La neige est tombée, pas des tonnes, non, mais assez pour faire revenir l'enfance, les bruits si nets, la qualité du silence, le froid, cette rareté qui nous stupéfie. La neige est tombée comme une surprise, au matin, et ce fut un cliché noir et blanc, Kertész, Kundelka, un photographe en K, un qui sait nous donner froid. Ce soir tout est un peu fondu -en Normandie la neige ne dure pas- un peu sali, du blanc rouillé, de la bouillasse, des brins d'herbe et les perce neige relevant leurs boutons qui veulent mériter leur nom, et c'est Arpad Szenes qui hante mon jardin, un lavis d'espaces ras, j'aurais préféré Maria Helena Vieira da Silva, je me serais perdu dans les bois, elle aurait peint un souriant labyrinthe, et, sans avoir l'air d'y toucher, d'une touche chantante, elle aurait apporté la lumière qui manque à la neige ce soir.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
mercredi 10 janvier 2024
jeudi 28 décembre 2023
Jardin d'hiver
Brouillée, la lumière du jour, mouillée, l'odeur du jardin, l'infusion des feuilles mortes dans la mare -il aurait fallu les ramasser, couper les bambous qui ont repoussé, mais non, cela reste à faire, quelle importance? Brouillées les lignes du jardin, qui ne sera pas bien propre et que m'importe? J'ai enfin coupé les vieilles tiges des glaïeuls, Tanguy a planté le poirier offert à Noël -un william bon chrétien- on verra bien. On l'aime comme il vient le jardin, le jardin c'est du temps qui passe, de la terre remuée, des taupinières de glaise molle, la haie de thuyas qu'il faudrait arracher -il est urgent d'attendre. Le jardin je n'y comprends rien -ça qui m'enchante- mais il me connaît bien, il dit les choses qui m'apaisent, me promet des fruits -ça n'engage à rien- des fleurs pour demain -un jardin c'est toujours demain.
mercredi 27 décembre 2023
Funérailles en boucle
Est venu l'hiver tiède, l'interminable nuit pluvieuse qui poisse et embourbe. Les chemins ne sont plus qu'ornières où pleurer la mort de Ristat, le printemps perdu sans retour, les chemins sont creux qui recueillent nos larmes, on sourit au souvenir du capitaine des pompiers qui pleurait dans son casque, on se prend à rêver au reflet chromé du casque, comme une lumière incongrue, regarde Marceline, même les pompiers pleurent et le débord de leurs larmes fait trébucher le prince qui en meurt à son tour, ça ne nous console pas de la mort de Ristat.
vendredi 22 décembre 2023
Allumer un feu
Le feu je m'en étais passé après un hiver à brûler des stères, tant de bûches consumées dans l'âtre de l'ancien presbytère, cet hiver froid de mes trente ans, ce qu'il fallait brûler de bois pour dix-sept degrés, j'ai eu froid près de la cheminée, j'en ai charrié des paniers de bois, je revenais trempé de la remise, ça m'avait vacciné, le charme des flambées, la tiédeur douillette des chaumières, pas pour moi, pendant trente ans j'ai préféré les radiateurs, la chaudière, supporté l'odeur du fioul livré tous les six mois. Mais voilà qu'un poêle à bois ronfle dans la salle, qu'il fait bon voir danser les flammes derrière la vitre un peu noircie, que la braise lézarde les rondins, jusqu'à la mélancolie des cendres qu'on verse dans le jardin, vites refroidies, sitôt dispersées par le vent et la pluie, ça fait comme un raccourci, une vie brève, une vanité dans le jour qui tombe et dieu sait qu'il tombe ces temps-ci.
mercredi 29 novembre 2023
Si la neige
Il y aura peut-être -ainsi va, pêle-mêle, la théorie des nuages- sur la plaine assombrie, les terres gorgées où pourrissent les semis d'hiver peut-être il y aura -quand auront couru loin le coq faisan et ses deux poules au plumage de feuilles mortes- des nuages tellement plus bas qu'ils raseront l'herbe d'une rosée glaciale et là, une vallée, une colline, un pont sur l'autoroute pour bloquer l'haleine blanche qui versera ses cristaux crissant. Et si l'enfance à jamais perdue s'exaltait à s'en brûler les mains, roulant bonhomme à chapeau cassé, nez de carotte, nous nous contenterons de voir les flocons choir, lourds ou farineux, fondants ou glacés, sur le sol détrempé, disparaitre puis tenir jusqu'à l'horizon désiré, ce silence dont la qualité même inquiète. Le jardin stupide aux formes estompées sera neuf à notre œil et des oiseaux perdus s'accrocheront aux mangeoires, éclats bleus de mésanges, traits vert pinson, angles droits des troglodytes, jusqu'à l'orangé chaud du plastron du rouge-gorge dont on voudrait tant qu'il échappe aux chats. C'est la chance de la neige, les chats ne sortent pas, les nôtres du moins, et les autres on les voit de loin sur fond blanc, ils peuvent jouer les indifférents, les oiseaux perchés ne s'y trompent pas.
samedi 25 novembre 2023
Un figuier
Et ce fut la première gelée, on ne l'espérait plus, les feuilles lui en sont tombées au figuier qui fatiguait, restent ses figues couillonnes au bout des branches squelettiques, un figuier, quoi qu'on en ait, c'est toujours un peu fantastique, d'où qu'on le considère, torves racines, rebonds, tiges que rien ne contrarie, un acharnement à vivre offrant au ciel sa frondaison tardive, au sol ses sondes capricieuses, on l'aime pour cet appétit-là, dès lors c'est stupéfiant de le voir nu -un figuier nu c'est comme un vieillard pathétique, mais nous n'en serons pas la dupe, il se remettra bien du gel et ses figues pendouillantes des oiseaux savent les ouvrir et s'enivrer de la pulpe violette qui semble-t-il, a fermenté.
lundi 20 novembre 2023
Assassins sous la pluie
dimanche 12 novembre 2023
Vœux de novembre
Quand seront tombées les dernières feuilles, que la lumière nous manquera encore davantage, nous brûlerons les branches des arbres abattus par la tempête, si elles ont séché. Le poêle ronflera, les chats se tiendront près et nous loin des rages du monde qui nous rattraperont bien assez tôt -car elles nous rattraperont, et ce qu'il adviendra du jardin, je ne sais. Tanguy a planté des arbres, choisis au Neubourg à la foire, les verrons-nous, les pêches de vigne et les cerises reverchon, les comices et les elstar, le gel deviendra-t-il rare au point que nous mangerons nos bergerons et les figues noires? Il faut parier sur les fruits, accueillir les abeilles et prier un dieu mort de ne pas injurier ce qui respire encore.
mercredi 8 novembre 2023
Plein emploi
A l'aube le chant clair des bicyclettes ouvrières, des vélomoteurs, des solex où freiner faisait faire un soleil. Je les voyais passer, c'était un autre monde, de tabac brun, de cottes usées, de cafés ouverts tôt dans la nuit de l'hiver, un monde où le travail tuait et la fatigue arquait les corps fatigués sur les vélos qui rentraient entre chien et loup, qu'on saisissait tard dans le pinceau des phares. C'étaient des vies qu'on entr'apercevait depuis notre confort d'enfants bourgeois, suffoqués par des haleines au blanc sec, les aigreurs d'aisselles dans le train de banlieue ou l'autocar aux sièges ponceau de moleskine qui brûlaient l'été et collaient à l'automne, c'était le mystère des pauvres, ceux qu'il fallait plaindre, ceux qu'on ignorait.
dimanche 5 novembre 2023
Retour du vent
Le ciel est sans mémoire, c'est au sol qu'on voit les traces, les branches brisées, les derniers dahlias couchés, et les fleurs de safran hachées par la pluie. Un sol d'automne, feuilles tombées, dix-huit coulemelles dans le pré, la tempête a glissé ici, sifflant ses vents de mauvaise haleine, faisant gémir le poêle dont les braises s'épuisaient. Vider dans le bac à compost le tiroir des cendres blanches, comprendre à les voir s'envoler que le vent reprend, les chats rentrent sans qu'on ait à les appeler, un rebond de bourrasque, le ciel lavé déjà s'oublie.