, il faut passer sous le barbelé, pour entrer dans le parc où vont les bêtes, ce sont les bêtes qui l'ont tracé, blaireaux, renards, sangliers peut-être. Les arbres vieux et rares ploient sous les lianes de lierre, en contrebas, la ruine d'une glacière, c'est là que vont les garçons de l'été dont les polos s'envolent, dont les bouches se collent dans un parfum de pêche.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
Ronde jaune et orange
Arpad Szenès, Ronde jaune et orange, 1955
mardi 9 décembre 2025
Fils de leurs mères
mercredi 3 décembre 2025
Compote
dimanche 30 novembre 2025
Perdre le fil
Il ne s'agirait plus que de suivre la pente, s'efforce-t-elle de croire, le plus dur est fait, tant mieux, le corps fatigue, si je l'écoutais, si je m'écoutais, lâcher prise dit-on, laisser filer j'entends, mais au fil je tiens trop, ce qui se trame je le connais, vous voudriez détricoter, mettre les gens à nu, couvrir d'opprobre les malheureux, garder toute la laine pour vous, ça pas question, il reste d'autres collines et je me cramponne au fil que je rembobine, et je tisse des prairies, des troupeaux d'Arcadie, des bergères qui filent -les parques, elles, ont rompu le fil- le parfait amour, mais aussi des tapis berbères avec des femmes au front tatoué qui chantent ces airs à réponses où le travail se fait cadence, la main qui danse le dessin de la laine rouge, il suffit de suivre le rythme, la chanson, celle qu'on connaît tous dit la joie des pauvres la douleur des mains, les maris partis loin qui ont suivi la pente, dont on ne sait plus rien. Reste à recoudre ce qui peut l'être, tissages perclus de cicatrices, raccommoder, mains tordues dans le deuil, voile de mariée, linceul, robe de baptême, jusqu'à n'en pouvoir mais.
dimanche 23 novembre 2025
Course à l'hiver
La lumière perdue, la flamme éteinte, pas dans la nuit que nul n'éclaire, le court-circuit du vieux lampadaire, ici l'ombre de l'ombre de la pluie, le jour le gris d'un gris que seule la neige, hier, a éclairci avant à son tour de se fondre dans l'ombre de la nuit reconduite. Le paysage, c'est l'âme de temps qu'on n'a pas choisis, griffes d'arbres nus, feuilles noircies chues dans la mare, le rose indécent de la dernière rose dite Pierre de Ronsard, saisie par le gel, guimauve oubliée à la fête foraine. Il n'en restera rien demain, ce lendemain plus court qu'hier, cette course à l'hiver, litanies de jours sans fleurs. On prétend que c'est nécessaire, le froid tue les vers dans les fruits pourris, protège les arbres des parasites qui les guettent, admettons. Le général hiver, la trêve hivernale, la magie de Noël, la trêve des confiseurs, les vœux pour l'an neuf sous le gui, tout cet accablant attirail de paralysie consentie et d'affections confites, tout cela pour qu'à la débâcle, à la reverdie, aux premières jonquilles, au moindre prétexte, coup de chasse-mouche, assassinat d'archiduc, on rompe les trêves, on brise les barrages et les vieilles alliances, pour céder au spasme que chacun pressent, dont nul ne reviendra.
jeudi 13 novembre 2025
Sommeil des justes
On attend. Ca vient. Comment? On ne sait pas très bien, si ça monte, si on descend, si c'est rage ou peur, langueur ou tempête, ça sent le malheur, n'importe comment, on voit des enfants maigres, des morts, toutes les mères là-bas sont piétas pures d'une douleur d'outre-cri. On est de marbre la tête dans les épaules, et si on prie c'est pour éloigner l'épreuve, maintenir au loin la menace, marchander avec des dieux minables le pacte honteux du malheur des autres, et pourtant on s'endort, presque contents, tant la souffrance indiffère pour peu qu'elle sache se tenir hors les murs.
On dort mal cependant, mais qui croirait que l'insomnie tourmente une conscience taraudée serait dans le faux; le mauvais sommeil est celui de l'angoisse: Et si la porte n'était pas bien fermée, et si, d'un vasistas oublié, laissé baillant un soir d'été, on entendait les appels à l'aide, les grâce, les pitié, si ça se rapprochait la guerre, si l'on sentait sur sa nuque l'haleine des pauvres, des affamés? Si ça demandait justice, au lieu de mourir au loin? C'est en sueur qu'on se réveille, le malheur vaut pour les victimes qui en sont responsables, la mort pour les malchanceux qui l'ont bien cherché. Qu'elle se tienne à distance la Palestine, ces piétas sont insupportables, c'est l'heure du petit déjeuner.
lundi 3 novembre 2025
Théorie des nuages, 2
Les nuages filent sur le plateau, s'assoient dans le vallon, ouvrent des brèches bleues, les étoupent d'étoffes sales comme des rêves d'automne, aujourd'hui c'est un voile de mariée oublié dans une armoire d'aïeule, gris d'une noce ancienne, au travers duquel tel une étamine verse une lumière couleur de labneh, tout à l'heure il en sera tout autrement, peut-être le bleu marial d'une vierge sulpicienne, nul ne sait, il faut renoncer à l'immobile, accepter les métamorphoses, lire des présages qu'on ne comprend pas. Puis de la vase d'orage sur le vert presque incandescent des semis d'hiver, quelques fleurs de moutarde, la surprise d'un coquelicot tardif, et les stries théâtrales des averses hachurant les lointains. On peindrait des ciels irreprésentables, qui courent à leur perte, gros de déluges cévenols, épais comme des crachins normands, les nuages c'est du temps qui passe, la promesse de l'eau, le désespoir d'un vieil enfant qui rêve d'Orgonon, du père qui voulait faire crever les nuages, fut arrêté, n'en revint pas.
vendredi 24 octobre 2025
Apprivoiser l'automne
Le soleil point entre les arbres dont il reste des feuilles aux branches, la tempête au nom d'enfant ne les a pas toutes arrachées, se dessinent pourtant entre les troncs en contrejour comme les doigts d'un hiver approchant, c'est dimanche le changement d'heure, la nuit à cinq heures, la mélancolie du thé les lampes allumées, le règne des soupes au potiron, des purées de patates douces, en a-t-on envie, vraiment? On essaiera le gratin de courges, on chargera le poêle pour l'amour de son ronflement, on farcira des patidoux avec des trompettes de la mort, on pochera des poires à la verveine, on s'assurera de la chaleur et des parfums, de la saveur faute de lumière, on compensera d'un verre de vin le frisson triste du soir précoce, des amis viendront tuer la mélancolie, la mauvaise bête des vieux jours.
lundi 20 octobre 2025
Volets ouverts
Tantôt le vent se lève, il faudra rentrer les bêtes, poser pierres et parpaings sur la bâche du bois sec, fermer le portail, s'assurer des volets, espérer qu'aucun arbre ne tombe, craindre la grêle, l'ordinaire des temps déréglés. Nous n'en verrons pas la fin me dit un vieil homme, je crains que si, répond le vieil homme que je suis, ce n'est pas là bonne nouvelle, c'est vrai les arbres sont malades et les oiseaux plus rares, comment se pourrait-il que nous allions bien? Des pantins font semblant d'ordonner le chaos, des clowns couronnés se prennent pour le pape, les pauvres meurent de faim, les migrants disparaissent et les tyrans sont populaires, comment pourrions-nous aller bien? Tantôt c'est la tempête, il faudra rappeler les chats qui n'aiment pas le vent, rentrer du bois auparavant pour le poêle, espérer qu'aucun arbre ne tombe, guetter les éclairs, laisser portail et volets ouverts comme des bras, tant pis s'ils claquent, qu'il y ait de la lumière ici, que l'étranger soit accueilli, c'est ainsi que nous irons mieux.
jeudi 16 octobre 2025
Baixar ao río
Il suffira de descendre, tant les chemins ici mènent à la rivière, nous avait-elle dit qui connaissait les lieux, y traçant des cercles de cailloux au milieu des chênes verts, des bosquets sans ombre des eucalyptus. La pente est plus douce à gauche, le chemin plus direct à droite a-t-elle ajouté, le chemin de droite, jamais nous ne l'avons trouvé, le chemin de gauche, il a fallu le refaire entre les murets de granit aux algues véronèse d'où cascadaient des ronces torves qui nous écorchaient les mollets, puis les ruines d'horreos et de de moulins minuscules à quelques pas de la rive. Des cultures d'antan, plus rien que des pierres disjointes vomissant des lichens. Il faisait si chaud cet été là où les forêts des Landes brûlèrent, qu'on resta longtemps dans la rivière où nos corps blancs semblaient l'être exagérément, barbotant comme des enfants jusqu'à ce que rafraîchis, presque frissonnants, nous remontions d'entre les roches, comme des revenants caniculaires.
mercredi 15 octobre 2025
Y croire quand même
A l'écart de la ville se tiendrait la chapelle, il faudrait connaitre le chemin pour voir sa façade surgir au détour d'un lacet, entre des bouquets d'arbres gris de poussière, ce serait peut-être là le lieu choisi, ce que pense l'amante, c'est là que je l'attends qui ne tardera pas, à peine un bruissement dans le feuillage argenté des peupliers en contrebas, le temps de me retourner, sa présence, son absolue présence et l'odeur au loin de son cheval. Sur la façade les emblèmes des évangélistes, et le lion et l'aigle, le veau de Luc, elle élit l'homme ailé de l'incarnation, trompe son attente, s'invente des jeux, compte les oliviers, voudrait entrer dans la chapelle y jouir de l'ombre et l'attendre là mais la porte est close et l'aimé ne vient pas, le soleil désolant l'écrase, miroir brisé de son désir, il n'est plus qu'à descendre à la rivière à qui l'eau manque pour chanter, ramasser des pierres, les lancer dans les derniers flaquets, lapider l'illusion, rentrer à la maison.
samedi 11 octobre 2025
Une manière d'épitaphe
J'ai pris hier, plus tard que d'ordinaire, la route de Rouen, il faisait bien clair dans la vallée du Bec, j'ai ralenti dans le virage où Mathieu mourut naguère. Plus exactement, j'ai pu, pour la première fois lire son prénom au cœur des fleurs artificielles, au pied de la croix -modeste- qui se trouve là depuis quelques mois. On meurt beaucoup sur les routes par ici, et il n'est pas rare de trouver sur le bas-côté, un petit monument, une plaque, un bouquet accroché à une clôture, un signe qui témoigne qu'à cet endroit-là quelqu'un perdit la vie. Rares cependant sont ceux dont on peut lire le nom, mais ce n'est pas pour ça que Mathieu, que je ne connais pas, me requit. Au printemps, c'était en mai je crois, j'étais passé par là et j'avais dû freiner pour laisser traverser un homme et deux enfants qui, à genoux dans le fossé fleurirent le virage, et je n'avais su qu'en penser. Qui étaient-ils, le frère de Mathieu, ses neveux, ses enfants peut-être? Quelle imprudence sans doute, mais surtout, la nécessité, l'urgence de poser une pierre contre l'oubli, faire un nœud au mouchoir du deuil, cela qui m'étreignit alors, cela que le nom lu hier raviva, Mathieu que je ne connais pas.
jeudi 2 octobre 2025
Chélidoine et colchique
Dira qui peut qui veut, il est des feuilles qui apaisent, des baisers qui guérissent, des gestes de passeurs de feu. Brûler n'est pas du jeu, ce qu'il faut c'est apprendre à aimer mieux, froisser la chélidoine en couper la tige, voir sourdre le latex d'un jaune de jonquille, tamponner la verrue, le durillon, c'est un poison attendrissant, j'en cueillais quand j'étais enfant, je m'inventais des cors au pied pour une goutte de soleil visqueux. C'est la saison des colchiques, on dirait du safran sans filament, du safran toxique, quel intérêt franchement? Le poison c'est question de dose, on le dit depuis la nuit des temps, il faut apprendre à aimer mieux, il faudrait vivre en herboriste, je boiterais bas sans le colchique, moi comme tous les podagres, il faut vieillir pour compatir aux maladies des vieux.
lundi 22 septembre 2025
A quoi s'en tenir
Le ciel entre par la fenêtre, encore pâle, affaibli par le feuillage, l'automne se devine, je regarde, avec les espérances de saison: qu'il reste quelques roses, que poussent les champignons avant que la maison ne rétrécisse autour du poêle, finalement la soupe au potiron ce n'est pas si mal, mais attendons un peu, ce matin le ciel bleu entre par la fenêtre, les feuilles frémissent sur les arbres, les premiers gels n'ont pas eu lieu, et vendredi encore, nous avons dîné dehors à Rouen, c'était agréable, c'était inquiétant, le chaos s'amorce, ces temps sont atroces, mais dieu qu'il fait bon.
mercredi 17 septembre 2025
Embrasser l'instant
On a guetté toute sa vie durant, on a guetté trop longtemps peut-être le bon moment. Ce que c'est, si seulement on le savait ce que c'est, on s'en serait saisi, on s'en saisirait, ça mordrait à l'hameçon, il n'y aurait plus qu'à ferrer le poisson d'argent, le poisson d'or et faire un vœu, or non, le bon moment, ça qu'on ignore, on y a rêvé souvent, à quoi ça ressemblerait faire la bonne chose au bon moment manger la poire mûre mais pas blette, guetter le rayon vert en juin sur une falaise de craie, décider qu'il est temps de boire le vieux vin? Le kairos, c'est pour les cuistres, nous ce qu'on veut, c'est embrasser l'instant, lui trouver du goût, du sens, le trouver bon, le moment, bon au point que ça valait la peine d'attendre.
dimanche 14 septembre 2025
Sous le vent
Il y a eu tant de dégâts, les nuages, on les laisse filer, on espère juste qu'ils crèvent un peu plus loin, qu'ils lapident ailleurs ou moins fort, un peu plus loin. Nous avons pu cueillir des quetsches, elles n'étaient pas formées lors de la grêle de juin, mais il ne reste que peu de coings, les poires sont tordues et noircies, les figues tombées par terre avant d'avoir mûri. Le petit ciel de la fenêtre a viré au gris, revient au bleu, c'est qu'il vente, on écoute le vent souffler, on fait des vœux pour qu'il vente ailleurs, qu'il aille plier d'autres haies, qu'il aille arracher d'autres arbres, ailleurs, les nôtres ils ont déjà souffert, feuilles déchiquetées, troncs grêlés à faire sauter l'écorce, alors oui nous craignons le vent, l'eau, les pierres tombées du ciel qui brisent les carreaux, les ardoises, qui hachent blé comme lin, on voudrait croire à l'accident, mais nous savons qu'il n'en est rien.
mardi 9 septembre 2025
Au téléphone (souvenir)
Voici quelques années, mon père venait de mourir, je l'avais appris un peu par hasard, j'en étais surpris, pas affecté, surpris, il était mortel après tout, j'avais fini par en douter, j'ai téléphoné à Maryelle et Jean pour les en informer, c'est lui qui a décroché, et avant que je puisse rien dire, il m'a appris la mort de son frère Roland, je n'ai pu que répondre mon père est mort aussi. S'ensuivit un silence, il a chuchoté à Maryelle Paul est mort, puis a repris nous avons une drôle de conversation, ce qui était exactement observé -mon oncle était un homme aussi bon que précis. Il n'a pas eu le temps d'ajouter je te passe ta tante, qu'impatiente elle avait pris le combiné et d'un souffle: De toute façon pour toi il était mort depuis longtemps, et c'était la vérité même, une parole de fée qui délivre d'un sort.
jeudi 21 août 2025
Synchrones
C'est l'été, disent les imbéciles en se voilant la face, les forêts ont toujours brûlé l'été, c'est la saison des chaleurs, il y du bonheur dans les glaces vendues en bord de mer, il faut profiter de l'eau chaude et du soleil, il faut profiter, c'est leur verbe, tant pis pour les forêts qui repousseront et pour le reste, la clim à fond et dieu pour tous.
Notre jardin souffre, les arbres perdent leurs feuilles, je ferais bien des danses de pluie, n'était la crainte du ridicule et la vanité de l'effort. On arrose modérément, les nappes phréatiques sont en baisse. Je ressemble au jardin, je vieillis, ça craint, mais au train où va le monde, il n'est pas certain que je n'en voie pas la fin, que nous ne soyons pas, pour une fois, synchrones.
vendredi 8 août 2025
Drôle d'été
Un peu de vent dans les feuillages, un ciel gris clair, dix minutes de crachin qui n'étaient pas prévues, la canicule tarde à pointer par ici, qui s'en plaindrait? Elle viendra dans quelques jours, durera moins qu'ailleurs, on ne lui tiendra pas rigueur de son départ, bon vent, bouffée de chaleur, jusqu'à la prochaine fois. Il faut arroser le jardin, l'estragon mexicain jaunit, il faudrait tondre, l'herbe est encore verte, comme un pré fleuri d'ombelles blanches -pourquoi tondre alors? les ombelles se balancent au vent dans un bourdonnement d'insectes qu'on souhaite mellifères, le glaïeul rose pointe sa hampe de survivant de la grêle, les aillets fleurissent au pied des rosiers chargés de boutons vitalité, fragilité, on ne sait trop, on ne choisit pas, on jouit de l'air chargé d'arômes, le persil monte en graine, et je confonds sarriette et serpolet.
lundi 28 juillet 2025
Un mois après
Trois glaïeuls en fleur s'annoncent dans le hachis des feuilles brisées, quatre roses au sommet du grimpant, quatre roses roses, Pierre de Ronsard, quatre roses sont revenues d'après la grêle, Pierre de Ronsard est un têtu, quelques tiges de fuchsia se hasardent à clocheter en carmin parme, les althéas s'épanchent en bleu blanc violet, la sauge ananas a doublé de volume et la ciboulette chinoise fleurit, la menthe chocolat aussi, c'est l'insidieuse chanson de la résilience, l'habituel sparadrap sur les malheurs modernes. Car dire cela c'est choisir de ne pas voir les centaines de branches blessées, les plaies des troncs si nombreuses qu'ils en sont écorcés par endroits, livrés à la vermine et aux champignons divers, cloques, encre du châtaigner, c'est ignorer qu'aucune figue n'est exempte d'impact, que les deux pêches encore accrochées à leur tiges ne grossissent plus, que les poires criblées ont noirci, j'en passe et des plus moisies. Le jardin s'en remettra, on veut le croire, mais pas de miracle (on le savait déjà).
lundi 7 juillet 2025
Ordinaire d'un été moderne
Le ciel désordonné nous fait son numéro d'été, brûle l'herbe, hache les champs, étoile les pare-brise, brise les toits des serres, effeuille le figuier qui ressemble à l'hiver, n'étaient ses fruits pourrissant, tossés par les grêlons, qui pendent aux branches comme couilles de vieillards. Les clématites ne couvrent plus le mur, les glaïeuls ne fleuriront pas, les rosiers grimpants rampent, tiens, le liquidambar a de nouveau perdu la tête. Nous ne goûterons pas le premier bergeron, il reste deux pêches à l'arbre et le marronnier du voisin, en tombant chez nous, a brisé net le nashi, qui git là feuilles et fruits couchés sur l'herbe. Le poirier penche qui épousa le vent, des fuchsias il ne reste rien, le vieux lilas s'est fendu en deux -les vieux manquent de souplesse.
Au téléphone on attend, on déclare, on sinistre, on apprend que les bosses sur la voiture ne seront pas réparées, mais qu'il existe une indemnité pour préjudice esthétique; que le jardin est assuré pour ses aménagements, qu'on peut faire changer les portiques, et le nashi si le cœur nous en dit. On fait revenir le couvreur, les velux posés la semaine passée sont cabossés de la carène, on appelle son frère qui est paysagiste, puisqu'il faut un devis pour remplacer portiques et nashi, on appelle un installateur de véranda -la nôtre a le toit percé, on dépose des photos dans le dossier sinistre, on est moderne on tape 2 parce que non pas de dégât des eaux, on explique ce qu'est un nashi au conseiller, l'eau est revenue mais pas internet, ah si, quant au courant, il va et vient, mais les chats vont bien, on les avait mis à m'abri.