La nuit grandit, c'est de saison, mois sombres, fruits rares, racines déterrées, nous y tendons n'était le temps, cette chaleur dont on s'effare: les oiseaux chantent, certains nidifient, les plantes s'égarent qui refleurissent ou qui bourgeonnent, c'est un chaos doux qui s'empare de nous dont nous craignons à raison qu'il aggrave tout, tout, on ne sait pas très bien nommer, mais on pressent des crues et des tornades, des côtes érodées, des cyclones tropicaux sur nos campagnes tempérées. N'était le temps, la tempérance perdue si tant est que que jamais tempérance il y eut hors la liste des vertus dont il nous faut désespérer. Notre appétit nous tue, notre soif de poivrots nous dessèche, et quand aurons mangé et la pulpe et la graine, et le lard et la viande, quand nous aurons bu tous les vins et toute l'eau des rivières, c'est notre sang que nous boirons notre chair que nous mastiquerons, dans une communion amère.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
vendredi 4 novembre 2022
mardi 1 novembre 2022
Une visite
Feuille d'automne, chaleur d'été, ta fille est passée qui te ressemble et pas du tout c'est bien ainsi, c'est bien ta fille, Thalie fille de Flavie, ce qui les lie le "a", le "i", deux syllabes et un "l", pas rien mais rien qui pèse trop, Thalie marche avec moi dans l'arboretum d'Harcourt, je trouve une coulemelle dont je cueille le chapeau, tu ne leur as pas appris les champignons à tes enfants, Thalie le regrette un peu, on s'assoit sur un banc, Tanguy fatigue encore quand il marche, pourquoi parlons-nous de Mulhouse? Thalie est surprise que nous y ayons vécu petits, tu ne leur avais pas dit, tu ne t'en souvenais pas peut-être, quel âge avais-tu à Mulhouse, deux ans? Provins non plus n'évoque rien à ta fille, je raconte ta boiterie, de cela tu avais parlé, elle se souvient, oui, tu boitais petite, c'était à Provins le commandant les prothèses dans le porte-parapluie, tu ne lui avais pas dit. Les feuilles jaunies le grand platane, l'arbre tortueux qui fait caverne, les baies violettes d'un arbuste, nous marchons dans le temps qui passe, un été qui s'éternise, malgré les jours abrégés..
mercredi 12 octobre 2022
Que l'hiver nous soit doux
Et reprendre, comme si de rien n'était, le chemin des cèpes, des coulemelles, les retrouver aux endroits précis où ils poussent chaque année, le long des talus, dans des fossés, à la lisière des bois, ils sont là, eux aussi ils ont voulu vivre, comme a voulu vivre le poirier qui avait grillé en juillet, qui refleurit en août, fleurs sans fruits bien sûr, fleurs suivies de feuilles qui s'apprêtent à jaunir, les feuilles ne sont pas encore tombées sur les cèpes, mais déjà certains sont gercés de gel. Il faut les cueillir vite, qu'ils laissent la place aux trompettes, aux chanterelles, aux champignons des feuilles tombées, ceux qui se protègent du gel et peuvent espérer connaître décembre, si l'hiver est doux, parfois jusqu'à janvier les chanterelles cendrées, c'est arrivé, il ne faut pas de nuits trop claires, ça qu'on peut espérer.
samedi 25 juin 2022
Monter aux monts
Dans la chaleur d'hier, avant de rentrer à Aucourt, je me suis offert un détour qui évitait le boulevard de la gare et ses travaux, je suis monté aux monts, je voulais voir la vue. C'est ainsi à Bernay, à pied ou en voiture on monte aux monts voir la vue -et c'est là qu'Antonio attendait sa petite amie jadis, en fumant dans la nuit. On monte aux monts, on voit la vue et ça va mieux, la petite ville blottie autour de son église que masque un peu l'étrange maison blanche de style paquebot, la place de la Poste qui rappelle l'éventrement que les bombes ont causé -bombes anglaises, ce me semble, il faudrait vérifier. Si on tourne le dos à la vue, ce qui serait dommage, c'est le cimetière qui se profile, un vieux cimetière où les tombes s'amoncellent; le calme est assuré, mais je préfère voir la vue.
mardi 14 juin 2022
Joies de juin
Se réveiller la bague au doigt, quatre mains, deux anneaux, le lit froissé d'un matin déjà chaud, se demander ce qu'il convient de faire pour l'olivier qui nous est offert, le rentrer l'hiver? Nous n'y sommes pas. Marie-Noëlle est passée comme un papillon, nous a conseillé de planter un tilleul à la place du saule-pleureur mort, elle nous enverra un gitan qui est élagueur, le tilleul a moins besoin d'eau, la mare s'en portera mieux, on s'imagine déjà à l'ombre de l'arbre, il nous faut de l'ombre et prendre soin de l'eau, telle est la pente de ce monde. Main dans la main, anneau contre anneau nous arpentons, comptons les promesses de poires les fleurs de potiron, il faut remettre un grelot à la chatte qui tue trop d'oiseaux, la grive chante nonobstant, le paon fugueur braille "léon!" comme il se doit. Main dans la main nous arpentons, les pruniers sont cloqués mais les fruits sont là, les groseilles rougissent mais ne sont pas sucrées, les lapins ne rongent plus les pousses des framboisiers -on en aura dès cette année, comme les coings sur le jeune cognassier. La chatte trempée de rosée se frotte à nous, grimpe au lilas dont elle gratte la mousse, le gros chat paresseux est allongé sur l'estragon qui n'y survivra pas, la rhubarbe se plait ici, tout pousse au jardin, elle nous l'avait dit, l'ancienne propriétaire, nous poursuivons main dans la main.
jeudi 2 juin 2022
Ca va encore
Sous la lumière crue d'un matin doux de juin, se demander à haute voix s'il nous sera donné de vieillir sans trop déchoir, lapins de bondir au fond du jardin, mésanges de pondre dans les nichoirs. Ce qui s'épuise en nous c'est la vie même certes, et l'âge rouille nos genoux, étoupe nos yeux rouges en dépit des lunettes, mais nous réveillant enlacés on voudrait tant que se répète le miracle de nos souffles synchrones, de la vie douce et des cerises à l'arbre -celles que les merles nous ont laissées. Sous la lumière du matin comprendre que les matins nous sont comptés depuis que nous voyons le jour, que les nuages nous sont comptés sous la lumière indifférente. Qui pourrait croire pourtant à écouter le chant des grives, le roucoulement des tourterelles, qu'un jour on cherchera le dernier pigeon -d'un gris d'ardoise dit la chanson- et que les yeux en l'air on écrasera la dernière jonquille, distraitement, et nous n'aurons pas eu d'enfants.
dimanche 1 mai 2022
Louis Gaspard
Revient, du fond de la bibliothèque, un fameux petit livre et ses versets tordus, ses phrases cassées au cœur même de leur moelle, branches d'un arbre à pendus percluses de la raideur du gel, nues, absurdement, de tout cadavre. Qui l'écrivit mourut dès longtemps, et sa misère est plus célèbre que lui qui ne vit pas son livre imprimé, que nul ne reconnut, qui n'eut, nu, ni femme ni amante, mais qui fut dépouillé par une sœur crochue, une mère récriminante, et son corps creusé de phtisique enterré dans la fosse non commune, grâce à la pitié d'un sculpteur.
samedi 23 avril 2022
Vieux printemps
La chatte grimpe aux arbres, préfère les mouches aux oiseaux, s'agite, court, s'endort tout de go sous les nuages blancs qui défilent au dessus des arbres en fleurs dont les pétales neigent au moindre coup de vent. A sourire au printemps retrouvé, ces verts acides qu'aime le vieil Hockney, on jurerait que rien n'a changé, les iris des faitages, les boutons des œillets, les bourgeons tendres de la charmille, on s'y jurerait mais il faut en désespérer, c'est le trompe l'œil auquel nous consentons, faute de vouloir voir plus loin que le but de la saison, croire que tout va recommencer alors qu'un à un nous brisons les cycles et les bouteilles vides à la fin du festin.
vendredi 22 avril 2022
Las le temps non
mardi 19 avril 2022
Ce que Rome on nomme
Je suis retourné à Rome après avoir différé, une semaine sainte à Rome ce sont des arbres de Judée, des cascades de bougainvillées sur des murs ocres, sur des murs rouges où s'étranglent des glycines, devant des palais restaurés où des bustes s'empoussièrent entre des Fiat mal garées, ça n'a pas trop changé Rome, tu reconnaîtrais sans difficulté. Sur le Corso tu avais acheté des bottes il y a plus de trente cinq ans, nous avions visité la Sixtine à moitié restaurée, perturbés par la palette acide qui nous était révélée, la chapelle pratiquement vide, c'est ça surtout qui a changé. Vingt ans après nous avions erré en décembre dans le Trastevere où tout était fermé, nous étions rentrés trempés à l'hôtel où un touriste russe chaque matin vidait le buffet du petit déjeuner pour remplir les poches de son manteau de laine, comme ça que ça me revient, par deux fois la Galleria Borghese et la traversée des jardins, le palais Barberini en travaux, de nuit, les trois Caravage de Saint Louis des Français, le tour commun, obligé, pas un jour sans penser à toi, ça qui n'a pas changé. Tanguy voulait voir le Colisée, c'est là que se trouve le chantier de l'extension du métro, cela va prendre des années, à Rome les travaux durent une éternité, comme si on avait l'éternité pour soi, n'était la preuve amère des fresques effacées dans le film de Fellini. Nous avons marché dans le Forum et bien-sûr c'était surpeuplé, mais au jardin Farnese fleurissaient les premières roses, il suffisait d'aimer. Au Vatican, on ne pouvait plus réserver que des visites guidées, cela ne m'enchantait pas, mais Roberta fut un bon guide qui nous mena de sarcophages en urnes pour finir par nous raconter qu'au début de la pandémie, en Italie on mélangea les cendres des morts et que chez elle, dans le vase funéraire se trouvaient des cendres qui n'étaient pas celles de son père, et j'ai pensé à toi, à ta tombe où je ne suis pas retourné depuis des années.